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Nelson Mandela à l’hôpital: les Sud-africains sont-ils prêts au pire?

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Erin Conway-Smith est correspondante de Global Post en Afrique du Sud. JOL Press a eu l’occasion de publier plusieurs de ses reportages au cours des dernières années. Erin a eu la gentillesse d’accepter de répondre à nos questions. L’entretien a eu lieu lundi 10 juin à 18h30 heure locale. 

JOL Press : Ce n’est pas la première fois que Nelson Mandela est hospitalisé dans un état sérieux au cours des dernières années. Comment réagissent les Sud-africains aujourd’hui ?
 

Erin Conway-Smith : Il me semble que les Sud-africains se sont habitués à l’idée que la santé de Nelson Mandela soit déclinante. C’est la quatrième fois qu’il est hospitalisé depuis décembre, toujours en raison d’une infection pulmonaire et de ses complications successives. L’opinion publique s’est faite à l’idée qu’il soit désormais en mauvaise santé.

Pourtant, un point est particulièrement intéressant cette fois-ci, c’est le vocabulaire utilisé par la présidence sud-africaine, source de toutes les informations sur l’état de Madiba. Pour la première fois, les communiqués officiels évoque un « état grave », « des conditions sérieuses ». Lors des précédentes hospitalisations, ce n’était pas le cas…

Cela permet de penser que c’est réellement plus sérieux que les fois précédentes.

JOL Press : une inquiétude est-elle perceptible chez les Sud-africains ?
 

Erin Conway-Smith : Les Sud-africains sont affectés par ces nouvelles préoccupantes. Dimanche, dans les églises, des prières lui étaient consacrées. Même s’il y a une certaine impression de fatalisme face au grand âge.

JOL Press : Diriez-vous que le gouvernement tente de contrôler les informations concernant Nelson Mandela à des fins politiques ?
 

Erin Conway-Smith : Il est exact que très peu d’informations filtrent. Depuis samedi et le communiqué indiquant l’hospitalisation de Nelson Mandela, les communiqués ont été laconiques pour indiquer que sa condition était sérieuse mais stable.

Que se passe-t-il ? Il faut remonter dans le temps. En janvier 2011, il a été hospitalisé une première fois et l’inquiétude était très palpable. La désorganisation en matière de communication était totale, la presse recevait très peu d’informations et on ne savait pas clairement qui, de la famille ou des pouvoirs publics, du gouvernement, de la présidence et de l’ANC, en avait la maîtrise. Entre deux communiqués, les  rumeurs les plus folles circulaient, c’était le chaos autour de l’hôpital à Johannesbourg.

Le gouvernement en a tiré les conclusions, la Fondation Nelson Mandela a été fortement critiquée pour sa gestion de l’affaire et la présidence a repris les rênes.

JOL Press : La présidence a repris les rênes à des fins de contrôle ?
 

Erin Conway-Smith : On peut imaginer qu’il y a des luttes d’influence en cours.

JOL Press : Imaginons le pire, le décès prochain de Nelson Mandela… Cela sera immanquablement un événement global de grande importance, mais est-ce que cela pourrait avoir un impact sur la vie politique sud-africaine ?
 

Erin Conway-Smith : Nelson Mandela est essentiel dans l’héritage de l’ANC, son parti, le parti au pouvoir.

Nous entrons dans une année électorale, il y aura une élection autour d’avril 2014 – les dates ne sont pas encore fixées. L’ANC est de plus en plus critiqué pour sa politique à la tête de l’Afrique du Sud…

Évoquer Nelson Mandela est un moyen de rappeler les grandes heures de l’ANC et tout ce que ses membres ont eu le courage d’entreprendre et la chance de réussir.

Il y a eu une vidéo rendue publique après la précédente hospitalisation de Madiba, fin mars-début avril, sur laquelle on voyait le président Zuma et plusieurs leaders du parti autour du vieil homme. Une vidéo horrifiante où l’on voyait ces hommes entourer tout sourire un Mandela affaibli, éberlué et aveuglé par un flash photographique – alors que ses yeux sont presque aveugles. Les responsables politiques ont rendu publique cette vidéo en imaginant qu’elle puisse leur servir politiquement.  

JOL Press : C’est un peu tôt, mais c’est une question que l’on est en droit de se poser… Existe-t-il des plans précis concernant les hommages que Nelson Mandela recevra après son décès, le moment venu ?
 

Erin Conway-Smith : Il y a eu différents plans qui se sont succédé au fil du temps et les derniers détails du scénario  pourraient susciter une bataille entre les différents acteurs. Les pires difficultés pourraient être entre l’ANC et les différentes factions de la famille.

L’hommage officiel devrait avoir lieu à Pretoria, la capitale, et les autorités s’en chargeront. Et puis il y aura la cérémonie traditionnelle dans le village natale de Madiba – et là, c’est clairement la famille qui gérera. La région d’Eastern Cape connait de grandes difficultés économiques, une forte pauvreté et ce serait le chaos si les autorités cherchait à tout contrôler.

JOL Press : Diriez-vous que les Sud-africains sont, d’ores et déjà, réconciliés avec l’idée d’une disparition prochaine de Nelson Mandela – comme s’il n’appartenait déjà plus qu’à l’histoire ?
 

Erin Conway-Smith : Oui, je le pense. Nelson Mandela a pris sa retraite politique en 2004. Sa dernière apparition officielle remonte à juillet 2010 et à la finale de la Coupe du monde de football. Depuis, plus rien et il n’a pas été bien depuis lors… Les Sud-africains adorent Nelson Mandela mais ils réalisent qu’il est un vieil homme aux termes d’une longue – et mouvementée – existence.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press 

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