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La solitude, effet collatéral de la crise

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JOL Press : Quel est le but de l’enquête sur la solitude menée par la Fondation de France ?
 

Odile de Laurens : L’objectif est de mettre en valeur un phénomène auquel la Fondation de France s’attaque depuis plus de quarante ans : la question du délitement des liens et la vulnérabilité des personnes qui n’arrivent pas à avoir des relations sociales soutenues et qui sont, de ce fait, handicapées pour un tas de sujets que cela soit professionnel, relationnel, familial etc. Nous voulons être au plus près de ces personnes pour les aider à reconstruire du lien mais aussi pour expliquer à la population française qu’il y a un vrai phénomène en croissance dans notre population. Ce n’est pas complètement par hasard que l’on s’intéresse à ces questions.

JOL Press : Combien de personnes sont touchées par la solitude en France ? 
 

Odile de Laurens : Le nombre de personnes atteint 5 millions de Français de 18 ans et plus. Cela concerne 12% des Français.

JOL Press: Les jeunes sont de plus en plus isolés. Pourquoi ?
 

Odile de Laurens : La première raison s’explique d’abord par l’exclusion de l’emploi. C’est assez anti-naturel d’être seul avant 30 ans. Les jeunes sans emplois sont beaucoup plus isolés que les autres. Les jeunes faiblement diplômés sont également peu armés face à l’insertion économique et donc plus touchés par la solitude. Il y a également un autre phénomène : la fréquence des ruptures et des divorces dans les couples, qui fragilisent la personne et mettent en danger aussi leur réseaux sociaux de fréquentation.  

JOL Press: La solitude a-t-elle été renforcée par la crise ?
 

Odile de Laurens : Oui, la solitude a été accentuée par la crise. Mais c’est un phénomène qui prend racine dans l’idéologie de notre société. C’est le prix qu’on paie pour notre liberté d’évoluer, de déménager, de changer de travail, ou encore de s’autonomiser vis-à-vis de la famille. Il y a beaucoup de choses très positives dans notre de mode de vie individualiste. Mais il y a un prix à payer : la grande difficulté pour nouer des relations. Il faut compter essentiellement sur soi-même. Il y a peu d’espaces symboliques – comme la famille – où  les choses sont acquises. Tous les espaces sont fragilisés.

A cause de la crise économique, on négocie plus facilement pour aller prendre un café, ou pour aller voir une personne qui se situe un peu loin, si l’on a pas les moyens de payer le billet de train. La crise économique rend plus difficile l’insertion professionnelle donc elle fragilise l’accès à un réseau et elle accentue les difficultés des gens déjà vulnérables.

JOL Press : Comment peut-on lutter contre la solitude ?
 

Odile de Laurens : L’objectif de la fondation de France est d’identifier les personnes touchées par la solitude et de les soutenir. L’idée est de se rapprocher de la personne pour l’aider à réparer ce qu’on appelle une « mort sociale », une « mort identitaire ». Le fait d’être seul va amener la personne à s’interroger « A quoi je sers ? Qui suis-je dans cette société ? Je ne suis plus rien pour personne » : cette réaction montre que c’est le début de la fin, quel que soit l’âge de la personne. L’une des solutions que nous préconisons, que nous soutenons et que nous identifions consiste à aider un individu à se reconstruire autour de son savoir-faire et de ses compétences. Il faut trouver des espaces où les personnes vont exister grâce à leurs caractéristiques : par exemple expliquer la plomberie à un voisin, exposer ses œuvres, expliquer aux jeunes du quartier comment on cultive des tomates… Des choses très concrètes qui ont une utilité concrète. On amène ainsi les personnes à retisser une sorte de communauté humaine au quotidien et dans la durée. Tout cela est bien entendu tout à fait préparé et encadré.

JOL Press : La solitude a été instaurée comme une « grande cause nationale » en 2011. Y-a-t-il eu une évolution depuis ?
 

Odile de Laurens : Pas vraiment. Ce statut montre qu’il y a une prise de conscience en haut lieu. La question de l’isolement et du délitement du lien ne laisse pas indifférent certains décideurs. Mais pour l’instant, cela n’a rien changé, et c’est normal. Il faut que toute la société se prenne en charge et qu’elle aide au déploiement des petites initiatives pour que le lien se retisse là où il a été déconstruit. Il y a aussi toute la question de la prévention : entretenir ses relations, si la famille ne fonctionne plus, il faut réinventer des collectifs. 

Propos recueillis par Louise Michel D.

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