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Obésité: «La question des inégalités sociales est primordiale»

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JOL Press : Quel était l’objectif du « Plan Obésité », lancé en 2010 ? 
 

Pr. Arnaud Basdevant : C’est un plan lancé pour une période de trois ans et qui se termine donc cette année. Il y avait trois objectifs majeurs : améliorer l’offre de soin pour les personnes qui sont atteintes d’obésité, donner une nouvelle impulsion à la prévention, et analyser quels étaient les axes de recherche les plus importants à développer. Tout cela a donc été mené en parallèle, sur une période relativement courte.

JOL Press : Quelles actions concrètes ont été mises en place ?
 

Pr. Arnaud Basdevant : Les progrès les plus tangibles, immédiats, concernent tout ce qui touche l’amélioration des soins en offrant aux personnes atteintes d’obésité sévère des soins de qualité avec des équipements adaptés. Il est par exemple nécessaire d’avoir des tables d’opération, des scanners, des brancards ou des transports adaptés aux personnes obèses ; ce sont des problèmes très matériels mais dont les effets peuvent retentir sur la qualité des soins.

Suivant un « maillage territorial », les personnes présentant une obésité doivent ainsi trouver, dans chaque région, une réponse adaptée à leurs problèmes, que ce soit en médecine, en chirurgie ou en obstétrique.<!–jolstore–>

On a également développé un certain nombre d’outils pratiques et des recommandations pour les médecins, afin de faciliter la prise en charge des patients. On s’est aussi beaucoup occupé des populations dites « vulnérables », en créant par exemple deux centres pour des enfants présentant des obésités extrêmes liées à des maladies génétiques.

On a enfin continué à renforcer les actions de prévention de l’obésité. Mais au lieu de dire aux gens « mangez bien, bougez plus », on fait en sorte que, dans la vie quotidienne, les gens puissent trouver dans la ville, dans leurs lieux de travail etc., les moyens d’avoir une alimentation équilibrée et de faire de l’exercice. Il y a eu beaucoup d’initiatives locales et régionales qui, collectivement, ont eu un impact.

Tout ce programme est vaste, mais l’idée générale, c’est qu’en s’appuyant sur des équipes pluridisciplinaires (médecins, infirmiers, psychologues, travailleurs sociaux), on trouve, dans chaque région, une réponse pour les problèmes d’obésité compliquée.

JOL Press : En France, la progression de l’obésité est-elle en train de ralentir ?
 

Pr. Arnaud Basdevant : La France fait partie des rares pays où l’on assiste à une relative stabilisation de l’obésité. Avant, l’obésité montait régulièrement. Là, pour la première fois, on commence à avoir une stabilisation chez l’enfant et chez l’adulte. C’est-à-dire qu’au lieu que l’augmentation de fréquence soit régulière – comme cela se produisait depuis quinze ans –, le nombre de personnes obèses, depuis trois ans, s’est stabilisé. Toutes les stratégies de prévention commencent à porter leurs fruits.

En revanche, il y a deux points négatifs : la question des inégalités sociales, qui sont malheureusement criantes, et la question des formes graves de l’obésité qui continuent à progresser, notamment chez les femmes. Concernant les inégalités sociales, c’est assez flagrant, puisque dans les foyers qui gagnent plus de 4000€, il y a environ 7% de personnes obèses, contre 25% pour les foyers gagnant 1000€.

JOL Press : La crise a-t-elle augmenté les risques d’obésité ? 
 

Pr. Arnaud Basdevant : C’est possible, même si je n’en ai pas la preuve. On sait cependant que tout ce qui contribue à augmenter le stress social et l’insécurité alimentaire favorise l’obésité.

C’est le paradoxe de cette maladie : on considère l’obésité comme une maladie de l’abondance, mais elle frappe malheureusement les populations les plus vulnérables de la société. La question des inégalités sociales de santé est vraiment un sujet primordial, et un chantier pour l’avenir. L’obésité fait en effet partie des maladies qui sont très liées aux facteurs socio-économiques.

Quand on dispose d’un faible budget alimentaire, c’est très difficile de manger de manière équilibrée. Mais quand on est en situation de vulnérabilité économique, c’est qu’on est généralement en situation de vulnérabilité sociale. Le fait d’avoir une fragilité sociale, d’être au chômage, d’avoir des troubles du sommeil ou d’être stressé favorise l’obésité. On se trouve face à des enjeux qui dépassent largement la médecine. La prévention ne doit donc pas seulement être médicale.

JOL Press : La France doit-elle s’inquiéter par rapport à ses voisins européens ?
 

Pr. Arnaud Basdevant : Si l’on compare la France aux autres pays d’Europe, elle se trouve plutôt en position favorable. Avec la Hollande, elle fait partie des pays qui ont le mieux résisté à la progression de l’obésité.

Mais une fois que l’on a dit cela, il ne faut pas se reposer sur nos lauriers : c’est un processus qui évolue, et je pense qu’il ne faut pas relâcher les campagnes de prévention et d’amélioration des soins. Le problème est là : il y a quand même 15% de la population qui présente une obésité significative, et cela continue à progresser dans les formes sévères de la maladie.

La situation est cependant moins grave que dans des pays comme l’Angleterre où il y a 30% de personnes obèses, ou dans les pays émergents comme le Brésil, le Mexique ou les pays du Golfe, où il y a 35 ou 40% d’obèses.

JOL Press : Qui sont aujourd’hui les principales victimes de l’obésité ?
 

Pr. Arnaud Basdevant : Les populations les plus à risques sont les personnes en situation de vulnérabilité sociale et les femmes plus particulièrement. Les femmes précaires et leurs enfants auront ainsi plus de risques que les autres.

Le contexte social, la prédisposition familiale, les troubles du sommeil, le « temps-écran » (le temps passé devant l’écran de télévision, d’ordinateur…), le stress, le chômage etc. sont les principaux facteurs d’obésité. C’est une maladie qui est, effectivement, une maladie de société.

JOL Press : Pourquoi les femmes sont-elles plus touchées que les hommes ?
 

Pr. Arnaud Basdevant : On ne sait pas exactement, c’est un sujet de recherche. C’est sans doute un mélange de facteurs biologiques, hormonaux – les grossesses sont un facteur très important. Les facteurs de représentations sociales peuvent aussi jouer.

Mais c’est un constat qui est flagrant : ici, à la Pitié-Salpêtrière, on a beaucoup plus de femmes qui viennent se faire opérer en chirurgie de l’obésité. Le pourcentage est bien plus élevé : pour 3 ou 4 femmes qui viennent se faire opérer, il y a un homme.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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