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Les réactionnaires, des «vieux cons» nécessaires?

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Le 17 juin dernier, José Manuel Barroso, critiquait violemment la volonté de la France d’exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociations commerciales avec les États-Unis : « Cela fait partie de ce programme anti-mondialisation que je considère comme totalement réactionnaire », a déclaré le président de la Commission européenne, dans un entretien publié par l‘International Herald Tribune. Mais quelle définition donner au mot « réactionnaire » ? Eléments de réponse avec Eric Brunet, auteur de Dans la tête d’un réac (Editions Nil).

JOL Press : Comment définissez-vous le fait d’être un réactionnaire ?
 

Eric Brunet : Il existe trois définitions de la réaction : la vraie, celle qui est un peu insultante et une troisième que je partage avec d’autres. La vraie réaction, c’est le fait de réagir, dans un monde un peu conservateur, aux obsédés du progrès. Elle est utile pour les grands équilibres politiques d’une société. Pour les progressistes et pour les gens de gauche en général, les réactionnaires sont ces personnes qui luttent contre l’évolution sociale et tirent le pays vers le bas, ce qui n’est pas du tout ma vision.

Je pense, pour ma part, que la réaction est une réponse à la bêtise du monde progressiste. Elle n’est ni obligatoire ni automatique, mais nécessaire face, en particulier, au progrès technologique, technique et sociétal qui pourrait être néfaste aux citoyens. Etre réactionnaire, c’est réagir à la connerie des sociétés modernes.

JOL Press : D’où vient le mot réactionnaire ?
 

Les premières réactions se sont manifestées au moment de la Révolution française. Les Révolutionnaires considéraient que les monarchistes incarnaient « la réaction ». Ils voulaient mettre un terme à la suprématie de l’Eglise catholique et de la monarchie, or certains souhaitaient précisément le retour des prêtres et du roi. La réaction a commencé « en réaction » justement aux idées de la Révolution française.

JOL Press : Le réactionnaire ne serait-ce pas plus simplement quelqu’un qui considère que « c’était mieux avant… » ?
 

Eric Brunet : Bien évidemment le « réac » se nourrit du passé. Pourquoi ne pourrait-on pas se référer au passé ? Ce sont les tenants du progressisme pathologique qui ne cessent de nous reprocher de préférer le passé. Mais au nom de quel principe ne pourrions-nous pas comparer la France de François Hollande à celle de François Mitterrand, ou la France de Nicolas Sarkozy à celle de Georges Pompidou ? Bien sûr, je compare les époques entre elles et j’en conclu que « c’était mieux avant »… Sous Giscard et Pompidou, on avait le Concorde, la Citroën DS, les films de Claude Sautet avec Romy Schneider et Alain Delon… Oui « c’était mieux avant » !

Ce qui est très curieux c’est que le réactionnaire d’aujourd’hui ne réagit ni à la droite ni à la gauche mais aux idées dominantes. En France, on est anti-libéral, par exemple, or je suis libéral, je suis donc réactionnaire. En France, on considère que la culture française doit bénéficier d’un traitement à part, la fameuse « exception culturelle ». C’est absurde, 99% des Français sont convaincus que nous devons sanctuariser la culture française dans un dispositif particulier. Je suis contre l’exception culturelle, je suis donc réactionnaire.

JOL Press : On peut donc « réac » et libéral ?
 

Eric Brunet : Bien sûr que oui ! Je pense même qu’aujourd’hui, le libéralisme est le repoussoir universel et en particulier pour la société française. En 2012, huit candidats à l’élection présidentielle étaient anti-libéraux et aucun ne s’était présenté comme libéral. Le dernier libéral en France était Alain Madelin qui a fait 3,91% à l’élection présidentielle de 2002. Le libéralisme n’existe pas en France, c’est une idée honnie, détestée. Etre réactionnaire aujourd’hui c’est proclamer que la liberté, la libéralité, est l’unique solution pour sortir la France de ce marigot dans lequel elle vit depuis des décennies.

« Réagir », c’est un mot plein de noblesse. La pensée dominante n’aime pas la liberté, elle lui préfère l’égalité et la fraternité, pour ma part je suis arc-bouté sur la liberté, la liberté des individus, la liberté des entreprises, je suis libéral et aujourd’hui être libéral est un acte éminemment réactionnaire.

JOL Press : Quand José Manuel Barroso critique la volonté de la France d’exclure le secteur audiovisuel du mandat de négociations commerciales avec les États-Unis, il dénonce justement sont manque de libéralisme. Ce mot aurait-il donc plusieurs sens ?
 

Eric Brunet : José Manuel Barroso aurait dû dire : « La France est conservatrice ». Mais je suis en empathie avec le président de la Commission européenne et ce qu’il a dit n’est pas faux non plus. Malheureusement pour moi, même si j’essaie de lui rendre ses lettres de noblesse, le mot « réactionnaire » est connoté, il signifie « conservateur-rétrograde » dans l’esprit des gens. Selon cette définition, José Manuel Barroso a raison.

[image:2,s]JOL Press : Est-ce qu’on sera toujours le « réac » de quelqu’un ?
 

Eric Brunet : Réactionnaire a toujours eu un sens péjoratif. Depuis quelques décennies, il a même été considéré comme une insulte, surtout depuis les années 70. Un « réac », c’est un « vieux con moustachu », c’est quelqu’un qui ne comprend rien aux idées nouvelles et un peu limité sur le plan de l’intelligence et de la réflexion. Je pense qu’on sera toujours le « réac » de quelqu’un. Même au Front national, des militants doivent trouver que certains d’entre eux sont « réacs ».

JOL Press : Dans quel état d’esprit se trouve un « réac » en lisant le journal le matin ?
 

Eric Brunet : La réaction, c’est une démangeaison, c’est une irruption cutanée permanente, c’est un exéma. Etre « réac », c’est souffrir de démangeaisons. On ne peut pas lire le journal après un « réac », il vous le rend froissé, déchiré, déchiqueté. C’est très compliqué la découverte des nouvelles du matin pour un « réac », il réagit à tout et la plupart des nouvelles qui télescopent son esprit sont des nouvelles qui l’agacent. Le « réac » a un côté un peu « anar’ de droite », c’est-à-dire révolté permanent, un rebelle à toute pensée dominante qui s’exprime dans ce qu’il y a de plus œcuménique, de plus représentant de la bien-pensance, un quotidien. Etre réactionnaire c’est une pathologie, c’est épuisant, mais mon dieu que c’est utile à la démocratie !

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Volontiers provocateur, Éric Brunet anime depuis plus de deux ans Carrément Brunet sur RMC de 13h à 14h. Il intervient parallèlement dans les médias sur iTélé, BFM TV, Paris Première. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont Dans la tête d’un réac (Editions Nil) et Etre de droite : un tabou français (Albin Michel).

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