Site icon La Revue Internationale

«Aujourd’hui, rien ne retient un entrepreneur en France»

[image:1,l]

La fraude fiscale atteindrait entre 60 et 80 milliards d’euros en France, soit près de 20% des recettes fiscales brutes, selon un rapport de Solidaires-Finances publiques publié en janvier. Et pourtant les Français continuent de quitter le pays à cause de la « pression fiscale ». Parmi eux, un grand nombre d’entrepreneurs dont Amaury de Viviés, 37 ans, Directeur Général associé de Intys Consulting, une entreprise de consulting installée au Luxembourg. Entretien.

JOL Press : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à quitter la France et à créer votre entreprise au Luxembourg ?
 

Amaury de Viviés : Je suis arrivé au Luxembourg en 2001, pour travailler pendant 11 ans dans une entreprise, avant de créer ma propre affaire de consulting au Luxembourg, il y a un peu plus d’un an maintenant. J’ai fait le pas car c’est très facile de créer une entreprise ici : avec un avocat, c’est très rapide, quelques jours pour que la société soit opérationnelle et quelques semaines pour que le projet soit complètement finalisé. Par ailleurs, l’environnement ici est assez dynamique et ouvert à la création et à l’entreprenariat.

JOL Press : Quels sont les avantages que le Luxembourg propose pour un entrepreneur ?
 

Amaury de Viviés : D’un point de vue opérationnel, au quotidien, l’administration est plus légère, tout est centralisé, l’Etat fait ce qu’il faut pour faciliter toutes les démarches administratives, les administrations communiquent entre elles, un peu comme un guichet unique. Ensuite sur le plan fiscal, c’est très avantageux par rapport à la France. Certes il existe des impôts sur les bénéfices au Luxembourg, comme ailleurs, mais ils sont beaucoup moins importants qu’en France. C’est intéressant pour les personnes physiques comme pour les personnes morales. Quand on crée son entreprise, c’est pour un jour en récolter des fruits donc le fait d’être moins taxé est évidemment important.

Le seul inconvénient au Luxembourg, c’est la petite taille du territoire. Si on connait des expériences négatives, cela se sait très vite. Mais c’est le revers de la médaille car quand les affaires marchent bien, la bonne réputation de votre entreprise se répand aussi vite et aussi bien.

JOL Press : La pression fiscale dont les patrons français se plaignent aujourd’hui va-t-elle déclencher le départ de nombre d’entre eux ?
 

Amaury de Viviés : On ne peut pas vraiment savoir. Une chose est certaine : on s’investit tellement quand on décide de créer une entreprise que ce n’est pas pour se faire assommer à l’arrivée par la fiscalité. La pression fiscale n’encourage pas à rester en France mais ce n’est pas toujours simple de partir, on ne se délocalise pas comme ça, surtout dans une entreprise qui emploie beaucoup de personnel. C’est certainement plus simple pour une entreprise dont les services sont dématérialisés. Dans tous les cas, il est clair que les dispositions actuelles du gouvernement n’encouragent pas du tout à s’implanter en France. Il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt, quand on crée une entreprise ce n’est pas uniquement pour le plaisir…

JOL Press : Les Français sont-ils nombreux, au Luxembourg, à avoir fait le choix de quitter la France pour créer leur entreprise ?
 

Amaury de Viviés : J’en connais plusieurs, oui, qui ne sont pas tous Français d’ailleurs. Et on le comprend bien : à partir du moment où on a une bonne idée, un bon réseau et une offre de services intéressante, la création d’entrerpise est facilitée.

JOL Press : Quelle devrait être, selon vous, la mesure immédiate que devrait prendre le gouvernement pour encourager les entrepreneurs à rester en France ?
 

Amaury de Viviés : Le gouvernement devrait bien évidemment revoir la politique fiscale mais, pour être plus concret, il devrait surtout faire des distinguos dans la fiscalité entre les créateurs d’entreprise et les actionnaires qui sont rentrés plus tard dans le capital de la société. Deux ou trois ans après la création d’une entreprise, de nouveaux actionnaires arrivent, ils bénéficient de l’histoire de l’entreprise et font une grosse plus-value sur les actions qu’ils ont achetées. Qu’ils soient imposés ne me dérange pas car ils n’ont pas fait grand-chose à part apporter de l’argent dans l’entreprise.

Les actionnaires sont indispensables mais leur intervention dans le fonctionnement de l’entreprise n’a rien à voir avec le travail de l’entrepreneur qui était présent dès le début, qui a mis son argent sur la table et a pris de gros risques pour développer son entreprise. Que ces deux personnes soient taxées de la même manière sous prétexte que l’impôt touche les bénéfices des actions d’une entreprise, c’est choquant. Si on ajoute à cela la taxe à 75%…

JOL Press : Conseillerez-vous à un jeune entrepreneur de venir s’installer au Luxembourg ?
 

Amaury de Viviés : Je lui conseillerais surtout de ne pas s’installer en France. Après tout dépend du secteur dans lequel il se trouve. Si son entreprise à une dimension européenne, Londres est parfait, si elle est spécialisé dans les domaines du web, le Luxembourg est très bien, le e-commerce y est développé : Amazon ou Apple sont installé ici.

JOL Press : « Partout sauf en France », le constat est sévère, voire inquiétant pour l’économie française…
 

Amaury de Viviés : La situation est en effet inquiétante : aujourd’hui il n’y a rien qui retient un entrepreneur en France. Fiscalement, ce n’est pas intéressant. Socialement non plus. On ne peut pas dire que le marché soit particulièrement dynamique et soit en mesure de générer du business capable de faire oublier le reste… Rien n’est fait pour que les entrepreneurs se sentent bien en France.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Quitter la version mobile