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«De Gaulle savait que la radio pouvait être une arme redoutable»

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JOL Press : Le 18 juin 1940, le général de Gaulle lance son appel sur les antennes de la BBC. Pourquoi avoir choisi ce mode de transmission ?
 

Aurélie Luneau : De Gaulle, homme de terrain et théoricien de l’arme blindée, était un officier très sensible à l’évolution des techniques de communication et de transmission. Déjà dans son livre Vers l’armée de métier, publié en 1934, il avait souligné l’importance de la radio comme moyen de liaison à développer sur les champs de bataille. « Demain, c’est par la parole que seront transmises toutes les communications », écrivait-il alors. Très tôt la radiophonie fut, pour lui, un formidable moyen offert au chef pour se faire entendre de ses hommes.

La pratique même du micro ne lui était pas inconnue. Contrairement au mythe qui veut que son premier appel à la résistance fut celui du 18 juin, lancé depuis un studio de la BBC, il en avait déjà fait l’expérience sur le terrain. Le 21 mai 1940, à Savigny-sur-Ardres, entre Reims et Soissons, il répondit aux questions d’un officier des services de propagande du GQG (Grand Quartier Général), le capitaine Alex Surchamp, et prononça sa première allocution radiophonique dans laquelle il tenta de lutter contre le défaitisme et exposa sa force de conviction en l’arme blindée. Ce message radio préfigure l’appel du 18 juin et contient une même ligne de pensée.

Ainsi, la radio comme vecteur de sa pensée et de sa parole était une évidence pour le général de Gaulle. « La première chose à faire était de hisser les couleurs. La radio s’offrait pour cela », écrira-t-il plus tard dans ses mémoires de guerre.

JOL Press : L’appel du 18 juin reste ancré dans toutes les mémoires. Pourtant, il semble que l’appel ait été en réalité peu écouté ce jour-là. Ne doit-on pas plutôt parler des appels de juin ?
 

Aurélie Luneau : Il est bien difficile, aujourd’hui encore, d’apprécier l’audience du général de Gaulle ce soir du 18 juin 1940.

Si l’on en croit les témoignages des acteurs de la Seconde Guerre mondiale et les récits laissés dans cette histoire reconstruite a posteriori, beaucoup affirment avoir entendu le fameux appel du 18 juin. Mais c’est oublier la situation dramatique vécue par une bonne partie de la population française, jetée sur les routes, fuyant l’ennemi allemand et entraînée dans cet exode massif très marquant pour les esprits.

À cette date, la France compte 6,5 millions de postes récepteurs que l’on a tendance à écouter en famille ou entre amis. Des hommes comme l’écrivain Charles Rist, l’avocat et homme politique Pierre Mendès France, Maurice Schumann – le futur porte-parole du général sur les antennes de la BBC – ou encore l’homme de radio André Gillois se souviennent très précisément de cet appel entendu dès le 18 juin au soir.

« Le général micro »

Mais son texte fut redonné à l’antenne, à plusieurs reprises, dans les 24 heures qui suivirent, lu, semble-t-il, par des speakers de la radio anglaise. Il avait annoncé qu’il reviendrait à l’antenne le lendemain, le 19 juin, mais il n’en fut rien. Il faudra attendre le 22 juin pour l’entendre à nouveau s’adresser aux Français via le micro de la BBC.

En tout cas, avec l’appel du 18 juin, de Gaulle fit entendre une voix dissidente sur les ondes anglaises et ouvrit la perspective de la poursuite de la guerre, ailleurs et autrement. Une voix, un homme sans visage, bientôt caricaturé sous les traits du « général micro » par les propagandistes allemands, mais surtout un vent d’espoir pour les Français de l’hexagone.

JOL Press : Que pouvait-on entendre sur Radio Londres entre 1940 et 1944 ?

Aurélie Luneau : Depuis la crise de Münich, en septembre 1938, et jusqu’à la défaite de la France face aux armées allemandes, les émissions de la BBC en langue française offraient aux auditeurs quelques bulletins d’informations quotidiens, auxquels s’ajouta une émission intitulée « Ici la France » (de 20h30 à 20h45) confiée au journaliste Jean Masson le 19 juin 1940. Mais au lendemain de l’armistice, celui-ci fut rappelé en France et l’émission fut alors reprise le 24 juin, de 20h30 à 21h00, par Pierre Bourdan, de son vrai nom Pierre Maillaud, journaliste de l’Agence Havas à Londres. Toutefois, dans cette situation dramatique pour leur allié français, les Anglais surent très vite que la radio serait désormais le seul lien unissant les deux pays et décidèrent de constituer une équipe plus ambitieuse avec ses programmes et ses aspirations nationales.

Ils en confièrent la conception au metteur en scène Michel Saint-Denis, alias Jacques Duchesne qui constitua son équipe à l’image d’une troupe, avec des hommes d’horizons et de sensibilités variés (artiste, peintre, antiquaire, journalistes, etc.). Parmi eux il y avait Pierre Bourdan, chargé des commentaires de nouvelles, Yves Morvan, alias Jean Marin, Jean Oberlé, ancien correspondant du quotidien Le Journal, Pierre Lefèvre, jeune soldat, le poète et homme de cinéma Jacques Borel (Brunius à la radio), et le dessinateur-antiquaire Maurice Van Moppès que Duchesne transforma en chansonnier. À partir de la fin de l’année 1943, Pierre Dac compléta l’équipe.

Le 14 juillet 1940, à 20h30, l’équipe commença son œuvre sous le même intitulé « Ici la France ». Ils ne prendront le nom des « Français parlent aux Français » que le 6 septembre 1940.

Soutenir le moral des Français, dire la vérité

Leur objectif et ligne de conduite tenaient en quelques règles simples : soutenir le moral des Français, dénoncer la situation du pays, s’élever contre la propagande allemande, informer les compatriotes, dire la vérité, faire confiance aux Français, et ne rien camoufler de la gravité de la situation. Outre les bulletins d’informations, et quelques émissions spécifiques dans la journée, ce sont des commentaires des nouvelles, des causeries, des témoignages, des reportages, des sketchs, des saynètes et des chansons qui rythmèrent bientôt la vie des concitoyens à l’écoute.

Ainsi « Radio Paris ment, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ! » connut son heure de gloire, sans parler des messages codés, intrigants et fascinants à la fois, qui servaient de moyens de communication entre les services secrets britanniques, leurs agents et les mouvements de résistance en France. « L’étoile filante repassera », « Melpomène se parfume à l’héliotrope », « La lune est pleine d’éléphants verts »…

Parallèlement, Churchill offrit au général de Gaulle un temps d’antenne quotidien. A partir du 18 juillet 1940, de 20h25 à 20h30, sous le titre Honneur et Patrie, La France Libre disposa de cinq minutes d’antenne à la BBC. Animé par Maurice Schumann, porte-parole du Général, ce rendez-vous fut rediffusé, dès le 9 décembre, dans le bulletin d’information de midi et connut un succès immédiat. Et même si De Gaulle n’y intervenait que rarement (67 fois sur la période de la guerre), pour les auditeurs, écouter la radio de Londres, c’était « écouter de Gaulle ! ». Méprise évidente, car les instances britanniques exerçaient une censure très stricte sur les contenus de toutes les émissions diffusées sur leurs antennes.

JOL Press : Quelles étaient les différentes techniques utilisées par Radio Londres pour pousser les Français à résister ?
 

Aurélie Luneau : Ce fut tout d’abord une guerre des mots qui se matérialisa, à l’antenne, par des appels à rejoindre Londres, et pour ceux qui n’en avaient pas la possibilité, des incitations à entrer en résistance passive, celle des esprits et du cœur. « Ne pas désespérer, garder l’espoir, ne pas armer le bras de l’ennemi, refuser l’occupation, se tenir prêt. » Mais au-delà d’une guerre des mots, la BBC fit rapidement basculer ses auditeurs dans une guerre d’action.

Meneur de foule

C’est le général de Gaulle qui en prit l’initiative, ayant eu vent de signes probants d’un creuset de résistance civile existant en France. Le 1er janvier 1941, il enjoignit les Français à faire le vide dans les rues de France, de 14h à 15h en zone libre et de 15h à 16h en zone occupée. « Aucun Français ne passera dans les rues de nos villes et de nos villages. Il ne s’y trouvera que l’ennemi ! », lança-t-il à l’antenne.

Après cette première tentative de mobilisation des Français, d’autres suivirent comme la fameuse campagne des V qui incita les compatriotes à tracer des V en signe de victoire partout en France, sur les murs, les arbres, les trottoirs… Le succès fut tel que les Allemands n’eurent d’autre solution que de récupérer le V à leur compte (V pour Victoria).

Les initiatives se poursuivirent à l’occasion d’anniversaires marquant l’histoire du pays, comme les 1er mai, les 14 juillet, les 11 novembre, dates auxquelles les speakers de Londres appelèrent les auditeurs à entrer en résistance « civile », non violente et à afficher leur opposition à la situation vécue en France. Des mots d’ordre de manifestation furent lancés à la population française, relayés en France par les mouvements de résistance et d’autres radios alliées (Radio Brazzaville, Radio Moscou à partir de l’été 1941, la Voix de l’Amérique, ou Radio Alger à compter du printemps 1943).

Aux dates et heures données, des cortèges d’hommes, de femmes et d’enfants défilèrent devant les monuments aux morts, sur les places publiques, devant les mairies, par milliers, certains arboraient les trois couleurs nationales, d’autres le V de la victoire.

La radio de Londres s’était muée en meneur de foule, avec l’espoir, le jour venu, de coordonner ces forces auxiliaires et de s’assurer de leur soutien en vue de la libération !

JOL Press : Y a-t-il eu d’autres expériences radiophoniques de la résistance, en France et à l’étranger ?
 

Aurélie Luneau : En cette même période, cette expérience radiophonique de la résistance est unique en son genre. La BBC s’est muée en une arme de guerre redoutable, donnant un temps d’antenne à des gouvernements en exil et à la France libre du général de Gaulle. Plus tard, cette technique d’utilisation de la radio comme un vecteur de résistance sera reprise dans d’autres conflits (comme dans les pays de l’Est, par exemple).

JOL Press : Peut-on dire que l’appel du 18 juin a été, pour le général de Gaulle, un moyen de légitimer son pouvoir ?
 

Aurélie Luneau : Le 18 juin 1940, la radio fut son porte-voix. Elle lui a donné une stature et en a fait un homme vers lequel tous les espoirs convergeaient. Le porte-drapeau d’une résistance possible, outre-Manche, et  l’homme du refus du renoncement face à l’ennemi nazi.

En cet été 1940, il ne s’agissait pas, pour lui, de prendre la tête d’une armée à l’étranger, mais d’être la voix de la France qui résiste. De Gaulle savait que la radio pouvait être une arme redoutable ; il s’en servit avec un sens du rythme et des mots qui allait captiver nombre d’auditeurs et lui permettre d’agréger autour de lui des forces de résistance indispensables pour la suite du combat.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Aurélie Luneau est docteur en Histoire, diplômée en sciences politiques et journaliste. Elle a soutenu sa thèse sur le rôle de la BBC dans la Résistance, publiée sous le titre Radio Londres. Les voix de la Liberté. 1940-1944 (collection Tempus, 2010). Un livre audio (éditions Livrior) contenant des archives sonores est également disponible.

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