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Assiste-t-on à l’émergence d’une «génération Manif pour tous»?

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Les opposants au mariage homosexuel sont convaincus d’appartenir à une « nouvelle génération politique », née dans la contestation de ces derniers mois. Au lendemain de la dernière grande manifestation des opposants au mariage homosexuel, le Figaro titrait en effet sur la « génération Manif pour tous ». Mais qui est-elle ? Qui se cache derrière ce mouvement ? Eléments de réponses avec Jean Sévillia, journaliste au Figaro et auteur de « Quand les catholiques étaient hors la loi » (Perrin). Entretien.

JOL Press : Comment définir cette « génération Manif pour tous » ? Génération JMJ ? Mouvement néo-conservateur ?
 

Jean Sévillia : C’est un mouvement très large qui réunit des masses humaines tout-à-fait considérables. Et si l’on sent bien que le fond catholique est majoritaire, on trouve aussi dans ce mouvement des non-croyants, des juifs et quelques musulmans. En revanche il est certain que tout le milieu catholique, la « génération JMJ » ou « génération Benoît XVI » s’est engagée à fond dans ce combat-là. On peut aussi distinguer les manifestants qui se mobilisent et l’encadrement qui, eux, sont pour la plupart des catholiques ou d’anciens scouts. Ce qui est étrange c’est que ces manifestants qui partagent une ferme opposition au mariage homosexuel ont de vraies divergences de point de vue sur d’autres sujets.

JOL Press : C’est vrai que politiquement, ils n’appartiennent pas tous à la même famille.
 

Jean Sévillia : La motivation de la « génération Manif pour tous » n’est pas politique au sens partisan du terme. C’est un combat sur une définition de l’homme, un combat anthropologique qui dépasse les clivages politiques. C’est, en ce sens, un phénomène très nouveau.

JOL Press : Comment expliquer une telle mobilisation ?
 

Jean Sévillia : On vit dans une société où un micro-milieu parisien qui a le pouvoir, les médias et l’argent s’imagine que tout le monde pense et vit comme lui. Or une partie de la population française, qui ne se reconnait pas dans ce système de valeurs, refuse qu’on lui change son cadre de vie et qu’on fasse une réforme de « civilisation », selon les propres mots de Christiane Taubira. Cette frange de la population a donc choisi de réagir et de façon massive. Depuis mai 68, c’est le plus grand mouvement social ou socio-politique que la France a connu.

[image:2,s]JOL Press : Vous avez écrit un livre Quand les catholiques étaient hors la loi qui revient sur les troubles qui ont accompagné la mise en place de la loi sur la séparation des Eglises et de l’Etat. Peut-on faire un lien entre les querelles d’alors et le réveil des catholiques aujourd’hui ?
 

Jean Sévillia : Il y a évidemment un lien car, d’une certaine manière, les chrétiens vivent cette réforme comme une attaque contre la vision anthropologique défendue par l’Eglise. Vision de l’homme qui, par ailleurs, peut être partagée par d’autres. A la différence de 1905 et de la loi de séparation des Eglises et de l’Etat, le Mariage pour tous n’est pas une réforme qui a été faite en tant que telle pour opprimer l’Eglise catholique.

Nos dirigeants ont mené à terme cette loi car ils sont persuadés que c’est une réforme juste et nécessaire. Avant l’été 2012, ils étaient persuadés que cette loi passerait comme une lettre à la poste. D’ailleurs, de son point de vue, François Hollande a fait une grosse erreur : s’il avait fait passer sa loi en juin ou juillet, l’opposition n’aurait pas été si virulente. 

Une chose est certaine : si le gouvernement ne souhaitait pas nuire ouvertement à l’Eglise catholique, il a réalisé que les catholiques pesaient encore dans la société française et avaient la capacité de mobiliser par leurs réseaux.

JOL Press : Retrouve-t-on dans l’histoire des mouvements similaires ?
 

Jean Sévillia : On a souvent comparé cette mobilisation à celle de l’école-libre de 1984 qui étaient trans-courants et trans-partis mais ce qu’il y a de nouveau malgré tout avec la Manif pour tous c’est que les manifestants viennent d’un peu partout et que la population est très jeune. L’école-libre était un combat d’adultes, aujourd’hui des milliers de jeunes se sont engagés dans ce mouvement.

JOL Press : Dans le fond n’est-ce pas la manifestation d’un rejet d’un système toujours plus libéral et libertaire ?
 

Jean Sévillia : C’est en effet ce qui les réunit car cette loi procède d’une société consumériste et individualiste qui prône un système libéral libertaire. Dès lors qu’on sort l’homme de son contexte naturel, on le livre aux puissances de l’argent, aux puissances idéologiques. Le personnage de Pierre Bergé est très emblématique de cette société que les opposants au mariage homosexuel dénoncent. 

JOL Press : Quel pourrait être selon vous l’avenir de ce mouvement ? A-t-il vocation à se transformer en parti politique ? Ou en lobby ?
 

Jean Sévillia : Un mouvement politique, je n’y crois pas du tout car la seule défense du mariage n’est pas suffisante à la fondation d’un parti. Par ailleurs ce parti entrainerait des rivalités personnelles alors que ce mouvement se caractérise justement par son absence de leader. En revanche ce mouvement peut jouer un rôle de lobbying et localement cela peut être très puissant.

JOL Press : Croyez-vous que les catholiques ont ainsi pris conscience de l’importance de l’implication en politique ?
 

Jean Sévillia : Il faut d’abord rappeler que tous les catholiques ne sont pas fermement opposés à ce projet de loi. En revanche cette jeune génération qui s’est investie dans la mobilisation était plutôt spirituelle, religieuse. Avec la Manif pour tous, elle a compris que si elle voulait exister il fallait qu’elle s’engage. Ce n’est pas nouveau en soit mais jamais aucune cause n’avait réussi à mobiliser les jeunes catholiques à ce point. Je pense que cette mobilisation a réveillé un enthousiasme qui n’est pas prêt de retomber.

Sur des sujets comme l’euthanasie, la PMA ouverte aux femmes homosexuelles, la GPA –même si je pense que le gouvernement va mettre un coup de frein sur les réformes de société – ces jeunes seront amenés à s’engager en politique pour apporter des réponses à ces questions. Ils réaliseront aussi que les manifestations n’ont qu’un temps et que les combats se mènent aussi dans les institutions.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean Sévillia, rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, a notamment publié des biographies (Zita impératrice courage) et des essais (Le Terrorisme intellectuel, Historiquement correct, Moralement correct) qui lui ont valu un large public.

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