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Robert King, emprisonné et détenu à l’isolement pendant 29 ans

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Où en sont les différents procès, le vôtre et celui d’Albert et Herman, et pourquoi un tel acharnement après 41 ans de détention en ce qui les concerne ?

Robert King : Un recours civil a été déposé devant la Cour fédérale il y a quinze ans déjà. La Cour a reconnu que les 29 ans que j’ai passés à l’isolement constituaient un châtiment cruel. Ce n’est pas l’isolement en soi, mais c’est surtout la durée de l’isolement qui a été condamnée.

Il faut préciser que dans tous les différents recours, nous luttons non seulement pour nous, mais pour tous les prisonniers qui vivent la même chose.

Concernant Albert Woodfox, le procureur de l’État de Louisiane, James Caldwell, a fait preuve d’un acharnement judiciaire. Je pense que tout cela remonte au lien entre le procureur et l’un de ses amis d’enfance, qui était le procureur lors du premier procès d’Albert. Celui-ci était convaincu que, parce qu’Herman et Albert étaient dans le parti des Black Panthers, ils étaient responsables du meurtre du gardien de prison, même s’il n’y a pas vraiment eu de preuves irréfutables.

Pourquoi cet acharnement en l’absence de preuves ? La seule réponse que nous trouvons, c’est qu’il y a des carrières qui ont été bâties, notamment « grâce » à ce premier procès, et donc certains juges sont condamnés à maintenir le mensonge, parce qu’ils ne peuvent pas revenir en arrière. C’est une sorte de système de « copinage », qui a permis à certains procureurs de continuer leur carrière. Ce n’est pas une explication logique ni rationnelle, mais c’est la seule explication que nous trouvons.

Pourquoi est-ce que moi j’ai été placé à l’isolement, alors que je n’étais même pas présent au moment du meurtre du gardien de prison ? Pour moi, c’est clairement l’exemple d’un acharnement judiciaire. Je n’ai pas été condamné pour ce crime, mais j’ai été l’objet d’une enquête qui a duré très longtemps – trop longtemps. Jusqu’au moment où j’ai finalement obtenu ma libération. Si je n’avais pas été à des centaines de kilomètres de là au moment du meurtre, je suppose que je serais encore en détention aujourd’hui avec Albert et Herman, malgré les recours et les demandes d’invalidation de leur condamnation.

Trouvez-vous, ici en France, une plateforme qui pourrait vous aider à promouvoir votre cause ?

Robert King : Oui, nous avons beaucoup de soutiens ici, et parmi les plus importants, les membres d’Amnesty International, d’abord au Royaume-Uni puis maintenant en France. De cette façon, la cause pour laquelle nous luttons commence maintenant à être placée sur une scène plus large, internationale.

Les autorités américaines et Barack Obama sont-elles au courant de votre situation ?

Robert King : Oui, certainement. Le procureur général des États-Unis doit aussi être au courant, mais de toute façon, notre cause n’est que la pointe d’un iceberg, il y en a beaucoup d’autres similaires. Il y a souvent des gens qui nous demandent : « Maintenant qu’Obama est au pouvoir, est-ce que cela fait une différence ? ». Ce n’est pas aussi simple que cela, parce qu’aux États-Unis il y a trois pouvoirs (l’exécutif, le législatif et le judiciaire), et il y a un système de contre-pouvoir.

Obama a le pouvoir de l’exécutif, il a le droit de gracier chaque année une dinde le jour de Thanksgiving par exemple, mais il n’a pas le droit de gracier des prisonniers des États…

De toute façon, nous poursuivons l’affaire devant des tribunaux. Les tribunaux fédéraux ont accepté le recours d’Albert une fois, les tribunaux d’État, deux fois. Pour Herman, c’est un magistrat de l’État de Louisiane qui a recommandé que sa condamnation soit invalidée, mais cela n’a pas été accepté par un juge. Mais Obama n’a rien à voir là-dedans, parce que c’est l’affaire du pouvoir judiciaire.

Notre problème n’est pas tant avec les tribunaux qu’avec le procureur de Louisiane qui a le pouvoir de ne pas respecter les décisions des tribunaux et qui, dans ce cas, abuse de ce pouvoir.

Avez-vous eu des séquelles à votre sortie de prison et à quoi ressemble votre vie depuis ?

Robert King : Comme je le dis souvent, il est impossible d’être plongé dans les déchets sans finir par « sentir mauvais » soi-même. Pour moi, être placé en isolement dans cette prison, c’était un peu m’immerger dans ces déchets. Mais ce qui m’a sauvé, je pense, était la prise de conscience que j’avais de la situation politique dans laquelle nous vivions.

Les gens me demandent souvent si je suis devenu fou : je pense que tous les gens qui ont passé autant de temps en prison, et surtout en condition d’isolement, deviennent un peu fous, mais c’est une question de degré. Il y a des gens qui deviennent complètement psychotiques ; ce n’est pas mon cas.

Je pense vraiment que ce qui m’a sauvé c’est le fait que je comprenais ce qui m’arrivait, je comprenais comment fonctionnait le système, j’avais étudié l’histoire du système politique aux États-Unis, et je comprenais ce qui se passait dans cette prison et ce que représente l’emprisonnement dans ce pays.

Pour moi, c’était un mauvais moment à passer dans ma vie, mais c’est le destin qui l’a voulu. J’ai été libéré le 8 février 2001, et depuis cette date j’ai parcouru beaucoup de pays, j’ai donné des conférences dans presque toutes les universités de tous les États des États-Unis, à l’exception, je crois, de 5 États sur 50. J’ai rencontré beaucoup de gens pour parler de notre affaire. Mais je n’ai pas seulement parlé des « Trois d’Angola » ; j’ai toujours voulu inclure tous les autres détenus à l’isolement qui continuent à vivre aujourd’hui ce que j’ai vécu pendant 29 ans.

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