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La loi sur la transparence porte-t-elle atteinte à la liberté de la presse?

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Les députés vont voter, ce mardi 25 juin, des projets de loi sur la transparence de la vie publique : deux textes discutés en première lecture mais aussi des projets de loi contre la fraude fiscale, qui instaurent pour les élus l’obligation de déposer des déclarations de patrimoine et d’intérêts, contrôlées par une nouvelle Haute Autorité de la transparence de la vie publique.

Seulement voilà un article pose problème. L’article 11 établit en effet que « le fait de publier ou de divulguer, de quelque manière que ce soit, tout ou partie des déclarations de situation patrimoniale ou des observations relatives à ces déclarations est puni des peines mentionnées à l’article 226-1 du code pénal. » L’article 226-1 puni d’un an d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui. Faut-il y voir un frein à la liberté de la presse ? Eléments de réponse avec Philippe Riès, journaliste à Médiapart.

JOL Press : En quoi cette loi est-elle nécessaire ?
 

Philippe Riès : Comme toujours en France la loi est nécessaire car la pratique laisse à désirer. Ce sont des choses élémentaires qui dans certaines sociétés ne demandent pas de lois mais malheureusement en France, il faut souvent passer par la loi. Je précise une chose : chez Médiapart, il n’y a pas de ligne éditoriale, mais des partis-pris, je ne vous donne donc pas le point de vue de Médiapart mais d’un journaliste de Médiapart. Ceci dit, sur cette question qui porte sur le fonctionnement de notre démocratie, la position des journalistes de Médiapart doit être relativement unanime.

JOL Press : La loi envisage de punir d’une peine de prison et d’une amende de 45000 euros toute personne qui publiera ces patrimoines, désormais déposés en préfecture. Faut-il y voir un frein à la liberté de la presse ?
 

Philippe Riès : C’est très caractéristique de la manière dont la France et la classe politique française « réforment ». Il faut d’abord rappeler que c’est une loi de circonstance qui est – les journalistes de Médiapart ne peuvent que s’en féliciter – une réponse de la classe politique à l’affaire Cahuzac, qui a mis en exergue le manque de transparence dans le patrimoine des élus : le fait qu’un élu, qui plus est ministre de premier rang, puisse mentir à l’opinion et à la représentation nationale sur l’état de sa fortune. En France on réagit au quart de tour : un événement, une loi, un scandale, une loi, un fait-divers, une loi. Tout cela est assez ridicule en réalité.

Mais cette loi de circonstance est une concession de forme à l’opinion publique qui marque une capitulation devant le corporatisme qui est en cause : la classe politique. C’est évidemment totalement inadmissible de punir d’une peine de prison et d’une amende toute personne qui publierait ces patrimoines. Je pense d’ailleurs qu’il n’est pas impossible que la loi soit passé, elle fasse l’objet de recours au Conseil constitutionnel sinon à la Convention européenne des droits de l’homme car cette sanction va totalement à l’encontre des lois sur la liberté de la presse et sur le devoir d’informer auquel nous sommes extrêmement attachés à Médiapart, c’est même notre raison d’être.

JOL Press : Vous vous targuez de ne publier que des informations qui peuvent éclairer un débat d’intérêt général. Quelles limites allez-vous alors vous imposer si la loi est votée ?
 

Philippe Riès : Cette loi pourrait en effet mener à une régression. Nous pourrions demain découvrir, par des voies qui n’ont rien à voir avec la publication officielle du patrimoine d’un élu, que cet élu s’est livré à un certain nombre de malversations qui ont conduit à son enrichissement et nous serions empêchés de publier parce que la loi existe. Cette disposition risque donc de poser un certain nombre de problèmes. Cette loi, en donnant une impression de plus de transparence, pourrait en fait conduire à une régression dans le droit d’informer.

Pour ce qui concerne la protection de la vie privée, premièrement ce sont des personnages publics, deuxièmement nous avons affaire à une classe politique professionnelle, à des gens dont toute la carrière se fait dans la politique, ça commence dans les organisations de jeunesse, ça passe ensuite dans les partis, par des mandats électifs au niveau local, au niveau régional, au niveau national… La liste est longue de ces élus qui n’ont jamais exercé d’autre profession que la politique, à commencer par le Chef de l’Etat lui-même.

Cette classe politique a un mode de vie, un mode de rémunération, un certain nombre d’avantages matériels qui la distingue du reste de la population et qui sont entièrement financés sur fonds publics. La transparence sur le patrimoine de ces gens-là est donc absolument normale. Mais la transparence ne doit pas se limiter à l’individu lui-même car on a connu dans le passé d’innombrables exemples où les conjoints, les enfants, les cousins servaient à dissimuler des avantages matériels acquis de manière extrêmement discutable. Cette transparence doit porter sur l’ensemble du patrimoine.

Alors maintenant faut-il l’étaler ? Je ne crois pas. C’est aux journalistes de faire leur travail. La recherche et la publication de ce genre d’information deviennent légitimes quand il y a soupçon, enquête et motif. Dans ces cas-là, il faut pouvoir faire la transparence la plus complète sur le patrimoine de la personne mise en cause, sur le patrimoine de ses proches, sur la manière dont ce patrimoine a été acquis, sur la façon dont l’argent public a été bien ou mal utilisé. C’est absolument nécessaire.

JOL Press : Si demain chez Médiapart, vous apprenez qu’un nouveau ministre a un compte non déclaré en Suisse, allez-vous le dire, malgré la loi ?
 

Philippe Riès : Je pense que nous le feront bien entendu.  Mais très honnêtement, je pense que cette disposition ne tiendra pas, je pense qu’elle est légalement inapplicable et le premier cas où il y aura une publication de patrimoine d’un élu, cette loi sautera. Il faut en finir avec cette opacité qui caractérise la démocratie française et avec la professionnalisation de la classe politique. Ce n’est qu’un élément de la nécessaire normalisation, au bon sens du terme de la manière dont fonctionnent la vie politique et les institutions démocratiques dans ce pays. Nous testerons donc cette loi extrêmement rapidement.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Journaliste depuis 1976, 26 ans à l’AFP, notamment à la tête du Département Economique, des bureaux de Tokyo et Bruxelles, Philippe Riès a publié quatre livres chez Grasset, dont Cette crise qui vient d’Asie et Le jour où la France a fait faillite.

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