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Contre le travail informel, les Espagnols créent un «bureau précaire»

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Depuis que le Bureau précaire a lancé la campagne contre les stages abusifs, « No más becas por trabajo » (« Plus de boursiers pour travailler »), des dizaines de témoignages affluent chaque jour sur le site de l’association. « J’ai entendu le manager de mon entreprise dire qu’il aimait bien les stagiaires parce qu’ils sont peu chers, efficaces et très motivés », lance un internaute. « C’est la troisième fois que je travaille comme boursier et que ne peux pas cotiser pour la sécurité sociale », déplore un autre. « Non seulement, le gouvernement diminue les budgets de l’éducation, de la santé, et des services sociaux, mais désormais il s’en prend aussi au plus important : notre dignité. Il nous poussent à la précarité avec des salaires de misère », dénonce à son tour l’association. 

Lancée par le collectif Jeunesse sans futur dans le but de dénoncer l’exploitation des travailleurs, la Oficina Precaria entend lutter contre le travail au noir, en plein boum, mais aussi contre les licenciements abusifs et la multiplication des stages dits de « formation ». Eclairages de Pablo Castaño.

JOL Press : Dans quel contexte est née la « Oficina Precaria » ?
 

Pablo Castaño : Le Bureau précaire a été créé par les militants de Juventud Sin Futuro (Jeunesse sans futur) pour établir une connexion entre les problématiques étudiantes et le marché du travail. L’idée de départ était de dénoncer la précarité de la jeunesse espagnole. La Oficina Precaria a été le moyen de défendre nos droits de manière plus concrète, en offrant aux jeunes un outil qui les soutient et les aide : ceux qui sont une situation précaire, les chômeurs, ceux qui enchaînent les petits boulots ou ceux qui travaillent au noir. Le besoin était réel car les syndicats traditionnels ne sont pas suffisament puissants pour nous venir en aide.

JOL Press : Concrètement, comment ce bureau précaire vient-il en aide aux jeunes ?
 

Pablo Castaño : La Oficina Precaria est l’équivalent de Génération précaire en France. Cette association offre une assistance juridique gratuite pour dénoncer les conditions de travail illégales et les stages abusifs. Nous avons lancé plusieurs campagnes dont la dernière en date, « No más becas por trabajo » : une campagne très spécifique qui dénonce les stages déguisés en emplois. Un étudiant censé faire un « stage de formation » pour apprendre le métier avec un tuteur, se retrouve à faire le même travail qu’un celui d’un salarié. Seule différence : il n’est pas ou très peu payé. Il y a énormément de cas similaires en Espagne. Je connais des étudiants en journalisme, ou même des journalistes diplômés qui travaillent huit heures par jour pour seulement 200 euros par mois. Pour ma part, je suis actuellement en stage dans un cabinets d’avocats et, en gagnant 800 euros par mois, je n’ai jamais été aussi bien rémunéré. 

La Oficina Precaria œuvre également pour la promotion du travail coopératif, pour proposer aux jeunes des alternatives structurelles pour la création d’emplois. L’association met en contact des jeunes avec des coopératives, fournit de l’information économique et juridique pour ceux qui veulent lancer une coopérative.

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JOL Press : La crise a t-elle multiplié les abus des employeurs ?
 

Pablo Castaño : Les employeurs prennent le prétexte de la crise pour ne pas respecter les droits des travailleurs. Il y a beaucoup de chômage. La législation pousse à la faute. Le gouvernement tente de mettre en oeuvre des réformes du droit du travail mais malgré cela, les stages illégaux pullulent. 

JOL Press : Comment les jeunes vivent-ils la crise au quotidien ?
 

Pablo Castaño : Je suis en dernière année de fac de droit. La plupart de mes proches que je connais songent à émigrer en Allemagne ou en Amérique latine. La campagne « No nos vamos nos echan », Jeunesse Sans Futur a voulu mettre le doigt sur cet exil forcé des jeunes espagnols. Mais j’ai l’impression que l’atmosphère d’aujourd’hui est  partagée entre révolte et résignation. 

Concernant l’exil, nous sommes la génération la mieux formée en Espagne, et pourtant nous sommes en train d’exporter nos connaissances à l’étranger. Plusieurs ministres ont qualifié ce phénomène de « mobilité extérieure », expliquant que c’était une fierté pour le pays. Mais ce n’est en réalité pas une question de fierté : nous avons eu la chance de beaucoup étudire, notamment grâce à nos parents mais désormais nous devons parti pour que d’autres pays profitent de l’effort fourni par l’Espagne pour nous former. L’idée de la campagne « No nos vamos nos echan » c’était de politiser cela et de montrer quelles causes précises nous ont conduit à cette situation dramatique.

JOL Press : La crise a-t-elle fait émerger un sentiment de solidarité entre les Espagnols  ?
 

Pablo Castaño : Depuis 2011, grâce aux mobilisations sociales, la frustration et la rage des gens s’est canalisée à travers des mouvements démocratiques et progressistes. Ce phénomène nous a permis d’éviter une montée de l’extrême-droite ou de mouvements néofascistes comme en Grèce ou en France. Je ne sais pas si la solidarité s’est renforcée avec la crise, mais je suis sûr que nous avons évité une croissance de la xénophobie.

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JOL Press : Selon toi, quel est l’avenir des Indignés espagnols ?
 

Pablo Castaño : Pour le deuxième anniversaire des Indignés, nous avons assisté à une floraison d’articles et de reportages sur l’essoufflement du mouvement. Mais, les Indignés, ce n’est pas une organisation, ni un syndicat, ni un parti : c’est une atmosphère de mobilisation. La mobilisation massive que nous avons connu il y a deux ans s’est aujourd’hui transformée en une mobilisation plus précise, sur des sujets sectoriels. Il y a eu par exemple de grandes manifestations contre la privatisation de la santé, pour la création du collectif PAH contre les expulsions ou encore de la Oficina Precaria…

JOL Press : La mobilisation continue donc ?
 

Pablo Castaño : Oui, finalement je pense que nous sommes davantage mobilisés qu’il y a deux ans. Nous avons réussi à convaincre la plupart des gens que la crise n’était pas de notre faute – comme certains ont essayé de nous le faire croire – mais de celle des profiteurs de cette crise. Toutes ces mobilisations ont entrainé un vrai changement des consciences.

Propos recueillis par Louise Michel D. 

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