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La FabricA d’Avignon, le QG des artistes inspiré par Jean Vilar

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JOL Press : Quelle est la signature du Festival d’Avignon cette année ? 
 

Vincent Baudriller : Notre objectif est d’ouvrir de nouvelles portes, poser de nouvelles questions sur le théâtre d’aujourd’hui. Avant de bâtir la programmation, avec Hortense Archambault avec qui je dirige le festival, nous choisissons un ou deux artistes asssociés avec qui nous passons plus de deux ans: le temps de voyager, de réfléchir, de discuter afin de bâtir la programmation. Le festival que nous avons inventé cette année pose la question du théâtre contemporain: un théâtre de parole contemporaine et engagée. Nous ouvrons également la porte à de nombreux jeunes metteurs en scène qui viennent pour la première fois, comme Myriam Marzouki ou Julien Gosselin.

Nous nous somes également penchés vers la création artistique en Afrique, en invitant des jeunes artistes trentenaires, nés après les guerres d’indépendance. Ils ont donc un rapport à l’Histoire différent de celui de la génération précédente. Il s’agit d’une jeunesse africaine qui regarde le monde autrement : ces artistes sont peut-être l’avant-garde d’une nouvelle Afrique. Le festival sera le reflet de cela.

JOL Press : Qui sont les deux artistes associés pour cette 67e édition ?
 

Vincent Baudriller : Pour cette 67e édition, les metteurs en scène Dieudonné Niangouna et Stanislas Nordey seront les artistes associés. Ils ont des points communs, puisqu’ils sont acteurs, metteurs en scène, sont dans la transmission, la pédagogie, et sont tournés vers la nouvelle génération, mais ils viennent d’endroits très différents : Dieudonné Niangouna a fait du théâtre à Brazzaville au Congo, Stanislas Nordey vient de France. Nous trouvions cela intéressant.<!–jolstore–>

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JOL Press : Comment gère-t-on l’équilibre entre les grands noms du théâtre et les jeunes metteurs en scène ?
 

Vincent Baudriller : Le succès du festival repose sur la fidélité des artistes et sur l’importance que nous accordons à associer des énergies différentes. Nous accueillons des artistes avec lesquels nous avons travaillé depuis dix ans, mais aussi des artistes avec lesquels nous avons des fidélités plus récentes. Nous essayons d’ouvrir de nouvelles portes chaque année.

La 67e édition sera pour nous la dernière. En plus du programme classique, nous avons proposé à tous les artistes associés depuis dix ans de se produire tous les soirs à l’Opéra-théâtre d’Avignon autour de lectures comme Patrice Chéreau, de projections de films, ou  à travers d’autres performances.

JOL Press : Le festival d’Avignon se veut être un lieu ouvert au plus grand nombre. Concrètement, comment cela se traduit-il ?
 

Vincent Baudriller : C’est le cœur de la bataille dans laquelle nous nous sommes engagés il y a dix ans. Nous voulons montrer que le théâtre d’art, la création artistique contemporaine peut toucher le plus grand nombre et n’est pas réservée à des spécialistes, et encore moins comme certains le disent, à une élite. Nous touchons un très large public pour un festival de théâtre : nous faisons plus de 100 000 entrées chaque année.

Je crois que le festival d’Avignon est justement l’un des rares endroits au monde où l’on arrive à défendre la création contemporaine et en même temps à l’ouvrir à un large public. C’est un travail de longue haleine. Tout au long de l’année nous recevons des artistes qui viennent nous raconter leur projet, nous travaillons également avec des collèges et des universités. Une étude menée par l’Université d’Avignon l’année dernière montrait que le public avait rajeuni, que la moyenne d’âge qui a baissé de quatre ans. C’est un pari sur l’avenir : il y a une transmission de génération en génération.

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JOL Press : La 67e édition du Festival sera marquée par l’inauguration de la FabricA. En quoi consiste ce projet ?
 

Vincent Baudriller : C’est un rêve que l’on avait en arrivant. Pour défendre la création contemporaine, il faut des outils, et donner des moyens aux artistes pour créer et travailler. Le festival est un lieu de création mais, aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y avait aucune salle de travail. Nous avons donc imaginé une salle de répétition à Avignon: un espace pour accueillir les artistes, les nourrir et les héberger.  Située dans un quartier populaire d’Avignon, la fabricA comprend 18 appartements, une grande cuisine, une salle à manger et un foyer.
Au mois de juillet, la salle sera transformée en une belle salle de spectacle. La FabricA c’est une manière de donner des armes au festival pour affronter l’avenir sereinement. Dans un contexte de crise, où il y a beaucoup de frilosité en termes de politique culturelle, 
arriver à construire un lieu de travail pour les artistes qui a coûté huit millions d’euros, permet d’envoyer un signe : en s’engageant, on arrive à créer des choses.

JOL Press: Quel est l’impact de la crise économique sur le festival ?  
 

Vincent Baudriller : L’impact réside dans la difficulté de monter des projets et des productions pour les artistes. Si les instances publiques ne considèrent plus la culture comme quelque chose de prioritaire, la culture est pourtant essentielle dans notre société. Etrangement, cela fait d’ailleurs sept ans que nous sommes à plus de 90% de fréquentation: cela n’était jamais arrivé dans l’histoire du festival. Paradoxalement, je pense que dans les moments de crise, où le lien social est mis à mal, le théâtre se révèle être une expérience collective, où le regarde le monde dans une même salle. 

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JOL Press: Le festival d’Avignon célébrait le centenaire de Jean Vilar l’année dernière. Selon vous, le festival qu’on connaît aujourd’hui est-il resté fidèle à l’esprit de son fondateur ?
 

Vincent Baudriller : Les piliers du festival sont de défendre la création contemporaine et de l’élargir au plus grand nombre. C’est l’intuition que Jean Vilar avait en 1947, lorsqu’il a accepté de présenter le festival dans la Cour d’honneur. Il vient d’inventer un nouveau théâtre. Pendant quinze ans, le festival sera marqué par le théâtre de Jean Vilar qui vient avec sa troupe tous les étés à Avignon. Au milieu des années 60, il décide d’ouvrir le festival au plus grand nombre et invente le festival qu’on connait aujourd’hui. Il invitera non seulement un théâtre de texte mais aussi la danse contemporaine avec Maurice Béjart, de jeunes metteurs en scène qui ont moins de quarante ans. Il invite également en première mondiale un cinéma d’avant-garde en projetant La Chinoise de Jean-Luc Godard dans la Cour d’honneur. Cette ouverture à toutes les formes artistiques, à la jeunesse, à la modernité tout en ouvrant au plus grand nombre, c’est exactement l’esprit dans lequel on est aujourd’hui. 

JOL Press : Un souvenir marquant à nous faire partager ?
 

Vincent Baudriller : L’inauguration de la FabricA la semaine prochaine sera un évènement très important dans l’histoire de la manifestation. Pour moi, les moments très forts, c’est lorsque l’on arrive à pousser un artiste dans ses rêves, lorsqu’on lui donne les moyens de les réaliser et de lui faire rencontrer le public. Lorsque l’adéquation est réussie, ce sont des moments de grâce. 

Propos recuellis par Louise Michel D.

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