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Exil fiscal: qui sont ces Français qui quittent la France?

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Si Bercy, tente d’assurer qu’il n’y a en France « aucune explosion de l’exil fiscal », force est de constater que de nombreuses voix se lèvent pour alerter sur une situation qui pourrait devenir de plus en plus dommageable pour les finances publiques du pays. En janvier dernier, dans un entretien au quotidien Le Parisien-Ajourd’hui en France, le sénateur UMP, représentant les Français de l’étranger, Christophe Frassa, indiquait que le nombre d’exilés fiscaux était passé de de 800 à 1 000 en moyenne par an à 5 000 par an. Qu’en est-il vraiment ? Etat des lieux avec Manon Laporte, avocate fiscaliste et auteure de Exilés fiscaux : tabous, fantasmes et vérités (Editions du Moment). Entretien.

JOL Press : A-t-on assisté à un départ significatif de Français du territoire depuis l’élection de François Hollande pour des raisons fiscales ?
 

Manon Laporte : Avant l’arrivée de François Hollande, avec l’augmentation des impôts et la suppression du bouclier fiscal, dès 2010-2011, certains Français étaient déjà dans les startingblocks. Il y a en effet une différence entre se renseigner, demander une analyse de sa situation patrimoniale et prendre la décision de partir. Une chose est sûre, les Français ne sont pas partis massivement le 6 mai 2012. En revanche, on constate, depuis un an, une augmentation des demandes de départ. La fiscalité s’est accentuée pour les particuliers et a entraîné une multiplication des exils.

JOL Press : Quelle est la sociologie du Français qui décide de quitter la France ?
 

Manon Laporte : Avant les exils concernaient les grandes fortunes, les rentiers, les entrepreneurs. Aujourd’hui, on constate une baisse relative des fortunes qui s’en vont. A partir de deux ou trois millions, les Français se posent la question de l’exil fiscal, alors qu’avant on ne partait pas avant d’atteindre 10 millions. Et les profils sont très divers. A part les salariés qui ne peuvent pas, les étudiants font leurs études à l’étranger et décident de s’y installer, les cadres supérieurs de grosses entreprises demandent à se faire muter ailleurs, les professions libérales commencent aussi à partir.

Non seulement on constate une baisse dans le montant de richesse qui pousse à partir mais aussi une sociologie différente.  Et c’est un phénomène nouveau. Autant avant l’avocat, le dentiste restait attaché à sa clientèle en France, aujourd’hui, il n’hésite pas à quitter la France, à passer des diplômes à l’étranger et partir ou choisir même une autre activité.

JOL Press : La fiscalité est-elle l’unique cause de ces départs ou y a-t-il d’autres paramètres entrant en compte ?
 

Manon Laporte : On ne s’exile pas que pour des raisons fiscales. C’est certain. Dans la majorité des cas, vous avez trois ou quatre facteurs qui vous poussent à partir. La fiscalité est souvent la goutte d’eau qui fait prendre la décision. On peut avoir un contrôle fiscal qui ne s’est pas très bien passé, la lourdeur des structures administratives, un sentiment de culpabilité, d’être stigmatisé, un  climat très morose où l’entreprenariat n’est pas encouragé… En France, on a souvent l’impression que tout est une montagne, ce qui n’est pas du tout le cas en Belgique ou en Suisse.

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Toutes ces raisons poussent certains Français à avoir le courage de partir. Ils sont maintenant très nombreux à Bruxelles, ils se retrouvent entre eux, c’est le Paris ailleurs. On a assisté à deux grandes vagues de départ avant 2010 : en 1981, avec l’arrivée de François Mitterrand et en 1995 avec Alain Juppé. En 2011, avec la suppression du bouclier fiscal, les grandes fortunes ont quitté massivement le pays.

JOL Press : Les conséquences sont-elles significatives pour les finances publiques ?
 

Manon Laporte : On ne sait pas. C’est très opaque. Le syndicat Solidaires des Finances Publiques explique que l’impact de l’exil fiscal n’est pas très significatif et la Fondation Concorde, think-tank expert des questions d’entreprise, estime à plusieurs millions le nombre d’emplois qui disparaissent à cause de l’exil fiscal et à plusieurs milliards d’euros les conséquences de ces départs. Nous n’avons pas d’homogénéisation des chiffres. Ce qui est clair c’est que les conséquences de l’exil fiscal sont très difficiles à quantifier. Il faut calculer les pertes foncières en cas de départ mais aussi prendre en compte les non-résidents qui payent de l’ISF pour leur résidence en France, sans oublier les taxes foncières ou les investissements étrangers. C’est très difficilement quantifiable.

JOL Press : Quels sont les principaux obstacles que peut rencontrer un Français en arrivant à l’étranger ?
 

Manon Laporte : L’intégration psychologique et sociale, les diplômes (les professions libérales doivent repasser des diplômes ou des équivalences) et la nouvelle vie qui commence. Il faut s’habituer au nouveau cadre de vie.

JOL Press : Comment faire pour encourager les riches à rester en France ?
 

Manon Laporte : Il faudrait avant tout refondre le système fiscal : il faut élargir l’assiette de l’impôt avec des taux plus faibles, éviter la cascade des impôts entre eux par exemple l’ISF et les droits de succession, et élargir l’impôt sur le revenu à tous les Français. Je sais bien que ce n’est pas très politiquement correct à dire mais je pense que tout le monde doit payer l’impôt sur le revenu car tout le monde doit participer à l’effort national. Ce n’est pas normal de profiter des services publics sans payer d’impôt sur le revenu. Vous me direz tout le monde paye la TVA pour le consommateur et les contributions indirectes comme sur le loto ou le tabac mais je pense que sur les impôts directs, tous les Français doivent participer.

Il faudrait aussi refondre le code général des impôts, le simplifier, arrêter de mettre des couches sur des couches. Un rapport de la Cour des Comptes de février 2012 avait dit que c’était beaucoup trop compliqué, cependant il est impératif de rendre le système plus limpide. Sans visibilité, vous n’avez plus de consentement à l’impôt. Et sans consentement à l’impôt, vous avez des gens qui partent. C’est la base. Aujourd’hui l’impôt est trop confiscatoire, trop illisible et trop complexe. Sans parler de la rétroactivité : les gens n’ont plus de repères, les règles changent en permanence.

Le droit fiscal est très complexe, vous avez une multiplicité des sources fiscales. Et cela créé une rupture de l’égalité devant l’impôt : inégalité entre ceux qui savent et qui parviennent à se débrouiller et ceux qui ne comprennent pas.

JOL Press : Quelle serait la mesure la plus urgente ?
 

Manon Laporte : Il faut sensibiliser les jeunes et les adultes à l’impôt : explication, transparence et présentation de la déclaration des droits de l’homme. Mais il faut aussi faire des campagnes d’ouverture. Nous avons monté à ce propos une association « Trésor académie » qui a justement pour objectif de sensibiliser les jeunes aux questions liées à l’impôt, et les aider à comprendre son utilité. Dans tous les pays, que ce soit au Portugal, en Angleterre ou aux Etats-Unis, vous avez une sensibilisation des jeunes à l’impôt dès six ans ou sept ans. Il y a beaucoup de fraude fiscale en France. Ne croyez-vous pas que la prévention soit essentielle ? On le fait pour la délinquance, pourquoi ne le fait-on pas avec la délinquance financière ?

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Manon Laporte est avocate fiscaliste spécialisée dans les contentieux. Elle a notamment collaboré au livre de référence Le Contrôle fiscal (avec Olivier Fouquet, Lamy, 2010).

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