Site icon La Revue Internationale

Baisse des marges des entreprises: vers une France «discount»?

bercy-finances-france-recession.jpgbercy-finances-france-recession.jpg

Un repli historique des marges des entreprises, le plus bas niveau depuis 25 ans. Quels sont les facteurs de cette dégradation ? Comment y remédier, comment éviter un décrochage historique et durable qui ferait de la France un pays «discount» ? Le point de vue de Philippe Leroy.

[image:1,l]

Au mois de mars dernier, une note de conjoncture de l’Insee indiquait que le taux de marge des sociétés non-financières françaises avait connu une baisse continue entre le milieu de l’année 2010 et le premier trimestre 2012. Mesuré au coût des facteurs, le taux de marge des entreprises est ainsi passé de 31,1% au troisième trimestre 2010 à 28,9% au premier trimestre 2012.

Il s’agit là d’un repli historique. En effet, les taux relevés ces dernières années atteignent leur plus bas niveau depuis 25 ans. Sur la période 1988-2007 la moyenne se situe en effet à 32%. Après un rebond significatif entre la mi-2006 et le premier trimestre 2008 (33,5%), l’Insee enregistrait néanmoins un brusque repli à 30,5% début 2009, niveau le plus bas depuis 1988. Malgré une légère embellie en 2010 (31%), le taux de marge a plongé de nouveau à 28,9% dès le début de l’année 2012.

Pire, il s’agit aussi du taux le plus bas de toute l’Europe selon les données publiées par Eurostat, puisqu’à titre de comparaison le taux de marge moyen de la zone euro se situe à 38,3% et celui de l’Allemagne à 34,4%.

Décrochage des marges des entreprises françaises : un problème d’offre ou de demande ?

Pour l’Insee, deux facteurs expliquent cette dégradation depuis 2010. Le premier est lié à la hausse des prix des importations, en particulier ceux des produits énergétiques (contribution de -1,6 point). Le second réside dans la hausse des salaires réels plus rapide que celle des gains de productivité (contribution de -0,5 point).

Une analyse que ne partagent pas certains députés et économistes de gauche qui estiment que cette dégradation n’est pas due à des salaires indirects ou directs trop élevés mais avant tout à une dégradation de la demande. « La conjoncture, devenue morose à partir de 2008, a en effet amenuisé les carnets de commandes des entreprises, qui ont réduit leurs ventes, sans qu’elles n’ajustent immédiatement l’emploi à la baisse », explique ainsi Liêm Hoang Ngoc, économiste et député européen (PSE), dans une tribune publiée dans le journal Le Monde  le 7 janvier 2013. « La productivité a donc mécaniquement baissé, le coût unitaire de la main d’œuvre a augmenté et, symétriquement, le taux de marge a diminué. Inversement, lorsque la reprise interviendra, la productivité et le taux de marge se redresseront ».

Attendre le retour de la croissance pour restaurer les marges, il suffisait d’y penser… Reste que face à l’attentisme gouvernemental, les entreprises ont été condamnées à retrouver un peu d’air en licenciant, comme en témoigne le taux de chômage historiquement élevé que connaît actuellement notre pays. Liêm Hoang Ngoc se fait l’interprète de la pensée dominante au PS qui considère que l’absence de demande explique la panne d’investissement de l’économie française puisque les entreprises n’aurait actuellement aucun intérêt à accroître leur stock de capital quand bien même le coût du travail serait abaissé. Il plaide donc pour un soutien à la demande, « qui créé l’offre, et non l’inverse », débat hors d’âge et jamais tranché, comme celui de la poule et de l’œuf.

De fait, l’investissement des entreprises a bien baissé de 0,8% au troisième trimestre 2012 et de 1,2% au quatrième. Sur l’année, le repli s’élève à 0,7%. La contraction est particulièrement marquée du côté de l’investissement en produits manufacturés tandis que les dépenses en services et en construction ont progressé. Ces résultats apparaissent en lien avec la détérioration continue de la balance commerciale qui est passée de +2,5% du PIB en 1998 à près de -2,5% en 2012. Une tendance qui ne peut être attribuée au manque d’attractivité du territoire puisque la France est depuis longtemps l’un des pays de l’UE qui accueille le plus d’investissements directs étrangers (IDE). En vérité, lorsque le solde de la balance commerciale française devient négatif en 2004, on observe une hausse significative des goulots de production des entreprises françaises indiquant que, si elles recevaient plus de commandes, elles ne pourraient pas produire davantage. La forte baisse de cet indicateur enregistrée en 2008, loin de signifier une amélioration des capacités de production des entreprises, correspond au contraire à la chute brutale du taux d’utilisation de leurs capacités de production liée à la crise. Depuis, ces deux courbes suivent une évolution similaire ce qui confirme que l’appareil productif français n’a pas connu de réelle amélioration et que la productivité a décliné.

En bref, même si reprise de la croissance il y avait, les entreprises seraient dans l’incapacité d’augmenter rapidement leur production. Dans ces conditions, croire qu’un retour de la croissance ou qu’une simple hausse de la demande résoudra tous les problèmes de l’économie française relève de la pensée magique.

Des entreprises françaises affectées par des niveaux de prélèvements trop élevés

Les impôts prélevés sur le revenu du capital des personnes physiques et des sociétés reviennent purement et simplement à taxer le capital et à rendre son coût plus élevé. Dans une note du 3 mai 2013, la commission européenne montre que la France fait partie des pays ayant enregistré les plus fortes hausses de la charge fiscale globale entre 2010 et 2011 passant de 42,5% à 43,9%. Selon Eurostat, le taux moyen d’imposition implicite sur le capital atteint désormais 44,4%, soit le taux le plus élevé de tous les pays membres de l’Espace économique européen (EEE). Suite aux réformes fiscales mises en œuvre récemment, la France aura désormais en 2013 le taux maximal moyen d’imposition sur les sociétés le plus élevé de l’UE à 27.

Par ailleurs, la fiscalité du travail est également très lourde malgré d’importantes mesures ciblées. Pour l’OCDE, ces coûts salariaux sont devenus un handicap en raison du positionnement de moyen et bas de gamme des produits français sur le marché. En raison d’une concurrence internationale plus aiguë sur ce type de produits, l’élasticité des prix a crû obligeant les entreprises à rogner leurs marges. Or, la tendance ne paraît pas prête à s’inverser si l’on en croit Denis Kessler pour qui « les deux accords signés par le Medef depuis le début de l’année sur l’emploi et les retraites complémentaires se traduisent par environ 3 milliards d’euros de charges supplémentaires sur les entreprises » (Les Echos, 02/06/2013).

Un avenir « discount » pour l’économie française ?

Durant les Trente Glorieuses, la stratégie d’activité dominante adoptée par les entreprises était celle d’une domination par les coûts qui passait par une réduction des marges et/ou la recherche des coûts de production les plus bas, que des volumes de production plus importants compensaient. Cette stratégie avait un sens dans la mesure où la demande intérieure était très forte. Bien qu’à l’échelle mondiale, la demande reste tirée par l’essor de la classe moyenne dans les pays émergents, les coûts pesant sur le travail et le capital des entreprises françaises ne leur permettent plus de rivaliser avec leurs concurrentes d’Amérique du Sud ou d’Asie. Ce constat avait été d’ailleurs parfaitement intégré puisque la stratégie dominante des Trente Piteuses (1974-2008) (Nicolas Baverez) reposait sur la différenciation. Il s’agit ici d’une politique de l’offre visant à proposer une valeur perçue supplémentaire au produit par rapport à la concurrence. Cette stratégie implique donc d’innover pour apporter toujours plus de sophistication au produit. Ce que des entreprises aux taux de marges pressurés ne peuvent pas faire.

Dans ces circonstances, c’est toute la chaine de valeur qui est affectée. La baisse des marges témoigne en effet d’abord d’une fuite en avant au prix bas dont tout porte à croire qu’elle relève d’une simple stratégie de survie. Les marges faibles ne permettent pas aux entreprises d’investir pour créer une nouvelle offre, pas plus qu’elles ne leur permettent d’investir pour augmenter leur productivité. Elles ne leur permettent pas plus de procéder à des augmentations de salaires substantielles qui seraient, pour les partisans d’une reprise par la demande, la porte de sortie adéquate pour relancer la consommation et donc la production.

L’économie française est donc engagée mutatis mutandis dans le cercle vicieux d’une perte progressive de valeur ajoutée pouvant conduire à un appauvrissement généralisé.

En avril, Benoît Hamon, ministre de l’Economie sociale et solidaire, avait laissé entendre que l’austérité (comprendre une politique défavorable à la consommation) risquait de conduire dans une impasse et à une France low-cost. C’est au contraire à une France discount que risque de mener la politique du gouvernement qui persiste à vouloir taxer le capital à hauteur du travail et prive ainsi les entreprises des capitaux nécessaires pour développer les nouvelles stratégies d’activité dominantes qui leur permettront d’amorcer et d’accompagner le retour à la croissance.

Quitter la version mobile