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Majorité absolue à l’Assemblée: quelle marge de manœuvre reste-t-il au PS?

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Et si le PS perdait sa majorité absolue ? « Il reste une majorité absolue et quelques réserves parmi nos alliés, les radicaux de gauche et les écologistes. Il n’y a rien d’inquiétant pour le gouvernement et la majorité, même s’il faudra sûrement changer de façon de faire », a reconnu sur Europe 1 Thierry Mandon, le porte-parole du groupe PS à l’Assemblée, en mai dernier. Le groupe PS ne compte désormais plus que 292 membres et apparentés dans l’hémicycle.

Cette situation peu confortable risque de rendre plus difficile le travail du gouvernement qui devra immanquablement composer avec ses alliés écologistes (17 sièges) et radicaux de gauche (16 sièges). Le Front de Gauche et le PC (15 sièges) n’ayant pas l’intention d’être solidaires de la politique du gouvernement. Analyse de la situation avec Jean-Luc Mano, spécialiste de la vie politique française, journaliste et conseil en communication. Entretien.

JOL Press : Les socialistes disposent de 292 sièges alors que la majorité absolue à l’Assemblée nationale est de 289 sièges. La cohésion du groupe PS est désormais indispensable. Comment vont-ils procéder ?
 

Jean-Luc Mano : Il est certain que le groupe PS à l’Assemblée a besoin de cohésion à l’heure où la majorité est moins évidente. Cette situation met les socialistes en difficulté sur plusieurs points. Premièrement, ils vont être amenés à discuter avec leurs partenaires, à commencer par les trois députés chevènementistes : Jean-Luc Laurent, Marie-Françoise Bechtel et Christian Hutin du MRC (Mouvement Républicain et Citoyen). Sur un certain nombre de questions, comme l’Europe, ces discussions peuvent être difficiles.

Ensuite pour ne pas dépendre des pressions de son aile gauche, les socialistes devront nouer des accords avec les écologistes, et là encore ce ne sera pas simple. On va rentrer dans une phase de marchandage, si la majorité de gauche à l’Assemblée n’est évidemment pas en danger, les socialistes sont dans une position précaire.

Enfin, cette situation complique le jeu du remaniement ministériel car s’exposer à des élections partielles serait extrêmement dangereux, compte tenu de l’étroitesse de la majorité. Aujourd’hui un ministre qui quitte le gouvernement peut redevenir député, mais les parlementaires socialistes qui deviendraient ministres pourraient avoir un suppléant écologiste, par exemple.

C’est sans doute pour cette raison aussi que le président de la République et le Premier ministre ont remis à plus tard l’entrée en vigueur de la loi sur le non-cumul des mandats. Le parti socialiste craint en effet qu’une importante partie des députés de leur groupe préfèrent rester maire, plutôt que député, ce qui entraînerait de nouvelles élections partielles qui pourraient leur être défavorables.

JOL Press : Certains députés de l’aile gauche du PS ont voté contre le pacte budgétaire européen et l’accord sur l’emploi. Sur quelles futures réformes la majorité aura-t-elle des difficultés à jouer la carte de la cohésion ?
 

Jean-Luc Mano : Nous pouvons nous attendre à de houleux débats pour la plus grosse réforme à venir concernant la réforme des retraites mais aussi et surtout sur toute question qui touchera à l’Europe. L’Europe est le point d’achoppement, de déchirement interne au sein du part socialiste. Depuis 15 ans, la question européenne empoisonne le parti.

François Hollande a fait entendre qu’il reportait la réforme constitutionnelle ouvrant le droit de vote aux étrangers à l’après-municipales de 2014. C’est typiquement un sujet qui va diviser et auquel l’aile gauche de la majorité est très attachée. Le temps des négociations est donc venu. Cette situation change le jeu politique puisque, de facto, le rétrécissement de la majorité socialiste renforce l’aile gauche du groupe.

JOL Press : Sur quels sujets les écologistes sont en vrai désaccord avec les socialistes ?
 

Jean-Luc Mano : Les écologistes sont avant tout divisés entre eux : le parti n’est pas uni sur la question européenne. Il doit y avoir une tentation PS de diviser davantage les écologistes qui constituent un groupe très hétéroclite. Certains défendent une écologie politique très liée à la gauche de la gauche, d’autres préfèrent une écologie plus traditionnelle qui s’entendrait davantage avec les thèses sociales démocrates : Jean-Vincent Placé est très souvent tenté par une alliance avec la gauche de la gauche quand Cécile Duflot ne se sent pas si mal au sein du gouvernement.

JOL Press : Peut-on imaginer quatre années d’impuissance parlementaire où la majorité serait prise en étau entre son aile gauche et l’opposition ?
 

Jean-Luc Mano : C’est déjà arrivé. Michel Rocard a été Premier ministre pendant plus de deux ans sans majorité absolue, gouvernant au coup par coup, allant chercher des voix tantôt du côté des communistes, tantôt du côté des centristes. La majorité à l’Assemblée nationale n’est pas une condition absolue pour gouverner. On peut gouverner autrement en faisant des compromis avec ses alliés et ses partenaires.

JOL Press : N’est-ce pas le moment pour le gouvernement de faire des concessions à gauche, sans pour autant changer radicalement de cap ?
 

Jean-Luc Mano : La tendance actuelle n’est pas de faire des concessions à gauche. Le gouvernement est plus tenté par une politique sociale libérale. Sur des questions de détail, il peut en revanche être tentant de faire des clins d’œil à la gauche du parti et aux écologistes. On peut imaginer que le groupe PS accepte quelques amendements sur des questions sociales que spontanément le gouvernement n’aurait pas accepté.

En réalité, on voit bien que la fracture existante entre la gauche de la gauche et les socialistes est fondamentale. Même au sein du Parti socialiste, des fractures réapparaissent. Aujourd’hui un accord a permis de cacher les désaccords mais ils existent : Pierre Moscovici et Arnaud Montebourg ne partagent pas la même vision de la politique, Michel Sapin et Benoît Hamon non plus. Ces divisions sont évidentes.

Si vous donnez des gages à la gauche sur la politique économique, qui est essentielle, vous vous mettez automatiquement en difficulté avec votre logique européenne. Très clairement, vous avez une Europe qui demande des économies, des réformes de structures massives pour dépenser moins et une gauche de la gauche qui demande des réformes en vue de dépenser plus. C’est une équation difficile et la tentation socialiste sera très certainement d’aller plutôt chercher des voix au centre. Malheureusement pour François Hollande et les socialistes, l’alliance avec François Bayrou a peu de chances de réussir car il est politiquement flou.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Jean-Luc Mano a été journaliste, puis est devenu parallèlement conseiller en communication. Il a débuté sa carrière à L’Humanité en 1979, puis est passé par TF1 en 1983, dont il est devenu chef du Service Politique. Il est aujourd’hui conseiller en communication chez Only Conseil, dont il est le co-fondateur et le directeur associé. Il anime un blog sur l’actualité des médias et vient de publier Les Perles des politiques.

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