Site icon La Revue Internationale

«La mobilisation des Brésiliens dépasse toutes les prédictions»

9120162339_9289ef0996_z.jpg9120162339_9289ef0996_z.jpg

[image:1,l]

Face à la mobilisation des Brésiliens, la présidente Dilma Rousseff a tenté d’apaiser l’ardeur populaire en promettant notamment un grand plan d’amélioration des services publics.

Cette main tendue, les manifestants brésiliens ne l’ont pas acceptée et, en réponse, ont promis une grève générale le 1er juillet prochain.

Ce qui n’était à l’origine qu’une mobilisation contre la hausse des prix des transports en commun et contre la facture exorbitante de l’accueil de la Coupe du monde de football 2014 s’est transformé en une vaste réunion de toutes les colères populaires.

Le pouvoir et les autorités sont aujourd’hui remis en cause et pour Hervé Thery, chercheur au CNRS-Creda et professeur invité à l’Université de São Paulo, cette mobilisation nouvelle et inattendue des Brésiliens pourrait bien être un élément déclencheur d’un renouveau politique de la sixième puissance économique mondiale.

Malgré les promesses de Dilma Rousseff de travailler à l’amélioration des services publics, et en particulier des transports, une des revendications principales, les manifestants brésiliens poursuivent leur mobilisation. Comment expliquez-vous cette dynamique ?
 

Hervé TherySi les manifestations ont commencé sur la base de la hausse du prix des transports en commun, il me semble qu’elles ont désormais leur propre élan.

Bien que satisfaction ait été obtenue, il y a encore beaucoup de sujets de mécontentement dans la population qui se traduiront dans la rue mais également lors de la grève générale prévue le 1er juillet.

Ce mécontentement général qui secoue le pays depuis plusieurs jours était prédit à une espérance de vie limitée par de nombreux spécialistes de la question. Mais aujourd’hui, force est de constater qu’ils se sont trompés.

Peut-on alors parler de « printemps tropical » ?
 

Hervé TheryJe ne pense pas. Le Brésil est un pays qui se porte plutôt bien. La population n’est pas malheureuse mais certains points l’agacent et c’est ce qui explique cette mobilisation.

Cet énervement est notamment lié au ras-le-bol vis-à-vis de la classe politique au pouvoir. Cette classe politique accusée de tous les maux et dont les défauts ne sont désormais plus à prouver.

Que reprochent les Brésiliens à leurs dirigeants politiques ?
 

Hervé TheryL’éducation, la santé et la sécurité sont devenus trop chers pour la classe moyenne au Brésil; ils la paient deux fois, par les impôts et par un système privé pour compenser les défaillances du système public.

A cela se sont ajoutées les dépenses effectuées pour l’accueil de la Coupe du monde 2014. Il faut dire que le Mondial 2014 va coûter 33 milliards de réais lorsque le budget de l’éducation nationale est de 38 milliards.

Pour aller plus loin, les Brésiliens s’insurgent désormais contre la corruption généralisée des élus. Si le Brésil est aujourd’hui une des grandes puissances au monde, il demeure également un pays de grandes inégalités.

S’il y a un léger mieux depuis trente ans, cette inégalité frappe une très grande catégorie de la population qui constate, de la même manière que les classes moyennes, les défauts des services sociaux en termes d´éducation, de santé, de transports.

Les millions de Brésiliens qui sont sortis de la misère sont devenus exigeants et ne veulent plus se laisser berner par la corruption généralisée.

Comment se manifeste cette corruption ?
 

Hervé TheryDans les milieux d’affaires comme au sein même de l’Assemblée, la corruption est monnaie courante et institutionnalisée.

Sur les 500 députés du Parlement, on peut estimer que seuls 200 n’ont rien à se reprocher et font leur travail. Divers scandales font régulièrement la Une des médias mais l’impunité reste de mise.

Il y a quelques années, un député brésilien accusé d’enrichissement suspect n’a pas hésité à justifier sa fortune en affirmant avoir gagné 27 fois d’affilée à la loterie. C’est un bon exemple de cette corruption tout à fait normalisée que refusent désormais les Brésiliens. C’est notamment pour cela que les manifestants focalisent leur attention sur la Coupe du monde de football, qui ne peut être pour eux qu’une vaste opération de dessous de table et de détournements de fonds publics.

Dans ce contexte, que peut désormais faire la présidente Dilma Rousseff ?
 

Hervé TheryPas grand-chose. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait faire. Cette mobilisation qui a fait descendre un million de personnes dans les rues, des citadins des grandes villes jusqu’aux habitants des villages les plus reculés d’Amazonie, est très composite et n’a pas de leaders définis.

La classe moyenne qui avait élu le président Lula – lors de son premier mandat – et les plus pauvres qui l’ont élus à son second mandat puis, à sa suite, la présidente Dilma Rousseff, avaient été séduits par leurs programmes en faveur des gens défavorisés. Aujourd’hui, ils se sentent floués.

Face à cela, Dilma Rousseff a fait ce qu’on attendait d’elle et son discours n’a d’ailleurs rien apporté d’original. Elle n’avait pas d’autres choix que de tenter de calmer les esprits en annonçant notamment une réduction du prix des transports en commun, alors même que ce recul était déjà acquis.

Lorsqu’un mouvement n’a pas d’objectif, il n’y a pas grand-chose à attendre du côté des autorités. Dilma Rousseff a promis ce qu’elle a pu promettre, et les manifestants sont toujours dans la rue.

Estimez-vous alors que le pouvoir brésilien soit en danger ?
 

Hervé TheryCe serait une bonne chose ! La constitution, écrite en 1988, est très permissive, elle a déjà été amendée plus de trente fois et il en faudrait une autre pour le Brésil d’aujourd’hui.

C’est aux députés et aux sénateurs de prendre l’initiative d’instituer une nouvelle assemblée constituante mais bien entendu, cela ne va absolument pas dans leur intérêt et ils ne prendront jamais le risque de la mettre en place. Face à cette situation bloquée, seul un vaste mouvement populaire pourrait peser dans la balance. Ces manifestations seront-elles l’élément déclencheur ? Personne ne peut le dire aujourd’hui.

Quitter la version mobile