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Que se passerait-il durant un G8 idéal?

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Chaque année, à la même époque, les membres du G8 se réunissent pour aborder, dans un cadre non conventionnel, des grandes questions qui font l’actualité du monde. Chaque année revient alors la même question : à quoi sert réellement le G8 ? Les huit supposées puissances de cette réunion informelle sont-ils légitimes ? Pourquoi n’y a t-il jamais de réelles prises de décisions ?

Pour cette édition du G8 à Lough Erne, en Irlande du Nord, Bertrand Badie, politologue et spécialiste des relations internationales, enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI), a imaginé ce que pourrait-être un G8 « idéal ».

Dans l’ordre mondial actuel, qui seraient les invités d’un G8 parfait ?

Bertrand BadieUn G8 parfait serait en fait un G193. Nous sommes dans un monde où l’inclusion devient obligatoire et où le fait d’exclure certains acteurs est devenu une erreur sur le plan éthique en même temps qu’une source grave d’inefficacité.

Le gage d’efficacité d’une réunion de concertation est de réunir tous les pays concernés par les questions dont on parle. S’ils ne sont pas présents,la réunion n’a plus d’utilité.

Néanmoins, s’il fallait absolument ne réunir que huit acteurs, il faudrait alors créer un G8 mixte de pays représentatifs de la souffrance et d’autres de la richesse du monde. Encore que l’idée même de représentativité n’ait pas de sens en relations internationales, car au nom de quel principe un pays pourrait être tenu comme représenté par un autre ?

Durant ce G8, quels groupes d’alliés et d’ennemis se formeraient parmi les invités ?
 

Bertrand BadieLa notion d’ennemis a un lien intime avec la diplomatie d’antan, et ici, en particulier avec celle de club telle qu’imaginée au 19ème siècle par le concert des nations européennes.

A cette époque, parler d’amis ou d’ennemis avait un certain sens mais aujourd’hui, cette diplomatie  n’est plus en adéquation avec la mondialisation, tandis que la notion d’ennemi, au sens classique du terme,ne fait plus sens, car aucun Etat n’est en choc frontal avec un autre.Violence et confrontations répondent à des processus autrement plus complexes et instables

C’est peut-être pour cela que le G8, dans sa forme, est inadapté. Désormais les coalitions sont changeantes et souples. Au sein des Nations Unies, un Etat peut appartenir à des coalitions changeantes selon les enjeux, se référer à d’autres au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), et encore à d’autres sur les problématiques climatiques. Prenons l’exemple du Moyen Orient, la France et les Etats-Unis sont potentiellement alliés à une opposition qui comprend des forces qui leur sont ennemies au Sahel.

Le monde est considérablement plus flexible et complexe qu’avant.

Quel sujet serait abordé en priorité par les membres de ce G8 ?
 

Bertrand BadieSans hésitation : les enjeux sociaux internationaux. Notre mondialisation explose sous le poids de ces enjeux.

La faim dans le monde fait 2 800 morts toutes les trois heures, ce qui équivaut à un attentat du World Trade Center toutes les trois heures. C’est comme si, chaque jour, le monde vivait huit 11-Septembre.

Cette considérable insécurité alimentaire, associée notamment à l’insécurité sanitaire et environnementale, a des incidences directes et indirectes sur l’insécurité internationale car ce sont les victimes de cette insécurité qui sont le plus susceptibles d’être la proie des entrepreneurs de violence et notamment de certains groupes fondamentalistes.

Cet enjeu est à mon sens infiniment plus important que les projets nucléaires de l’Iran ou les caprices d’un dictateur nord-coréen.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que, comme par politesse larmoyante, ces enjeux sociaux sont systématiquement à l’ordre du jour des G8, comme encore cette fois en Irlande du Nord ne fait pas exception, mais jamais aucune décision n’est prise.

Qu’en est-il des autres dossiers d’actualité, tels que la guerre en Syrie ?
 

Bertrand BadieUn bon G8 serait celui qui ne parlerait de la Syrie qu’avec modestie.

L’erreur est de penser que la communauté internationale peut tout résoudre. Qu’elle pourrait régler le sort de Bachar al-Assad et régenter des dossiers comme le nucléaire iranien.

Bien entendu, il y a des décisions à prendre en Syrie et de manière urgente, notamment sur le plan humanitaire, mais ces décisions doivent être prises dans la modestie et non avec cette prétention classique des pays qui se veulent décisionnaires et qui croient pouvoir tout régler de leur seule initiative.

Concernant l’Iran, personne ne comprend comment huit Etats du monde pourraient discuter de ce sujet au nom de toute la communauté internationale.

Durant cette réunion, quel état d’esprit animerait l’ensemble des participants ? Quelle serait leur priorité absolue ?
 

Bertrand BadieLeur priorité serait de se soumettre au multilatéralisme. Le G8 est un formidable anachronisme qui sort tout droit de l’histoire du 19ème siècle et qui n’est pas adapté au monde actuel.

Ses membres auraient alors la volonté de se mettre au service d’un multilatéralisme global. Nous avons cru, il y a quelques années, que le G8 faisait un petit pas en ce sens en s’ouvrant au reste du monde avec le G20.

Pourtant, ce microcosme oligarchique est vite revenu sur le devant de la scène.

En partant du principe que les membres du G8 aient un pouvoir décisionnel, quelles seraient les grandes décisions prises à la fin de la réunion ?
 

Bertrand Badie Ils décideraient tout simplement de mettre un terme au concept de G8. Ils se saborderaient. Ce serait la meilleure chose à faire.

Un tel G8 est-il réellement envisageable ?
 

Bertrand BadieIl est difficile de répondre car personne ne peut se substituer aux acteurs politiques participants. Je remarque simplement qu’aujourd’hui, ils y croient moins que naguère.

Il y a une certaine désaffection des membres et le battage médiatique qui entoure ces sommets est d’ailleurs beaucoup plus faible.

Il ne faut pas oublier que les Etats-Unis, en tant que superpuissance, n’ont jamais été de grands partisans de la discussion avec de moyennes puissances qui veulent se donner ainsi  l’illusion de pouvoir encore agir sur la scène internationale.

De la même manière, la Russie s’y intéresse moins que lorsqu’elle y fit son entrée en 1998.

Mais s’il est peu probable que le G8 disparaisse à court terme, il pourrait tomber dans une forme d’anonymat, compte tenu du faible résultat qui a été produit depuis sa création, il y a 38 ans.

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