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«Au Brésil, rien ne sera plus jamais comme avant»

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La mobilisation des Brésiliens aura eu raison de la présidente Dilma Rousseff. Lundi 24 juin, cette dernière a proposé un référendum portant sur la composition d’une Assemblée constituante chargée d’étudier une réforme de la constitution en vigueur.

Derrière cette annonce, Dilma Rousseff engage le Brésil sur la voie de la transparence politique. Car c’est également contre la corruption organisée que se soulèvent les Brésiliens, une corruption qu’ils n’ont que trop vu venir avec l’organisation du mondial 2014 et les sommes exorbitantes versées aux travaux publics, lieu sacré de la corruption.

La hausse des prix des transports en commun n’a alors été que le déclencheur d’un vaste mouvement populaire et aujourd’hui, pour Pierre Salama, professeur émérite des universités, spécialiste des économies sud-américaines et auteur de « Les économies émergentes latino-américaines : Entre cigales et fourmis », les Brésiliens ne veulent plus être floués. Cette ancienne pauvreté devenue classe moyenne a conscience des lacunes d’un Brésil trop longtemps qualifié d’eldorado et désormais, personne ne devra mentir à cette population.

Face à la vague de protestation au Brésil, la présidente Dilma Rousseff a proposé un référendum qui porterait sur la refonte de la Constitution. Comment interprétez-vous ce geste ?
 

Pierre SalamaIl est tout à fait positif et révélateur du piège dans lequel se trouve aujourd’hui la présidente. La conjoncture économique est mauvaise et c’est par la voie politique qu’elle sortira de ce marasme.

Cette réforme de la constitution impliquerait notamment une plus grande transparence dans les institutions et un pas de plus dans la lutte contre la corruption.

Ce n’est pas un geste étonnant de sa part dans la mesure où elle a été pionnière dans ce domaine, notamment au début de son mandat, en faisant démissionner sept ministres jugés corrompus. C’est grâce à cela qu’elle est devenue populaire.

Cette réforme de la Constitution est-elle une bonne réponse à apporter à la crise qui secoue le pays ?
 

Pierre SalamaDisons que c’est une première réponse d’ordre qualitatif qui exprime ce piège dans lequel la présidence se trouve. Ce piège peut se résumer en quelques mots.

Lorsque le président Lula était au pouvoir, il a bénéficié d’une hausse du cours des matières premières et a pu mener une politique sociale importante dans les années 2005-2006. La consommation a augmenté et la pauvreté a baissé.

Mais aujourd’hui, crise économique mondiale oblige, l’industrie brésilienne est de moins en moins compétitive – un phénomène notamment lié à la réduction des importations chinoises – le Brésil est donc en phase de désindustrialisation. Il y a quelques temps et pour la première fois, le Brésil a connu une balance commerciale négative.

Dilma Rousseff a tenté de décider de nouvelles mesures pour enrayer de phénomène et améliorer la compétitivité de son industrie, en limitant l’inflation, en augmentant les taux d’intérêts, en exonérant les charges patronales et en tentant de contenir les salaires sans y parvenir.

Mais les faits sont là, la croissance brésilienne est en baisse depuis trois ans.

Quoi qu’elle fasse, Dilma Rousseff est coincée et l’issue de ce problème est alors politique.

Peut-on alors croire que cette annonce apaisera la mobilisation populaire ?
 

Pierre SalamaIl est très tôt pour le dire. L’étincelle a été l’augmentation du prix des transports en commun. Ensuite, différents maires et gouverneurs ont cédé à la pression et ont annulé cette mesure, pourtant, les manifestations ont encore grandi. Il faut désormais attendre la grève générale du 1er juillet pour se prononcer.

Ce qui est certain, c’est qu’il y a eu un point de rupture au Brésil et plus jamais le pays ne fonctionnera comme avant.

Ce qui était connu pour être un eldorado, un pays où tous les pauvres sont entrés dans la classe moyenne n’est en fait qu’un des pays les plus inégaux du monde. Un pays dans lequel services de santé, du transport et de l’éducation sont largement en-deçà de ce qu’ils devraient être.

D’où la colère populaire. Les Brésiliens ne sont pas aveugles et savent que ce qu’ils vivent n’est pas normal et ils veulent sortir de ce mensonge. Cette mobilisation vient de détruire un mythe.

Sans attendre la mobilisation du 1er juillet, jugée déterminante pour l’avenir du mouvement, considérez-vous que les manifestants pourraient, à terme, emprunter la voie politique, notamment en prévision de l’élection présidentielle de 2014 ?
 

Pierre Salama : Beaucoup de temps nous sépare de cette élection. Aujourd’hui, de nombreux partis politiques tentent de récupérer le mouvement. Les mouvements d’opposition cherchent à utiliser les manifestations en ciblant la politique de Dilma Rousseff.

Mais ils ne peuvent pourtant pas apparaître sous leur propre drapeau. Le Parti des travailleurs de la présidente, pour une certaine frange, voudrait prendre part à ces manifestations mais à ce niveau, la mobilisation brésilienne ressemble davantage aux mouvements des Indignés qu’ont connu certains pays européens.

Ils n’ont pas de mot d’ordre, pas de leader, et il est donc difficile de les manipuler.

En Espagne, les Indignados avaient refusé de donner une consigne de vote lors des dernières élections législatives, ouvrant la voie à la droite au pouvoir. Au Brésil, les citoyens sont obligés d’aller voter et la voix de ces manifestants se traduira donc forcément dans les urnes.

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