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Des candidats jeunes: une stratégie payante pour le FN?

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« C’est une nouvelle confirmation, encore plus forte que les autres, qu’il y a une dynamique extraordinaire autour du Front national, du Rassemblement Bleu Marine », a déclaré vice-président du FN Florian Philippot sur i-Télé, à la proclamation des résultats de la législative partielle du Lot-et-Garonne, ce dimanche.

Le second tour de l’élection se déroulera en effet entre le maire UMP de Fumel, Jean-Louis Costes, arrivé en tête avec 28,71% des voix, et Étienne Bousquet-Cassagne, le jeune candidat du Front national qui a obtenu 26,04% des voix. Ce score augmente de plus de 10 points le score du candidat FN au premier tour des législatives de juin 2012 : Catherine Martin avait alors obtenu 15,71% des suffrages. A 23 ans, le candidat du FN s’est même offert le luxe d’arriver en tête des suffrages dans la ville de Villeneuve-sur-Lot. Mais pour quelles raisons le FN choisit-il des candidats si jeunes ? Eléments de réponses avec Jacques Le Bohec, professeur en Sciences politiques et spécialiste du Front national.

JOL Press : Etienne Bousquet-Cassagne, 23 ans, est étudiant en BTS Commerce. L’âge de ce candidat est surprenant surtout si l’on considère qu’en cas d’élection dimanche prochain, les deux députés FN auraient le même âge. Comment expliquer ce choix du parti ?
 

Jacques Le Bohec : Il ne faut pas s’emballer. Il ne sera sans doute pas élu. Certes, il a obtenu un score assez élevé, même s’il y a un certain nombre de circonscriptions aujourd’hui où le Front national obtient plus de 20%. Comment expliquer ce choix ? Plusieurs facteurs explicatifs. Le premier, qu’il avait déjà fait un bon score l’année dernière : 17,93%, dans la 2e circonscription de Lot-et-Garonne. En découle alors une certaine crédibilité électorale au sein du FN, à l’échelle nationale et locale. Jusqu’à être investi. De plus, il est responsable de la section jeunesse en Aquitaine, ce qui lui octroie un minimum d’expérience du militantisme et des troupes mobilisables pour mener une campagne. Autre élément, ce garçon n’a pas l’apparence du skinhead, de l’extrémiste de droite stéréotypé, dans le style des meurtriers de Clément Méric. Ce n’est pas la première fois et cela s’incrit dans une stratégie national du parti de Marine Le Pen de ne pas jouer la provocation systématique.

Mais il faut aussi savoir qu’au FN, les militants ou d’adhérents susceptibles de représenter le parti aux élections ne sont pas très nombreux : on se souvient de candidats qui se retrouvent sur les listes sans même en avoir émit la volonté… Les dirigeants sont désireux de trouver des gens « présentables », qui font ou ont fait des études supérieures et disposent d’un vocabulaire étendu et châtié. Enfin, c’est aussi un fils de bonne famille, fils du président de la Chambre d’agriculture du département, d’un notable du cru autrement dit. Il bénéficie donc aussi de la renommée familiale locale. Jean-Marie Le Pen lui-même, fin 1983, avait également choisi comme suppléant un jeune fils d’ostréiculteur de La Trinité-sur-mer ancien champion de France de moto enduro devenu handicapé moteur, poertant barbe et cheveux longs comme un hippie.

JOL Press : Comment cela s’explique-t-il ?
 

Jacques Le Bohec : Dans tous les partis politiques, il n’est pas toujours évident de trouver des candidats pour toutes les élections. On sait en effet que les effectifs officiels donnés par un parti doivent être divisé par deux si l’on veut connaître le nombre réel de candidats potentiels. Ce n’est pas simple non plus de trouver des militants, adhérents, capables de parler en public, qui aient un minimum de gages de fidélité au parti et qui ne soient pas trop âgés. Ils recherchent en permanence des gens, des diplômés la plupart du temps. Etienne Bousquet-Cassagne est étudiant en BTS Commerce, on peut donc penser qu’il sait soigner sa présentation et sa manière de parler.

On sait aussi que ce qui compte au FN, c’est beaucoup moins les caractéristiques du candidat que l’étiquette officielle qui lui est accolé par l’investiture. L’année dernière, certains candidats à l’élection législative mettaient sur leurs affiches de campagne la photo de Marine Le Pen et pas la leur, c’est très révélateur. Ces candidats ont compris que les électeurs ne viennent pas voter pour eux personnellement, mais pour une marque politique bien connue voire pour un patronyme nationalement bien connu aussi. Au point d’être intégrés dans le langage courant à partir de la prononciation bretonne : lepénisation, lepénistes, etc. Les caractéristiques personnelles et sociales des candidats sont à prendre à compte, mais ce n’est sans doute pas elles qui expliquent en priorité le score obtenu dimanche dernier.

JOL Press : Le FN tente t-il ainsi de renouveler son personnel politique afin de rompre avec les années Jean-Marie Le Pen ?
 

Jacques Le Bohec : Je pense plutôt qu’il y a un renouvellement mécanique, les générations se succèdent fatalement. Les militants de 70 ans peuvent difficilement se présenter aux élections législatives. Ce serait intéressant par exemple de reprendre la liste des candidats présentés par le FN aux élections européennes du 17 juin 1984. Une bonne partie sont décédés.

Ce qui est plus pertinent me semble-t-il, c’est de voir l’intérêt que présente une élection partielle pour un parti comme le FN : score interprétable comme un test national ou un sondage grandeur nature ; couverture médiatique intense en cas de résultat « surprenant » (or les journalistes sont facilement surpris) ; circonscription qui étaye le discours antipolitique ordinaire (tous menteurs, tous pourris, tous magouilleurs) avec le cas Cahuzac. Qui permet de ressortir des jeux de mots comme le « front ripoublicain ». Quand on sait que Jean-Louis Costes, le candidat UMP, est d’après Annie Carpentier (le parti d’en rire, La Feuille) membre d’une organisation (MIL) issue du SAC (gaullistes ultra-réacs) et qui défend des idées xénophobes et islamophobes, on nage en pleine confusion alors que c’est Harlem Désir, ancien leader de SOS-Racisme, qui est à la tête du Parti « socialiste » et qui appelle à voter en sa faveur !… Mais les « socialistes » n’ont sans doute pas fini de subir les effets négatifs de leurs propres atermoiements stratégiques et reniements idéologiques.

JOL Press : Quel crédit porter à un si jeune parlementaire au vue de sa petite expérience ?

Jacques Le Bohec : La même crédibilité qu’on porte à un journaliste ou un enseignant de 23 ans. Oui, certains présentateurs et interviewers sur les chaînes d’information en continue sont si jeunes que l’on s’interroge sur leur aptitude à connaître les sujets qu’ils traitent. Etienne Bousquet-Cassagne est encore étudiant, comme l’est Marion Maréchal Le Pen, mais le législateur a considéré que quelqu’un de 23 ans était suffisamment adulte pour siéger à l’Assemblée. Ce n’est pas une question d’âge. Comme le chantaient Georges Brassens ou Jacques Brel : « l’âge ne fait rien à l’affaire », on peut être con (ou intelligent) à tous les âges. Si on veut faire baisser les votes Le Pen/FN, je ne crois pas que l’âge des candidats soit un argument très percutant. 

JOL Press : Quel est l’avenir politique ou professionnel de si jeunes candidats ? Ne prennent-ils pas de gros risques en s’impliquant si jeunes dans des partis réputés extrémistes ?
 

Jacques Le Bohec : Cela dépend. En théorie, vous avez raison. Il y a le risque d’être marqué à vie et de voir son avenir professionnel sinon bouché, en tout cas perturbé. C’est un choix qui correspond sans doute à une ambition politique personnelle, réfléchi en toute connaissance de cause. Comme d’autres qui militent dans des partis stigmatisés par les grands médias nationaux, comme le Parti communiste ou le NPA. Il a manifestement décidé de se lancer dans la carrière politique au sein du FN et ce parti lui réserve sans doute, à la suite de son bon score, une place de choix dans la composition des listes pour les futures élections européennes.

Même s’il ne succède pas à Jérôme Cahuzac, il deviendra peut-être député européen l’année prochaine dans le cadre de la circonscription du Sud-ouest s’il est placé en haut de liste. Il s’agit d’un parti qui, grâce au mode de scrutin proportionnel, dispose d’une réserve d’emplois électifs à distribuer. Certes en fonction des scores obtenus, mais on ne voit pas le FN refluer électoralement d’ici là. Le FN avait obtenu 5,94% dans cette région en 2009, mais la probabilité est forte pour que ce pourcentage soit multiplié par deux, trois ou quatre le 25 mai 2014. Aux dernières élections cantonales à Villeneuve-sur-Lot, le candidat FN a reccueilli 40% des votes.

Il paraît bien plus risqué, étant donné le moindre potentiel électoral en l’état actuel des choses, d’être marqué jeune comme proche du parti communiste ou d’un parti trotskiste. Surtout qu’à l’instar de Marion Maréchal-Le Pen, ce jeune candidat dispose de capitaux hérités familialement qui le mettent à l’abri d’une relégation sociale cruelle en cas de déconvenue politique.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Docteur en science politique, Jacques Le Bohec est Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université Lumière (Lyon II). Il est l’auteur entre autres de Les interactions entre les journalistes et J-M Le Pen (Editions L’Harmattan – octobre 2004), Sociologie du phénomène Le Pen (Editions La Découverte – septembre 2005) et Gauche-droite. Genèse d’un clivage politique, co-dirigé avec Christophe Le Digol, (PUF – juin 2012)

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