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NYCity – Novembre 2011 – Série Up and Down, n°1

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Rendez-vous un petit matin glacial sur la 1ère avenue chez un photographe russe rencontré la veille, par magie. Beaucoup de brownstone, pas beaucoup de vie… Ce n’est vraiment pas le meilleur quartier de New York par ici.

Et pourtant… En haut de sa tour, le photographe m’attendait avec un café soluble bien chaud et… un panorama de folie ! Un Lieu, un décor.

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Il faut savoir parfois regarder de loin pour mieux comprendre les choses et l’essentiel de leur ligne.

Il y a aussi pour un photographe des rencontres évidentes.

Je suis un photographe du décor urbain, de toute manifestation en acier ou en béton.

Prise de vue

La photo c’est un lieu, un instant T, une lumière et les choix du photographe (de l’optique au cadrage-composition, aux réglages d’exposition jusqu’au moment du clic décisif, à la centième de seconde près).

Ainsi c’est en errant dans les villes que je rencontre mes décors. Ma position est passive face aux clichés. Il n’y a qu’un concours de circonstances et de hasards qui me mènera ici ou là, devant cette composition cubique et urbaine.

Mon rendez-vous à ce 33ème étage était donc bien avec l’image, bien plus qu’avec ce photographe russe.

Ce que j’appelle décor, c’est un lieu prêt à accueillir grâce à l’œil du photographe une image bien composée. Il y a parfois des décors cachés, insoupçonnés, qui ne payent pas de mine. Et pourtant, en le regardant de par là ou avec un angle comme ça, le décor apparaît, là ! J’ai de très belles photos de la porte de Clignancourt, par exemple. Parfois le décor est évident, voir célébrissime. Le photographe doit alors doubler d’ingéniosité pour sa prise de vue. Ce n’est pas parce qu’il y a la tour Eiffel sur votre image que celle-ci sera belle.

Composez !

Trouver le « point d’or »

Pour chaque situation ou décor, il y a en effet son « point d’or ».

La perspective hallucinante en trompe l’œil de l’église de Saint Ignazio à Rome est parfaite à un point précis marqué sur le dallage au sol. De ce point, le plafond de l’église semble en effet se prolonger dans les nuages parmi les angelots jusqu’à l’infini. Les colonnes se dressent à la verticale parfaitement.

D’autre part que de ce point, les déformations perspectives du trompe l’œil nous ramènent à la réalité… d’un plafond plat.

Il en est de même pour le photographe. Quelque part dans son décor se trouve ce « point d’or » ou l’espace, le vide, le plein, les formes, les contre-formes, ou tous les éléments sont en équilibre, en harmonie, en d’autres termes, bien composés.

L’œil commun ne soupçonne même pas qu’une image est sous ses yeux, quand le photographe, lui, la traque, la voit et la capture.

Une philosophie de l’alternance    

Telle est donc ma philosophie de photographe ! Une alternance passif/actif.

Passif, car le lieu vient à moi au gré de déambulations, de rencontres, de hasard. Que je prenne la rue à droite ou à gauche, il en ira de même. Ce ne sera pas plus joli ou intéressant à gauche qu’à droite, ce sera ce que je rencontrerai. Je suis donc passif, mais ouvert à la rencontre. 

Par contre, une fois la proie choisie, je passe à l’action et notamment à la recherche du « point d’or » ou plus clairement : « d’où vais-je regarder la scène, quelle est mon point de vue ? ».

En quelques secondes, à peine arrivé sur les lieux, le photographe doit se positionner pour magnifier la scène, lui faire dire ce qu’elle a à dire de mieux, il faut trouver son angle de beauté. Parfois ça se joue à un pas.

Sur la terrasse de mon russe, surtout pas un pas de plus, tout est là !

Des « lines » et des « skylines » à NY city, j’en ai vu plein mais celle-ci m’a intéressé tout particulièrement en raison de la découpe rythmée des buildings.

De la suite dans les idées

Et puis, le mystère de la création… Personnellement le processus est souvent né par association d’idée. De cette découpe d’immeuble m’est venu à l’esprit un vieux souvenir du cours d’arts plastiques : la découverte de la forme et contre-forme en découpant simultanément deux feuilles de couleurs différentes. Il fallait jouer ensuite avec une tierce couleur avec l’emboîtement ou non de la forme et de sa contre-forme.

Cette découpe me rappela exactement la découpe que j’avais fait petit.

Comme je considère mon négatif comme une toile à peindre ou une feuille de papier manipulable dans tous les sens, j’ai eu l’idée d’utiliser la double exposition pour répéter ce rythme comme dans mon souvenir d’enfance. Clic – une fois up -, je réarme dans le vide, retourne mon appareil, clic – une fois down. Ainsi est née la première photo de la série « Up and down ».

Un jeu sur le négatif

La double exposition est une des rares fonctions techniques propre à l’argentique. Certains numériques commencent seulement maintenant à rajouter cette option. Mais ce ne sera jamais comparable à un film impressionné deux fois par la lumière. Le principe est simple. Il s’agit de prendre une photo et de réarmer sans faire défiler le film. La vue du film n’a donc pas bougé de place et est prêt à recevoir une autre exposition. Les deux images prises vont se mêler : c’est la double exposition.

Evidemment, on peut concevoir une triple, quadruple exposition. Sachant que le film va recevoir deux ou trois fois une quantité de lumière, il faut anticiper les réglages du diaphragme et du temps de pose. L’idée est de sous exposer légèrement. D’ailleurs, selon les différences de réglages d’exposition sur l’une ou l’autre vue, on peut mettre en avant une image plus qu’une autre. Celle à mettre en avant sera exposée normalement.

Je ne suis pas un caïd de photoshop mais j’ai essayé de réaliser certaines de mes images « Up and down » sur photoshop. Le rendu est différent. De plus, la manipulation est bien plus longue et n’offre pas le plaisir de la surprise, car il y a la magie et le hasard d’une surimpression de lumière sur le moment. D’autre part, entre les deux clics de la double exposition s’est écoulé un petit laps de temps qui peut laisser place à quelques différences intéressantes. La double expo ce n’est pas deux fois la même image en une seule, ce sont deux photos bien distinctes, avec leur identité propre qui se mêlent l’une à l’autre – il suffirait, me direz-vous, de travailler avec deux calques d’images différentes sur photoshop…

Dans le cas présent de NY. N°1, c’est le même motif pris deux fois, mais on peut imaginer, évidemment, des superpositions de n’importe quelle image, même très différentes. En argentique, se crée alors une surprise, un inconnu, un hasard libre et authentique qu’on ne peut obtenir sur photoshop où le photographe maîtrise et contrôle son travail.

Le cadrage de la superposition en argentique se fait par pur instinct et sans contrôle total.

« Up and down »

L’idée d’un motif une fois « up » une fois « down », allait, il fallait s’en douter, donner un effet véritablement graphique. L’image à première vue semble normale car, en effet, le cerveau est habitué à avoir des reflets dans l’eau, dans un miroir… et c’est ce que l’on pourrait croire à un premier regard furtif. Mais en observant bien, il  n’y a ni reflet, ni symétrie. Il y a même une fausse symétrie qui devient dérangeante.

L’image prend alors une autre dimension, elle perd de sa réalité banale et l’on se dit : « il a fait ça par ordinateur ? »

Non.

C’est un jeu avec le négatif.

La puissance narrative

Ici, la découpe dentelée et acérée des buildings, répétée en haut et en bas, laisse croire à une mâchoire puissante et féroce. New York – c’est vrai – est une ville requin, furtive, vorace et dynamique. La perspective fuyante du premier plan refroidit, elle suggère que nous, spectateur, nous nous trouvons à l’intérieur de ce monstre. On associe alors le courage de Jonas à celui du photographe.

La bande de ciel clair semble être l’extérieur de la bête. C’est le moment où elle ouvre en grand son énorme mâchoire. Un appel d’air engouffre les nuages et l’espoir du photographe. Le souffle nous emmène loin au centre de l’image, là où le ciel est clair.

Révélation de l’intérieur/ extérieur par l’obscur et le clair.

De plus, le léger effet vignetage renforce cette impression.

Outre un effet graphique incontestable, la série up and down offre une vision dualiste du monde. Un monde souvent urbain ou tout est loin de n’être que tout blanc ou que tout noir.

Il n’y a pas qu’une seule vérité, le monde se regarde dans tous les sens.

Vous pouvez découvrir l’ensemble de la série « Up And Down » sur mon site internet : www.franckpaglieri.fr

*vignétage : effet du a une (mauvaise) optique qui concentre la luminosité au centre de l’image. Il s’en ressent un effet de halo de lumière concentrique et des bords d’image plus sombre.

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