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Le Mali, théâtre de l’ingérence internationale banalisée?

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Le 11 janvier 2013 au matin, les autorités françaises lançaient une opération militaire, baptisée « Serval » au nord du Mali. Cinq jours plus tard, un groupe armé opéra une spectaculaire prise d’otage dans un complexe gazier près d’In-Amenas, en Algérie. Subitement, les médias braquèrent les projecteurs sur le Sahel et le Sahara, qui d’ordinaire n’attirent gère l’attention. Des « terroristes » dont on ignorait jusque-là presque tout surgirent sur la couverture des magazines. Et l’on découvrit soudainement l’importance stratégique de cette région où les enjeux économiques, politiques et sécuritaires sont inextricablement mêlés.

C’est un ambitieux travail d’analyse et de mise en perspective que proposent les auteurs de ce livre. Spécialistes de la région et des mouvements qui y agissent, ils rappellent le contexte général d’une crise qui dépasse le simple théâtre malien. Ils identifient les enjeux soulevés par le conflit et clarifient les positions, officielles et officieuses, des différents acteurs. Que se passe-t-il réellement au Mali ? Pour quelles raisons la France y a-t-elle envoyé son armée ? Qui sont ces « Touaregs » dont on parle tant mais que l’on connaît si mal ? Qui se cache derrière cette galaxie « djihadiste » particulièrement nébuleuse ? Quelles seront les conséquences humanitaires de ce conflit protéiforme ?

Parce que la « crise malienne » est loin d’être terminée et parce que les conséquences de l’opération Serval se feront durablement sentir, ce livre est indispensable pour comprendre ce qui se joue au Sahel et au Sahara.

Extrait de La Guerre au Mali : Comprendre la crise au Sahel et au Sahara. Enjeux et zones d’ombre sous la direction de Michel Galy

Lorsque le président français François Hollande annonce, le 11 janvier 2013, que les forces armées de son pays ont entamé des opérations militaires au Mali pour libérer ce pays du joug des groupes armés qui contrôlaient plus de la moitié de son territoire depuis mars 2012, une étape importante est franchie dans la normalisation de l’intervention militaire comme mode de réponse aux crises internationales.

Après les guerres coloniales des années 1950 et 1960, les interventions directes des puissances occidentales lors de la poursuite de la guerre froide sont restées limitées à leurs zones d’influence traditionnelles (les États-Unis en Amérique latine et en Asie, la France en Afrique subsaharienne) et le Sud était plus un espace de confrontations par procuration entre les États-Unis et l’Union soviétique. Mais après l’effondrement du bloc soviétique, l’interventionnisme occidental – théorisé en un « droit d’ingérence » dès 1987 et codifié en une « responsabilité de protéger » en 2001 – se manifestera tous azimuts : en Somalie en décembre 1992 (États-Unis), au Rwanda en juillet 1994 (France), à Haïti en juillet 1994 (États-Unis), au Timor en septembre 1999 (Australie), en Yougoslavie en mars 1999 (OTAN), en Afghanistan en octobre 2001 (États-Unis et Grande-Bretagne), en Irak en mars 2003 (États-Unis et Grande-Bretagne), en Côte-d’Ivoire en novembre 2004 et en avril 2011 (France), en Libye en mars 2011 (OTAN) et au Mali en janvier 2013 (France).

Dès lors, le nouveau grand jeu se caractérise moins par une division du monde en aires de contrôle direct, comme cela avait été autrefois le cas avec la conférence de Berlin qui inaugura en 1885 la « ruée vers l’Afrique », que par la normalisation d’une nouvelle grammaire des relations internationales mettant hors-jeu la diplomatie[1] et consacrant l’usage de la force pour le règlement des différends. Ce faisant, elle permet aux États puissants de conclure, dans une logique circulaire, à la nécessité du recours à l’intervention militaire. Cette évolution n’est pas sans conséquence sur le regard que les populations des sociétés occidentales portent sur ces contrées où se jouerait une « anarchie à venir[2] ». L’on passe ainsi, dans un fondu enchaîné, d’une logique selon laquelle on cherche à aider ces pays à une logique où on cherche à les discipliner – puisqu’ils représenteraient une menace pour les forteresses du Nord.

C’est à cette aune qu’il faut lire la visite du président Hollande à Tombouctou le 2 février 2013, consacrant une matrice esquissée en 2003 par le président américain George W. Bush. La séquence se décline de la sorte : la soudaine dangerosité d’un régime (Irak, Libye), d’un groupe (Talibans, Al-Qaida), d’un individu (Saddam Hussein, Mouammar Kadhafi, Laurent Gbagbo), bref d’une cible, est annoncée dans une urgence que relaient experts sécuritaires (adeptes de la « lutte contre le fanatisme religieux ») et journalistes patriotes (accompagnant « nos soldats ») ; des efforts diplomatiques sont déployés qui permettront d’affirmer a posteriori que « tout a été tenté » ; un « groupe de contact » autoréférentiel est mis en place ; une opération militaire est menée au nom de la « guerre contre le terrorisme » avec un déploiement spectaculaire de force – « shock and awe », choquer et impressionner, est le nom explicite dont les États-Unis affublent leur invasion de l’Irak le 19 mars 2003.


[1] Bertrand Badie, La Diplomatie de la connivence. Les Dérives oligarchiques du système international, La Découverte, Paris, 2011.

[2] Robert Kaplan, « The coming anarchy », The Atlantic Monthly, vol. 273, n° 2, février 1994, p. 44-76.

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