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J’avais dix ans lorsque les Alliés ont débarqué en Normandie

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Dans la maison de la ferme de Montfroux, il n’y a qu’une seule grande chambre au rez-de-chaussée où nous dormons, Emile, Roger et moi. Chaque matin, vers six heures, papa réveille mes frères. Ce matin du 6 juin 1944, c’est vers quatre heures qu’il réveille tout le monde, nous disant avec joie et gravité « les alliés ont débarqué, on entend la bataille ». En moins d’une minute, nous sommes tous dehors dans ce jour qui se lève.

« Nous apprenons que Radio-Londres a confirmé le débarquement »

Effectivement, nous entendons, venant du Nord, des bruits d’explosions et un grondement discontinu. Certaines explosions sont plus fortes. Papa, par son expérience de cinq ans de guerre, nous explique qu’il doit s’agir d’artillerie lourde, peut-être d’artillerie de marine. L’activité aérienne est plus intense qu’à l’habitude. Mes frères, qui ont 19 et 21 ans, sont particulièrement excités, mais comme chaque jour, il faut traire les vaches et assurer le travail. Quant à moi, je n’irai pas à l’école ce jour là. Tout à coup, vers onze heures, nous n’entendons plus d’explosion et l’inquiétude s’installe. A l’heure du repas, il y a des bavardages avec des voisins, chacun y va de ses suppositions, puis le bruit de la bataille reprend. En fin d’après-midi, nous apprenons que radio-Londres a confirmé le débarquement.

La nuit du 6 au 7 juin, nous dormons très peu, le grondement des avions est presque continuel. Certains passent très bas dans un bruit infernal, je me bouche les oreilles. Le matin du 7 juin, nous découvrons, dans les champs, des papiers calcinés, sur certains nous pouvons lire des publicités de magasins de Vire, bien que la ville soit à douze kilomètres. La nouvelle est vite connue, Vire a été bombardée hier soir vers vingt heures et de nouveau vers deux heures du matin. La ville n’est qu’un champ de ruines et d’incendies, il y a quantité de morts. Un avion allié a été abattu à la Jarrière à Chênedollé.

Les jours suivants, nous assistons à des festivals aériens spectaculaires. Les avions alliés ont la maîtrise du ciel, ils patrouillent à l’arrière du front. Dans notre région, pour empêcher les renforts allemands de circuler, ils mitraillent tout ce qui bouge. Quand des véhicules allemands circulent le jour, ils sont couverts de branchages et les soldats scrutent continuellement le ciel. Un midi, à 400 mètres de la maison, sur la route de Vassy à Vire, quelques camions sont repérés par des avions alliés. Le bruit est infernal, les avions mitraillent, tournent et virent, passant au raz des arbres et des toits. L’attaque ne dure que quelques minutes, je suis terrorisé. Le calme étant revenu, nous voyons s’élever d’épaisses fumées noires. Une heure après, nous nous approchons, trois camions finissent de se consumer, des soldats allemands sont là, certains n’ont plus d’armes, les fusils ayant brûlé dans les camions. Il n’y a pas de victime, grâce aux guetteurs, les hommes, après avoir abandonné leurs véhicules, ont eu le temps de se réfugier dans un chemin creux…

Bal incessant des avions

Un autre après-midi ensoleillé, nous sommes dans les champs les plus élevés de la ferme, vers le Sud un grand panorama de verdure. C’est alors que nous assistons au spectacle de la destruction de la petite gare de Montsecret. C’est à moins de dix kilomètres. Nous voyons quelques avions descendre en piqué sur la gare, mitrailler, lâcher quelques bombes, remonter en chandelle, attaquer de nouveau. Nous entendons les bombes. En quelques minutes tout est terminé et une épaisse fumée monte dans le ciel limpide. C’est ainsi que les voies de chemin de fer sont rendues inutilisables pour l’armée allemande.

Malgré le peu d’avions allemands, nous assistons parfois à des combats aériens. C’est à la suite de l’un d’eux que nous voyons un avion anglais s’écraser près du bourg de Chênedollé. Un autre avion anglais passe si bas au-dessus de la maison que je crois qu’il va s’écraser dans notre champ, je le vois passer entre les arbres. En fait, il tente de se poser dans un champ de blé, il accroche un petit cerisier, il fauche le blé et se casse une aile dans le talus au bout du champ. Le pilote, qui est blessé à l’épaule, trouve refuge dans une ferme. Les jours suivants, nous allons jouer dans cet avion en prenant la place du pilote.

Le 18 juin, deux mustangs canadiens rentrant de mission sont surpris par un chasseur allemand qui les abat. L’un tombe à Rully, l’autre à Moncy, les pilotes sont tués. Les habitants de Rully craignant les Allemands et n’osent pas enterrer le cadavre. Roger Seigneur de Vassy, qui s’est évadé d’Allemagne où il était prisonnier, a le courage de se déplacer et d’assurer une sépulture sommaire à ce pilote, dans le coin du champ où il est tombé. Après l’arrivée des troupes alliées, le corps de ce canadien est dignement inhumé dans le cimetière de Rully, où chaque semaine, les enfants de l’école fleurissent sa tombe. Après quelques mois, il est exhumé pour rejoindre un cimetière militaire

Nous voyons passer de nombreux réfugiés qui fuient les combats. La maison de ma grand-mère étant libre, nous y installons une famille venue de Caen. Je suis ravi car il y a un garçon de mon âge.

« zà, z’est une azurance pour la vie »

Dès le début de juin, mon père, avec son expérience de la Grande Guerre, et l’aide de mes frères, creuse une tranchée près de la maison. Elle a un parapet qui protège l’entrée et une sortie de secours. Elle est recouverte par d’énormes poutres et une grande épaisseur de terre. Nous pouvons y dormir tous les cinq. Un soldat allemand, la regardant avec envie nous déclare « zà, z’est une azurance pour la vie ».

En juillet, le bruit des canons se rapproche. Certaines nuits, le ciel s’embrase vers le nord et les explosions sont impressionnantes, nous dormons parfois dans la tranchée. Une nuit comme une autre, le bruit des avions nous réveille et tout à coup, alors qu’il n’y a plus d’électricité depuis des semaines, la chambre s’illumine comme en plein jour. Nous nous levons tous rapidement. Dehors aussi c’est l’illumination. Nous comprenons qu’il y a un incendie. Cette lumière intense vient du pressoir, un bâtiment qui se trouve à moins de cent mètres de la maison. En fait, les avions, pour illuminer le paysage, jettent des fusées éclairantes à base de magnésium, soutenues par un parachute. L’une d’elles est tombée sur le toit de chaume du pressoir qui, heureusement, est humide car la pluie  est tombée toute la soirée. Emile se précipite avec des seaux d’eau et papa se saisit d’une échelle. En peu de temps, le début d’incendie est éteint car la presque totalité du magnésium s’était consumé avant la chute. Cette nuit-là, je réalise que le danger est grand et que notre maison pourrait brûler, je suis très inquiet.

Le 22 juillet, tout le monde travaille au foin dans le pré, il fait chaud, nous savons que le front est proche. Papa cueille des fleurs des champs sur le talus, forme un petit bouquet et me l’offre, me rappelant que c’est ce jour mon anniversaire. C’est là la seule allusion à mes dix ans.

Fin juillet, la récolte du foin est en retard, nous rentrons les dernières charrettes du pré, quand tout à coup, nous entendons, venant du nord, un sifflement qui s’amplifie rapidement, passe au-dessus de nous et s’en va decrescendo vers le sud, le tout en moins de dix secondes. Il s’agit du premier obus que nous entendons passer. Papa est inquiet, nous rentrons rapidement à la maison, laissant le reste du foin dans le pré.

Le bruit de la bataille s’intensifie et se rapproche, nous savons que l’armée anglaise n’est pas très loin. Le festival aérien est très spectaculaire. Un jour, à deux cents mètres devant la maison, nous voyons passer deux avions qui nous semblent énormes, genre bombardiers. Ils sont si bas, à la hauteur des arbres, que nous apercevons les pilotes.

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