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Libertés en Tunisie: entretien avec la blogueuse Lina Ben Mhenni

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JOL Press : Que s’est-il passé lors du procès d’Aladin Yacoubi, plus connu sous le pseudonyme de Weld el 15 ? A quel niveau la répression s’est-elle fait sentir ? Comment se sont déroulés les faits ?

 

Lina Ben Mhenni : Comme une habituée de ce genre de procès, je peux dire que j’ai senti que le verdict était déjà prêt avant même le début du jugement. Tout d’abord, avant d’entrer dans le tribunal, nous avons remarqué une présence inhabituelle des forces de l’ordre et puis ils ont essayé de nous empêcher d’entrer. Ils n’arrêtaient pas de nous pousser et de nous insulter, mais après quelques négociations ils ont fait entrer un groupe dont je faisais partie.

Le procès a duré plus d’une heure et demi. Mais je voyais que le juge en riait. Ce qui est bizarre c’est que dix minutes avant l’annonce du verdict, des policiers ont envahi la salle et l’un d’entre eux a murmuré à un de ses collègues qui était près de moi qu’il fallait sortir les membres du comité de soutien un à un car ils s’attendaient à des réactions de notre part. A l’annonce du verdict il y’a eu des protestations et on nous a vite fait sortir de la salle. C’est dans le hall que la violence a commencé.

Ils ont sorti les bombes à gaz et ils nous ont poursuivi et ont été très violents. J‘ai été sauvagement battue par deux policiers et ce sont les mêmes qui ont battu Emine Mtiraoui, un journaliste de Nawaat, et aussi Thameur Mekki, un autre journaliste. Ils ont même arrêté d’autres personnes, dont la journaliste Hind Meddeb.

JOL Press : Pouvez-nous rappeler exactement pour quelles paroles le rappeur a-t-il été condamné ?

 

Lina Ben Mhenni : Le titre de la chanson : les flics sont des chiens ….

 

JOL Press : Tandis que les 3 Femen européennes ont été condamnées à 4 mois d’emprisonnement et qu’Amina risque 2 ans, ceux qui ont attaqué l’ambassade US en septembre dernier sont aujourd’hui libres. La liberté de la presse est ébranlée, la question de la femme toujours aussi délicate… La révolution était-elle un trompe-l’œil ?

 

Lina Ben Mhenni : La révolution a été confisquée. Les gens qui sont au pouvoir aujourd’hui se foutent du peuple et des objectifs de la révolution. Ce qui importe pour eux c’est de garder le pouvoir et d’appliquer leur agenda. Les objectifs de la révolution peuvent être résumés dans un seul slogan « emploi, liberté et dignité nationale » qui a résonné partout en Tunisie durant les évènements. L’aboutissement fut le départ de Ben Ali. Tout cela a été mis dans les oubliettes. Nous vivons une régression sur tous les plans, notamment celui des libertés.

JOL Press : C’est pourtant Moncef Marzouki qui à l’époque critiquait Ben Ali et ses atteintes à la liberté d’expression. Quels sont vos ressentiments en voyant cela ? Nizar Bahloul, du site BusinessNews, est même allé jusqu’à décrire le président comme un « vendeur de paroles », partagez-vous ses critiques ? L’ouverture attendue est-elle un échec ?

 

Lina Ben Mhenni : Oui je partage ses critiques. Pour moi Moncef Marzouki a rejoint le club du double discours. Pour moi c’est un pantin, une marionnette entre les mains du parti islamiste Ennahdha qui est au pouvoir. Il a menacé ses dissidents de pendaison lors de l’une de ses visites au Qatar. Il a perdu sa cervelle !

JOL Press : Comment le mouvement de protestation se met-il en place ? Est-il important ?

 

Lina Ben Mhenni : Je dirai que ce n’est pas calculé ou bien organisé, les gens sont éparpillés, divisés. Il y a des petites manifestations un peu partout. Mais si la situation reste telle qu’elle l’est aujourd’hui, tout risque d’éclater du jour au lendemain.

JOL Press : La tension est élevée, il n’y a pas de parti politique unifié pour contrebalancer le pouvoir, juste une société civile qu’on tente de museler. Un autre mouvement comme lors du printemps arabe est-il possible ? Le souhaitez-vous ?

 

Lina Ben Mhenni : Je n’aime pas l‘expression « Printemps arabe » et c’est pareil pour la majorité des Tunisiens. Je dirai qu’en décembre 2010 les partis politiques n’étaient pas présents. Je pense que si les problèmes actuels persistaient, un deuxième soulèvement ne serait pas exclu. Je le veux bien car je pense que les gens au pouvoir aujourd’hui sont des extrémistes tenant un double discours, et n’ont rien à voir avec la démocratie.

JOL Press : Quelles sont vos inquiétudes pour le futur ?

 

Lina Ben Mhenni : J’ai peur de la persistance de la nouvelle dictature théocratique qui s’installe progressivement. J‘ai peur de perdre mes libertés, de voir l’image de mon pays ternie par les extrémistes et leur violence. J’ai tout simplement peur pour la Tunisie.

JOL Press : Vos espoirs ?

 

Lina Ben Mhenni : Les jeunes bougent encore. Ils veulent changer le pays pour un avenir meilleur. Je veux que le slogan principal de la révolution devienne réalité.

JOL Press : Pourriez-vous quitter le pays comme l’a fait Hind Meddeb ? Etes-vous en contact avec elle ?

 

Lina Ben Mhenni : Non je ne le quitterai jamais. J‘ai reçu des menaces, mais je suis restée. Je suis en contact avec Hind. Normalement je la verrai demain à Paris. Elle va bien, elle continue à mobiliser les gens pour Weld el 15. Elle a expliqué les raisons de son départ sur son Facebook : elle n ‘a plus confiance dans la justice tunisienne.

Propos recueillis par Nicolas Conter pour JOL Press

 

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