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Election en Iran : le régime en sortira-t-il indemne?

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La campagne électorale en Iran, accompagnée par l’éviction d’Hachémi Rafsandjani, une figure-clé du régime, consacre un verrouillage sans précédent dans les annales de la République islamique et pose la question de la capacité de la dictature religieuse à surmonter le laminage de sa base. Nous avons abordé l’enjeu  de la présidentielle iranienne avec l’écrivain et journaliste Bertrand Delais, qui vient de publier un nouveau livre, « Iran : un brasier sous les cendres »*, présenté lors d’un récent colloque, organisé à Paris et intitulé «  Iran: la présidentielle du 14 juin à l’aune des confrontations entre factions ». Entretien avec Bertrand Delais.

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Quatre ans après le soulèvement populaire de 2009, quel est l’enjeu de cette élection ?

Le régime est sorti fortement fragilisé de l’épisode post-électoral de 2009, qui a vu des millions d’Iraniens descendre dans la rue pour revendiquer la fin de la dictature du Guide suprême. Tout le monde a vu que c’est par la répression que ce pouvoir a pu tenir, mais jusqu’à quand ? En écartant Rafsandjani, le régime a voulu éviter le risque d’ouvrir réellement le débat électoral dans la société, comme cela s’est produit en 2009 à la suite des débats télévisés entre les candidats qui ont déballé le linge sale du sérail en public. Mais, en écartant Rafsandjani, c’est un pilier de cette théocratie qu’on fractionne. Il y a aussi les sympathisants de la bande à Ahmadinejad qui ont été aliénés avec le rejet de la candidature de Macha’i, son mentor.  En effet, l’élection 2013 en Iran sera celle d’un grand nettoyage au cœur même du régime, fragilisant davantage le Guide suprême et, par voie de conséquence, mettant en doute la capacité à survivre de la République islamique. Auparavant, Khamenei était le « Guide » de toutes les factions, tentant de se maintenir au dessus de la mêlée. Aujourd’hui, il est celui d’une seule, une situation particulièrement périlleuse pour cette théocratie.

Pourquoi le guide suprême a choisi le repli sur soi pour son régime ?

Le pouvoir mesure l’ampleur d’une crise existentielle. Jamais il n’a autant été isolé à l’intérieur comme sur la scène internationale. De plus en plus de voix s’élèvent dans ses rangs pour changer afin d’« éviter la catastrophe ». Cependant, pour le Guide suprême Ali Khameni une seule voix a droit au chapitre dans la tempête, la sienne. Une crise économique, aggravée par les sanctions internationales, risque de dégénérer à tout moment et font craindre aux autorités des « révoltes de la faim ».  Le spectre d’une collision avec la communauté internationale au sujet du programme d’armement nucléaire s’approche et en fait douter plus d’un. Et la perspective de la chute de Bachar al Assad  fait trembler les autorités, qui considèrent la Syrie plus importante qu’une province iranienne, et avec qui ils semblent avoir scellé leur propre avenir. En écartant Rafsandjani et les clans rivaux, Khamenei semble avoir fait son choix quant à la direction que prendra le régime dans les mois à venir : une fuite en avant avec plus d’extrémisme dans tous les domaines et une militarisation accrue en consolidant l’inexorable domination des pasdaran. Mais, à la fin, il en sortira plus fragilisé.

Comment s’organise aujourd’hui l’élection en Iran ?

Huit candidats étaient dans la course, deux se sont désistés. Un semblant de débat télévisé a été organisé, en évitant cependant le dialogue entre les candidats, qui ne répondaient qu’aux questions d’un modérateur. C’était pour éviter un débat de fond, comme en 2009 – débats qui, alors, avait déballé en public toutes les tares du régime et poussé la population à descendre dans la rue.  Cette fois, le supposé débat a frisé le ridicule. Le régime a donc lâché un peu les candidats qui, oubliant qu’il s’agit d’une mise en scène, ont dû recevoir des mises en garde pour qu’ils ne s’imaginent pas en démocratie et ne révèlent pas ce que l’on a appelé « les secrets d’Etat ». Afin de museler les candidats qui parleraient trop, le mollah Ahmad Khatami, de l’Assemblée des experts, qui n’a pas caché, dans son sermon du vendredi, sa crainte d’un soulèvement populaire, a menacé : «  Le 14 juin, les candidats qui ne seront pas élus devront accepter la loi, a-t-il lancé. S’ils ont des objections, ils doivent les présenter selon la loi, de sorte que nous ne souffrirons pas du désastre de la sédition de 2009. La sédition de 2009 a commencé par une désobéissance à la loi. La question de la sédition et des séditieux est une vieille plaie de cette nation, des séditieux qui ont brulé le capital de cette nation (…) Pourquoi versez-vous de l’eau au moulin de l’ennemi avec vos paroles, ne faites pas ça (…) Nous ne sommes pas dans une situation de faillite, nous ne sommes pas dans une impasse. »

Le pouvoir est anxieux du déroulement de l’élection et craint la rue. Les forces de sécurité ont lancé une opération de confiscation d’antennes satellites chez les particuliers, et la cyberpolice a fermé plusieurs café-nets. Ils comptent couper les SMS et les communications vocales par Internet les jours de l’élection, comme ils l’ont fait le jour de la disqualification de Rafsandjani.

Est-ce que le résultat de l’élection changera la donne dans les négociations sur le nucléaire ?

Comme nous l’avons vu, le régime a fait le choix du repli en barrant la route à Rafsandjani et aux réformateurs. Cela ferme définitivement la porte à toute forme de concession sur le nucléaire.  L’occident n’a plus rien à gagner en continuant à négocier. Au contraire, il a tout à y perdre. Le régime voit la possession de l’arme atomique comme une garantie de survie et avance rapidement dans sa confection en gagnant du temps dans des négociations et profitant de la naïveté occidentale.  Il faudra alors donner un signal fort, en renforçant le régime des sanctions, en isolant d’avantage cette théocratie sur le plan international et en soutenant l’opposition démocratique que craint le plus le régime. Les déclarations récentes dans les médias proches des conservateurs montrent que le pouvoir a sérieusement peur d’une prise en main des manifestations par les Moudjahidines du peuple, qui ont déjà été actif en 2009 mais qui depuis semblent avoir multiplié leurs réseaux à l’intérieur du pays. Ce qui fera le plus mal au régime et le plus grand bien à la population, ce sera pour les démocraties de s’impliquer ouvertement aux côtés des opposants les plus efficaces.

Vous avez récemment publié un livre sur l’Iran, qu’apporte de nouveau dans la littérature déjà existante sur ce sujet ?

La force de ce livre* est dans les nombreux témoignages d’Iraniens et d’Iraniennes. Parce que c’est compliqué, on donne trop peu souvent la parole aux Iraniennes et aux Iraniens de la rue, et cela me semble pourtant nécessaire. L’évolution démographique et sociologique de l’Iran nous montre aussi que le régime des mollahs est de plus en plus en décalage avec la réalité de la société iranienne d’aujourd’hui. Il convenait donc d’entendre les hommes et les femmes qui composent la société iranienne d’aujourd’hui et surtout de comprendre pourquoi cette réalité condamne à terme le régime.   

*Iran : un brasier sous les cendres, Bertrand Delais, Editions les Presses du Midi.

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