Site icon La Revue Internationale

Sauve qui peut: pourquoi les Français ont intérêt à émigrer?

emigration_brunet.jpgemigration_brunet.jpg

[image:1,l]

Les Français aiment-ils vraiment la France ? Son âme, sa culture, son passé, ses spécificités, ses traditions, ses paysages, son histoire, son identité charnelle ? La France n’est plus cet objet capable de susciter emphase et exaltation. D’ailleurs, les politiques parlent rarement de « la France ». Ils préfèrent parler de « la République française » ou de « la République ». On disserte désormais sur « les valeurs de la République », sur « le vivre ensemble ». La France est malade de son histoire. Il devient de plus en plus difficile de se prononcer sur les grandes figures nationales sans avoir recours à des jugements moraux. C’est le constat que pose Éric Brunet dans son livre « Sauve qui peut ! » chez Albin Michel. Entretien.

JOL Press : Qu’est ce qui, en France, n’est plus supportable au point d’encourager les Français à partir ?
 

Éric Brunet : Nous avons un archipel de motivations très faciles à identifier. La première concerne les artisans, les commerçants et les chefs d’entreprises. Ils ne comprennent plus la défiance nationale pour ce qui réussit : les trajectoires d’entrepreneurs ne sont pas valorisés, l’école et l’université ne poussent pas vers cette voie. Nous avons un système d’éducation conçu pour fabriquer des cadres administratifs, des enseignants, des magistrats, des conservateurs de musées, mais rarement des chefs d’entreprise. Choisir la voie de l’entreprise, en France, c’est vil. Dans la représentation collective, un patron, petit ou gros, c’est une personne cupide, âpre au gain, bref, un être vulgaire uniquement mu par l’argent.

Deuxième raison : la fiscalité. Le seul contact de nombre de Français ont avec leur chère République, c’est l’appel du tiers provisionnel. Imaginez : ces petits héros du quotidien que sont les entrepreneurs sont encensés par des organisations comme la CGPME (Confédération générale du patronat des petites et moyennes entreprises) ou l’UPA (Union Professionnelle Artisanale) mais ils n’obtiennent de l’Etat, comme seul remerciement, que des feuilles d’impôts. C’est frustrant, car ils ont le sentiment de pouvoir jouer un rôle beaucoup plus important dans la société. Cela vaut d’ailleurs pour tous les contribuables.

Et puis enfin, le masochisme national. Il n’y a plus de fierté française qui s’exprime. L’idée selon laquelle, dans l’histoire de France, les Français ont été d’horribles personnages colonialistes, impérialistes et collaborationnistes, est assez mal vécue. Si on le compare aux autres, notre pays n’est pas si terrible. La France est virtuose dans l’art de l’excuse, alors que le royaume d’Angleterre ne s’est jamais excusé pour son passé colonial. Par ailleurs, dans une France qui cultive l’assistanat, un certain nombre de personnes considère que leur impôt est mal utilisé.

Cet ensemble de raisons créé un climat défavorable qui concourt à faire partir les plus aisés mais aussi les chômeurs et les jeunes diplômés. La nationalité qui a le plus migré vers la Russie, en 2012, bien avant l’affaire Depardieu, c’est la nationalité française. On ne le dit jamais. Quand les Canadiens ont ouvert 30 000 visas exceptionnels aux Français, en 2012, on s’est battu pour aller au Canada. Ce n’était pas des exilés fiscaux mais des gens modestes qui sont partis. Ils quittent ce pays parce qu’il n’est pas capable de les nourrir.

Il y a eu beaucoup d’émigration, dans les années 1900, dans l’Europe entière : Allemands, Anglais, Irlandais, Italiens, Espagnols mais pas de Français. En France on ne mourrait pas de faim, la IIIe République donnait du pain à tout le monde. Finalement, la grande migration française c’est maintenant.

JOL Press : Est-ce qu’il ne faudrait pas rester justement parce que la situation se dégrade ? Ne pose-t-on pas, en partant, un acte anti patriotique ?
 

Éric Brunet : Les très riches ont été patriotes plus que vous et moi. Ils ont été des contribuables extraordinaires, on leur doit des centres hospitaliers, des équipements publics, des sous-marins nucléaires, des autoroutes. Je refuse de  hurler avec la meute lorsqu’elle prétend qu’il est honteux de partir.  Au contraire je remercie ces contribuables riches. La France est trop dure avec eux, un désamour s’est installé. Ces riches-là – je les ai interviewés – confessent pour la plupart qu’ils ne partent pas uniquement pour des raisons fiscales, mais aussi et surtout à cause du grand mépris national dont ils sont l’objet. L’administration fiscale et l’administration tout court leur complexifient la vie et ne savent pas leur dire merci. Pour quelle raison cette gauche qui professe la libre-circulation des biens et des personnes peut-elle s’opposer aux départs des Français ?

Quant aux plus pauvres, l’argument du patriotisme ne les retient pas parce qu’ils n’ont qu’une vie. Quand on a 25 ans et qu’on ne trouve pas de travail, on s’en va et on a bien raison de le faire.

JOL Press : Partir, oui, mais où ? Et pour combien de temps ?
 

Éric Brunet : Il faut partir, le monde entier est ouvert : Sao Paulo, New-York, Istanbul, New-Delhi, Singapour, Shanghai, Berlin, Doha, Dubaï. En Afrique, il y a des pays comme le Ghana qui connaissent des croissances à deux chiffres, la Mongolie flirte avec les 20% de croissance… Il faut trouver ces économies nouvelles, émergentes où tout est à faire. Tout dépend du projet qu’on souhaite construire.

Quand faut-il revenir ? Je pense que l’essentiel des émigrés ne rentrera pas en France. Certains toutefois reviendront dans quelques années. Et ceux-là n’accepteront pas la fainéantise française, ils ne supporteront plus ce pays apathique parce qu’ils auront été au contact d’économies dynamiques, d’entreprises performantes, de la culture de la compétition, du monde globalisé, de l’innovation et de l’excellence. Ce pays que nous avons été incapables de réformer, c’est eux qui le réformeront. Ils n’accepteront plus les 35h, le leadership des syndicats sur l’économie française parce qu’ils auront vu d’autres sociétés fonctionner, mieux huilées, plus lucides, plus pragmatiques, plus efficientes. C’est paradoxal, mais cette émigration, c’est une chance pour notre pays, c’est le grand espoir de la France.

JOL Press : Quel serait selon vous le secteur prioritaire à réformer ?
 

Éric Brunet : La fonction publique. Six millions d’agents publics en France, ce n’est pas possible. On a plus d’agents publics que l’Allemagne qui a pourtant 85 millions d’habitants. On paie 220 milliards d’impôts de plus que les Allemands. Notre fonction publique est scandaleusement pléthorique. Il faudrait juste supprimer deux millions de fonctionnaires en France. Il faudrait réformer les services publics mais aussi avoir la capacité d’évaluer leur pratique.

JOL Press : Auriez-vous tenu les mêmes propos si Nicolas Sarkozy avait été réélu ?
 

Éric Brunet : Oui, tout-à-fait. Je suis critique vis-à-vis de Nicolas Sarkozy. Je pense qu’il n’est pas allé assez loin dans la réforme. Il a secoué la société française, il a entrepris beaucoup de choses, mais je mesure aujourd’hui qu’il n’a pas été assez transgressif.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Volontiers provocateur, Éric Brunet anime depuis plus de deux ans Carrément Brunet sur RMC de 13h à 14h. Il intervient parallèlement dans les médias sur iTélé, BFM TV, Paris Première. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Dans la tête d’un réac (Editions Nil) et Etre de droite : un tabou français (Albin Michel).

Quitter la version mobile