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Quel avenir pour une droite française en mal de leadership?

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« Nous avons trop de désordre en ce moment à l’UMP. La situation n’est pas satisfaisante pour les militants, pas satisfaisante pour les Français qui ont besoin d’une opposition qui ait des messages clairs », déclarait le vice-président de l’UMP, Laurent Wauquiez, la semaine dernière. « La façon dont fonctionne aujourd’hui l’UMP ne me convainc pas ». Selon lui « le problème » n’est « pas qu’il y ait des différences de sensibilités – cela toujours existé – mais à l’époque le parti était dirigé par des personnalités comme Alain Juppé puis Nicolas Sarkozy  il y avait un leadership ».

Et si Laurent Wauquiez avait mis en lumière le principal défaut de sa famille politique, encore empreinte d’un bonapartisme qui ne peut se passer d’un chef et ne produire elle-même son propore programme ? Eléments de réponse avec Marika Mathieu, auteure de La Droite forte année zéro : Enquête sur les courants d’une droite sans chef (Editions de la Martinière). Entretien.

JOL Press : La question du mariage homosexuel s’est immiscée dans la campagne des primaires UMP comme un signe de division. Est-ce uniquement un désaccord sur un sujet de société ou le révélateur d’un malaise beaucoup plus profond ?
 

Marika Mathieu : Politiquement, la question du mariage homosexuel révèle en effet une différence de ligne au sein du parti, qui s’était, cependant, déjà exprimé pendant la campagne pour la présidence de l’UMP. Oui, il existe un malaise de fond mais ce n’est pas la droite forte qui l’a créé. L’enquête que j’ai menée révèle que ce malaise remonte à la création de l’UMP. L’union des droites ne fonctionne pas, la droite décomplexée de Nicolas Sarkozy échoue en 2012 et cet échec laisse le parti face à deux possibilités : soit un réveil sur le pôle libéral-centriste, sur la ligne de Jean-Pierre Raffarin, soit le maintien d’une politique de droite décomplexée, sur la ligne de Jean-François Copé, dont le bastion le plus visible et le plus dur est la droite forte de Guillaume Peltier.

JOL Press : Pourquoi l’union des droites ne fonctionne pas ?
 

Marika Mathieu : Charles Pasqua définissait les droites républicaines par cette phrase : « Les élus sont à l’UDF, les militants sont au RPR ». Le RPR faisait office de base militante et l’UDF de base dirigeante. Aujourd’hui, malgré quelques éléments de modernité, on peut se demander s’il n’y a pas une césure qui est en train de se créer entre une base dirigeante d’hommes d’Etat, comme Alain Juppé ou François Fillon, et une base militante, justement incarnée par des hommes non-élus, comme Guillaume Peltier, qui surfe sur une ligne antiparlementaire.

On a d’un côté des hommes comme Bruno Le Maire ou François Baroin sur le pôle libéral-centriste, Nathalie Kosciusko-Morizet qui, de porte-parole de Nicolas Sarkozy à prétendante à la mairie de Paris, fait le grand écart, Laurent Wauquiez qui aussi du mal à se positionner, en dénonçant l’assistanat tout en prêchant la démocratie chrétienne, et de l’autre côté, anciennement la droite populaire, aujourd’hui remplacée par la droite forte qui mène le débat sur le terrain de la droite dure.

JOL Press : N’est-ce pas le réveil des veilles querelles orléanistes contre bonapartistes, le libéralisme contre le culte du chef ?

Marika Mathieu : C’est la base du travail de René Rémond qui avait sa vision des droites. Qu’il y ait plusieurs familles à droite, c’est une évidence, après le jeu se complexifie. Si le bonapartiste s’attache à la figure du chef, la droite continue à croire qu’elle n’a pas elle-même à définir son programme, mais que c’est au chef de lui dicter sa ligne. Sans chef la droite est-elle capable d’avoir, par elle-même, un programme ? C’est ce que souhaite la tendance plus orléaniste. Mais il n’y a jamais eu à droite de famille capable de s’émanciper de la culture du chef. Le fond bonapartiste reste extrêmement présent : on assiste à un manque de leadership qui créé un manque chronique de programme.

JOL Press : Sans ce leadership, l’UMP est-elle vouée à disparaître ?
 

Marika Mathieu : François Baroin disait récemment qu’il n’en pouvait plus de la politique menée par Jean-François Copé à la tête du parti, on se souvient aussi que la question de la dissolution s’est posée au moment de l’élection désastreuse à la présidence du parti, le problème c’est que l’UMP est une machine électorale dont peu d’élus ou d’aspirants élus ne peuvent se passer. On peut imaginer une recomposition au centre, en examinant la stratégie d’influence de l’UDI de Jean-Louis Borloo, un réveil potentiel du Modem de François Bayrou mais avec un UDI qui n’a pas vraiment choisi son camp et un FN qui ne bouge pas, l’UMP est globalement prise en étau, d’où une image indéfinie ambiguë et floue du parti. Quelques personnalités parlent mais la caractéristique de la droite actuelle c’est de refuser d’afficher clairement ses positions.

JOL Press : Quel serait la place de l’UDI dans un contexte de refonte du parti ?
 

Marika Mathieu : L’UDI est à la fois dans une position de force dans sa stratégie d’influence dans une position de faiblesse vis-à-vis de ses dirigeants. Tant que l’UMP ne se définit pas sur un pôle ou sur un autre ou ne créé pas une synthèse par le biais d’un programme commun, l’UDI est dans l’attentisme. Ils ont aujourd’hui un rôle d’observateur et de régulateur, ils ont pris la place mais ils ne savent pas trop comment l’occuper. Par ailleurs, l’UDI ne propose rien, son positionnement est risqué puisqu’il offre la possibilité d’une fuite militante de ce centre qui ne se reconnaitrait plus dans un positionnement trop dur de l’UMP mais l’UMP jouant sur tous les tableaux, ils s’en tiennent à un rôle de veilleurs.

JOL Press : Et à la droite de la droite, quelle différence de fond existe-t-il entre un Guillaume Peltier et un Florian Philippot ou un Louis Aliot ?
 

Marika Mathieu : L’unique différence c’est l’Europe. La caractéristique majeure de l’UDI par rapport à l’UMP c’est qu’elle considère le FN comme des barjots. L’UMP n’est pas si claire. A un journaliste, qui posait un jour la même question, Brice Hortefeux lui a répondu : l’euro. Pas un mot sur l’immigration, l’identité ou la sécurité. Pour Guillaume Peltier, il n’y a pas de différence de nature entre un FN normalisé, qui renonce à ses positions antisémites et antisystème, et l’UMP sur les valeurs nationales comme la souveraineté et les frontières. Ces valeurs sont, selon lui, un pôle qui peut rassembler et pour lequel le cordon sanitaire n’a plus de sens.

La définition de l’extrême-droite aujourd’hui en France est peu claire. Le FN n’est plus une force antiparlementaire, c’est un parti classique de droite nationale sans expression de type antirépublicaine affichée.

[image:2,s]JOL Press : Le principal défaut de l’UMP ne serait-il donc pas son déficit d’idées ?
 

Marika Mathieu : Charles Million a été le premier, en 1998, à dire qu’il fallait reconstruire la droite en affirmant les valeurs qui faisaient la droite. Quelle est l’identité de la droite ? Comment se positionne-t-elle ? Où est son centre de gravité ? Ce qui est sûre c’est l’absence totale de travail et d’idées. C’est ce qu’a essayé de mettre en lumière la Boîte à idées, motion présente pour le Congrès de l’UMP de 2012 et portée par des jeunes trentenaires, militants et cadres de l’UMP qui se voyaient comme des réformateurs du parti. Pour eux, le véritable problème du parti était qu’on ne proposait rien. Où sont les idées programmatiques ? Il n’y en a pas. Que propose la droite pour sortir de la crise ? Sur le sujet, le FN est plus cohérent en défendant l’idée d’une sortie de l’euro plutôt que l’UMP qui ne propose rien.

La droite n’a plus de marqueur. Le gaullisme même est une notion qui n’existe plus au sein de la droite. Quelle est la politique sociale de l’UMP ? Elle n’est pas visible. Le Congrès a par ailleurs montré que 60% des militants se tournaient vers une droite qui idéologiquement était complètement floue et démagogique. Opter pour la droitisation du parti est contre-productif : déjà ça ne marche pas et en outre ça légitime le Front national. La stratégie du siphonage est mortifère et peut conduire à l’éclatement du parti. Il faut bien comprendre qu’actuellement la droite forte n’est pas en train d’écrire l’histoire de l’UMP mais n’est que le symptôme d’un parti qui ne propose plus rien.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Marika Mathieu est journaliste indépendante, diplômée d’un Master de philosophie et en journalisme international à la City University de Londres. Elle a notamment participé à l’écriture et à la réalisation du documentaire « François Hollande : Comment devenir président ? » avec Denis Jeambar et Stéphanie Kaïm lors de l’élection présidentielle de 2012.

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