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Conférence sociale: quelles sont les clés d’une concertation sociale réussie?

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Alors que la future réforme des retraites a déjà réveillé la colère des syndicats, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a affiché sa volonté de faire de la deuxième conférence sociale du quinquennat un « temps fort » consacré à la « bataille pour l’emploi ». Et de rappeler qu’il n’y a qu’une méthode possible : la concertation. « Je veux être la garant d’une concertation réussie », a-t-il affirmé.

Décryptage des outils indispensables pour un bon dialogue social avec Jean-Paul Guillot, président de Réalités du Dialogue Social, une association indépendante qui regroupe des entreprises, des structures publiques, l’ensemble des organisations syndicales et patronales représentatives au plan national et des Fédérations patronales et syndicales. Entretien.

JOL Press : Qu’est-ce qu’une « concertation réussie », selon les mots de Jean-Marc Ayrault ?
 

Jean-Paul Guillot : Pour qu’il y ait concertation, il faut qu’un acteur ait un projet qu’il aimerait soumettre à l’avis des personnes qu’il a choisi de concerter. Plusieurs scénarios sont envisageables. Le concert a bien fonctionné et à la fin de la concertation tout le monde a convergé vers une solution intégrant les préoccupations de celui qui a soumis le projet mais aussi de ceux qui ont été consultés, les acteurs ont alors de concert construit une solution ensemble. Ce qui n’est pas fréquemment le cas, il faut être honnête.

Il existe aussi un stade intermédiaire : j’émets un projet, je concerte les parties prenantes qui sont concernées et je vais intégrer un maximum de propositions de mes interlocuteurs. Ceux qui, dans la concertation, voient leurs éléments repris davantage par le décideur jugent que la concertation n’était pas mauvaise et ceux dont les propositions n’ont pas été reprises diront que la concertation n’a servi à rien. On a un avis différencié sur les résultats de la concertation en fonction des éléments repris par le décideur.

Le schéma devient malencontreux quand quelqu’un annonce son projet, qu’il organise une concertation et que finalement celle-ci n’était que de pure forme puisqu’au terme de la concertation, il n’a écouté personne. C’est un mode qui malheureusement existe et qui fait perdre du temps à toutes les parties.

JOL Press : Quels sont les outils indispensables pour un bon dialogue social ?
 

Jean-Paul Guillot : Avant tout, il faut un respect et une loyauté des acteurs les uns envers aux autres. Je peux avoir un dialogue social qui fonctionne que si aucune information n’est cachée. Un des outils important de la bonne concertation c’est l’information factuelle : savoir dire, par exemple, que telle mesure touche tant de personnes, parler d’un salaire en brut et net, en prime comprise ou non comprise… Une bonne concertation a besoin d’informations explicites et complètes données à tous de la même manière. On appelle cela la délibération : la confrontation des diagnostics en vérifiant que l’on parle bien des mêmes choses, avec le même langage.

Ensuite il faut être clair sur les définitions. Qu’est-ce qu’un « contractuel de la fonction publique » ? Qu’est-ce qu’un « seuil de pauvreté » ? Qu’est-ce qu’un « contrat précaire » ? Il faut toujours s’entendre de la chose dont on veut discuter.

Enfin on a besoin de temps : si on n’a pas le temps pour faire cet exercice, ni pour prendre du recul afin d’ouvrir la concertation, voir la négociation, tout ce que j’ai dit plus haut ne sert à rien.

[image:2,s]JOL Press : Quelle est la principale difficulté que peuvent rencontrer les acteurs pendant une concertation ?
 

Jean-Paul Guillot : Aujourd’hui il y a une très grande méconnaissance de chacun des acteurs de la logique et des attentes de l’autre. Les acteurs ne prennent pas assez le temps de comprendre les objectifs et les contraintes de la partie adverse. Il peut y avoir de vrais désaccords mais très souvent les gens n’ont pas cherché à comprendre ce qui était important pour l’autre, ils se trompent donc de sujet de désaccord.

JOL Press : Quels vont être les sujets d’accrochages lors de la deuxième conférence sociale ? On pense bien évidemment aux retraites…
 

Jean-Paul Guillot : La conférence sociale a quand même vu son ordre du jour profondément modifié au cours des trois derniers mois. Celui-ci a été discuté entre le gouvernement et l’ensemble des partenaires sociaux et ils ont abouti à plusieurs tables rondes qui intègrent différents sujets complémentaires. Après, chacune des organisations a déjà affiché très clairement ses positions : les employeurs disent « hors de questions d’alléger les cotisations », le monde syndical dit « hors de question de déplacer l’âge de la retraite »… Il n’y a aucune surprise.

JOL Press : La concertation entre le gouvernement et les partenaires sociaux, est-ce une nouveauté mise en place par le nouveau gouvernement ?
 

Jean-Paul Guillot : Pas exactement. La loi Larcher du 31 janvier 2007 avait défini que l’Etat ne proposerait pas de loi sans avoir demandé aux partenaires sociaux de se saisir du sujet de façon à ce qu’ils puissent s’exprimer. Il y avait donc depuis 2007 une ouverture à ce qu’on appelle une articulation entre les principes politiques et les accords avec les partenaires sociaux. La rupture se trouve plus dans les discours de fin de campagne du président sortant – qui paraissait très opposé aux corps intermédiaires – et François Hollande.

On a donc assisté à un changement de pratique depuis 2011-2012 mais celui-ci s’inscrit dans une continuité renforcée par rapport à ce que je considère comme un progrès collectif lancé en 2007 et visant à rapprocher les échanges entre la partie gouvernementale et législative et les partenaires sociaux.

JOL Press : La réussite du dialogue social ne tiendrait-elle pas avant tout à une question de communication ?
 

Jean-Paul Guillot : Si on ne s’écoute pas il n’y aura aucune concertation qui fonctionnera, c’est une évidence. Mais je me permets d’insister sur le fait qu’au-delà des anathèmes qui sont souvent distribués aux partenaires sociaux, les positions se sont très largement ouvertes. Les organisations syndicales ne sont plus du tout sur la position consistant à dire que les questions économiques relèvent de la responsabilité du patron et que s’il n’y a pas de marché, les salariés n’y sont pour rien. Les organisations syndicales considèrent aujourd’hui qu’il faut parler de projets industriels, de connaissance de l’environnement, de concurrence mondiale, etc.

Le monde syndical s’est ouvert à la prise en compte des contraintes économique et le monde patronal a évolué lui aussi comprenant l’importance des discussions avec les partenaires sociaux : l’ouverture mutuelle des acteurs à parler de sujets concrets qui intéressent à la fois les entreprises et les salariés est palpable, même si elle n’est pas encore généralisée. On est encore loin de l’optimum, mais au regard de l’histoire, on assiste à une amélioration du dialogue social.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Paul Guillot est docteur d’Etat es sciences économiques. Créateur, dirigeant et administrateur d’entreprises, il est président de Réalités du Dialogue Social (RDS), depuis 2005. Réalités du Dialogue Social (RDS), réunit des entreprises, des structures publiques et l’ensemble des organisations patronales et syndicales représentatives au plan national. Lieu d’échange ouvert, l’association s’attache à promouvoir un dialogue social de qualité.

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