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E3 2013: dans la guerre des consoles, seul le joueur peut perdre

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Le salon de l’E3 ouvre ses portes à Los Angeles où il se tiendra du 11 au 13 juin. Créé en 1995, l’Electronic Entertainment Expo est le plus grand salon mondial dédié à l’industrie du jeu vidéo. Cette année, c’est à une guerre des consoles de salon que devrait se livrer les constructeurs. Le point de notre expert du secteur, Victor Yougo. 
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Il y a huit ans Microsoft, Sony et Nintendo montaient sur le ring pour un nouveau round dans la guerre des consoles. Alors qu’un trio belliqueux se dessinaient, Apple est venu challenger les boxeurs sur un ring qu’il n’avait jamais occupé aupravant. Huit ans, c’est extrêmement long dans une industrie qui peut prendre des virages radicaux à chaque innovation technique. Et que dire du terrain parcouru, Apple s’est assis sur le trône du monde avec son iPhone et son iPad dynamitant les perspectives d’avenir du jeu vidéo, le jeu en ligne s’est standardisé, le jeu sur tablette, sur mobile ou sur les réseaux sociaux ont fait exploser le nombre de joueurs, Sony est passé de maître incontesté de l’industrie vidéoludique et électronique à bête blessée, Microsoft est devenu un constructeur de console crédible et Nintendo est monté sur un grand huit entre succès et échec cuisants.
 
Le cycle des consoles X360, PS3 et Wii touche à sa fin pour l’ouverture de l’E3 2013 où la nouvelle génération de console devrait être détaillée. L’E3, c’est l’Electronic Entertainment Expo, rendez-vous annuel à Los Angeles, entre constructeurs, éditeurs et presse de l’industrie vidéoludique. Chaque année, lorsque le printemps vient mourir aux pieds de l’été, les puissants du jeux-vidéo se réunissent pour présenter leurs futurs produits phares.

La fin du jeu d’occasion

Les traditionnelles conférences des constructeurs qui signent le départ de l’E3 commencent lundi 10 juin avec la conférence de Microsoft. Point d’enthousiasme béat du côté des joueurs, la PS4 et Xbox One n’apportent que crainte et anxiété. Chaque changement de génération de console à amener son lot d’innovations, la 3D, les sticks, le CD, le DVD, le jeu en ligne, le motion gaming, pour une plus-value non-négligeable pour l’expérience de jeu. Chaque évolution s’est accompagnée d’un élargissement conséquent du nombre de consommateurs. Cette année, PS4 et Xbox One attisent la curiosité autant que la frilosité, et pour cause… Microsoft a abattu ses cartes : Le jeu d’occasion ? C’est fini. L’expérience non-connectée ? À oublier. Le prêt ou la revente entre copains ? Une époque révolue.

Du point de vue du consommateur, ces décisions sont inconcevables et injustifiables. Elle lèse le joueur et le prive de ce que ses consoles lui offraient depuis 25 ans. Pourquoi Microsoft mais aussi certainement Sony foncent-ils dans le mur ? L’industrie du jeu est engluée dans le paradoxe suivant : elle engrange un volume de chiffre d’affaires de plus en plus élevé mais est de moins en moins rentable. La base de consommateurs explose et, de façon parallèle, des studios sont fermés faute de projet profitable. En huit ans, les coûts de développement ont explosé et la tendance devrait se poursuivre sur PS4, Wii U et Xbox One. 

Un changement d’époque

Les comportements du consommateur ont été transformés par Apple, Valve, Amazon et les grandes surfaces. Le premier a mis à disposition une offre pléthorique de jeu (de qualité inégale) à moins de cinq euros. Le second offre les meilleurs jeux du moment à des prix imbattables sur sa plate-forme Steam (jusqu’à 90% de réduction sur des jeux sortis il y a moins d’un an). Le troisième et quatrième pratiquent le dumping en offrant les jeux neufs à 55€ de moyenne contre 70€ en magasin. Les grandes surfaces ont fait du jeu un produit d’appel, peu importe qu’elles ne touchent pas énormément d’argent sur un jeu tant que le consommateur vient faire ses courses chez elles. Cela a eu pour effet d’altérer la valeur perçue par le consommateur d’un jeu vidéo. Pourquoi payer un jeu neuf 70€ lorsque je peux en trouver pour dix fois moins cher ?
Du côté de la distribution, Game est tombé au champ d’honneur, la Fnac n’est pas rentable et peine à trouver un business model salvateur, Virgin a rendu son dernier souffle il y a deux mois, les petits indépendants ressemblent à ce petit village gaulois en résistance et Gamestop (groupe américain détenant entre autre la chaine Micromania, leader en France) tente de survivre face à l’apparition du dématérialisé et des prix cassés. Du côté des éditeurs, on rentre rarement dans ses frais sur les projets AAA (budget élevé, qualité élevée et risque élevé), la bulle du jeu social a éclaté (Zynga a qui l’ont promettait un avenir à la Google licencie massivement), le free-to-play (jeu jouable gratuitement mais où les micro-transactions font parti des mécanismes de jeu) cherche la bonne formule sans vraiment la trouver. Pour réduire au maximum les risques, les éditeurs copient les formules qui marchent jusqu’à l’écoeurement entrainant une uniformisation de l’offre – le dernier Tomb Raider est par exemple un Best-of des huit dernières années du jeu vidéo. En bref, le jeu vidéo est dans une période de renouvellement et d’évolution, ceux qui sauront s’adapter survivront, les autres mourront en un instant dans un processus darwinien. 

La bataille des constructeurs

Face à un avenir incertain et mouvant, les constructeurs parient sur le salon. La bataille se jouera sur l’écran principal de la pièce à vivre. Microsoft a clairement annoncé la couleur lors de la présentation de la Xbox One : la dernière née de Microsoft peut faire télévision mieux que votre télévision, le firme de Redmond a par exemple signé un contrat mirobolant de 400 million de dollars avec la NFL pour du contenu exclusif pour ceux qui auraient l’idée de passer par leur console pour regarder le football américain. Dans le même temps, le constructeur américain verrouille tout, plus question qu’un seul dollar n’échappe aux éditeurs et aux constructeurs. Là où il est tout à fait normal de revendre une voiture pour s’en acheter une autre, l’industrie du jeu vidéo trouve l’occasion insupportable. Microsoft s’est ainsi assuré de ponctionner une dime sur chaque jeu revendu. Les revendeurs agréés pourront reprendre votre jeu, désactivant sa licence d’utilisation et reversant une partie à Microsoft et à l’éditeur, si l’éditeur en a décidé ainsi. Si le vendeur n’est pas agréé, il n’est pas possible de revendre son jeu. Fini la revente entre particuliers. On pourrait même dire qu’il en est fini de la propriété.
Cela ressemble étrangement à de la location qui ne dit pas son nom, on octroie au consommateur une licence d’utilisation, rien de plus. Le prêt sera autorisé sur une seule console. Le joueur aura l’obligation de connecter sa console à internet au moins une fois toutes les 24h pour pouvoir continuer de jouer. Microsoft s’assure ainsi que tous ses consommateurs fréquentent son market place rempli de publicités et d’offres additionnelles. Sony n’est pas en reste, si le constructeur japonais joue au roi du silence sa stratégie ne devrait pas différer. Les bruits circulant en interne parlent d’un système équivalent pour l’occasion même si plus souple.

Un enthousiasme modéré

Ce qu’il y a d’effrayant à l’aube du plus grand salon du jeu vidéo, c’est qu’il n’invite aucunement à l’espoir de vivre des expériences marquantes, oniriques et magiques. Le joueur sait qu’il perdra des droits mais ignore ce qu’il y gagnera. L’évolution graphique devrait être de mise, même si elle sera moins impressionnante, forcément vu les prouesses techniques déjà saisissantes de nos mamies PS3 et X360. Ces trois jours de salon devrait tout de même offrir son lot de spectacle avec de nouvelles licences ou des suites palpitantes de nos jeux préférés.
 
L’évolution ne sera pas dans le contenu des jeux mais du côté des business model. Le free-to-play arrivera avec fracas sur les consoles, les micro-transactions seront légion, les jeux deviendront des services plutôt que des produits (augmenter la rétention du joueur sur un titre pour augmenter la probabilité qu’il dépense ses deniers en micro-transactions), mais le contenu devrait peu ou prou rester le même. Face à ce noir constat, la magie de l’E3 pourrait toujours nous contredire, mais l’entr’aperçu du futur pousse au scepticisme et à la consternation.
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