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Si François Fillon a une stratégie, elle est mal perçue à l’UMP

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Pierre Moscovici avait été invité par France 2 pour débattre face à François Fillon dans « Des paroles et des actes » ce jeudi soir, mais il a refusé pour ne pas faire ce « cadeau » : « Sur le principe je ne suis pas contre. Je ne voulais pas faire ce cadeau, fut-ce à un ancien Premier ministre, en venant débattre 30 minutes après une heure d’émission », a-t-il expliqué. Ce sera finalement Bernard Cazeneuve, le ministre délégué chargé du Budget qui aurait été choisi pour le remplacer. A quoi faut-il s’attendre ? Eléments de réponse avec Liliane Delwasse, auteure de Dr Fillon et Mr Sarkozy (Archipel, 2012). Entretien.

JOL Press : Comment analysez-vous les choix politiques de François Fillon depuis la défaite de Nicolas Sarkozy ? On pense à sa déclaration de candidature pour 2017 ou à son silence depuis le triste spectacle de l’élection à la présidence du parti.
 

Liliane Delwasse : Sa stratégie politique correspond à son tempérament, c’est une stratégie d’évitement qu’il présente comme une stratégie de prudence et de discrétion. De temps en temps il se lâche et c’est un peu la catastrophe. Sa déclaration de candidature pour 2017 était prématurée et je ne crois pas que cela lui ait rendu service. Ce comportement correspond à son caractère, celui d’un homme souvent en retrait.

JOL Press : Quel rôle doit-il jouer dans un parti en manque de leadership qui peine à s’imposer du fait de ses divisions ?
 

Liliane Delwasse : Il a bien évidemment un rôle à jouer mais encore faut-il qu’il reste dans le parti. J’ai l’impression qu’il se marginalise beaucoup. Pour les fillonistes, ce retrait est voulu pour mettre en avant ses proches comme Laurent Wauquiez, Valérie Pécresse ou Eric Ciotti. Pour diriger un parti ou devenir Président de la République ce n’est pas la bonne stratégie adopter.

JOL Press : Que peut-il faire en attendant 2017, alors qu’on vient d’apprendre qu’il n’y aura pas de nouveau vote pour la présidence de l’UMP ?
 

Liliane Delwasse : C’est aussi une question que je me pose. Ses proches aussi. Des personnes comme Laurent Wauquiez, qui avait tout misé sur une nouvelle élection à l’UMP, se retrouvent un peu ennuyés. Officiellement il agiterait ses réseaux, renforcerait son club « France.9 », et souhaiterait « susciter le désir » des militants. Mais à force de susciter le désir, il risque plutôt de susciter l’oubli. Sa qualité d’ancien Premier ministre, on l’oubliera vite. Je crains qu’il ne lui arrive ce qui était arrivé à Laurent Fabius, ignoré pendant des années. A mon sens, sa stratégie va droit dans le mur.

JOL Press : Quelles erreurs de parcours pourraient le gêner pour 2017 ?
 

Liliane Delwasse : Je ne suis pas sûre que son retrait de candidature pour la mairie de Paris ait été une bonne chose. Il a eu peur d’un échec et a préféré envoyer Nathalie Kosciusko-Morizet. Résultat, quel que soit le résultat de la droite aux municipales, qui sera sur le devant de la scène ? NKM. Si le parti organise une primaire pour la présidentielle, il ira certainement mais face à Nicolas Sarkozy, il ne fait pas le poids.

JOL Press : Nicolas Sarkozy peut-il représenter un danger pour François Fillon ? Ses affaires judiciaires dans lesquelles il semble empêtré peuvent-elles être un obstacle à une candidature crédible ?
 

Liliane Delwasse : J’aimerais vous répondre en bonne langue de bois : « Laissons la justice faire son travail ».  Plus sérieusement, tout dépend du résultat des affaires judiciaires en question. Si en juin, ses comptes de campagne sont retoqués par la Commission des financements politiques et si l’UMP doit rembourser 11 millions d’euros, Nicolas Sarkozy ne sera pas en bonne position, c’est évident. Pourtant, il a une telle énergie que je pense que s’ils avaient le choix entre l’ancien président et l’ancien Premier ministre, les militants UMP n’hésiteraient pas une seconde.

JOL Press : Quelle droite incarne François Fillon ?
 

Liliane Delwasse : Là est le problème, il ne représente rien d’autre que la politique soutenue avec Nicolas Sarkozy pendant 5 ans. On dit qu’il est plus centriste, mais ce n’est pas vrai, il est juste plus calme. Le programme de campagne de Nicolas Sarkozy en 2007 avait été intégralement rédigé par François Fillon. L’unique chose qui les différencie, c’est le comportement.

JOL Press : A-t-il justement le profil d’un rassembleur pour l’UMP ?
 

Liliane Delwasse : Humainement il n’est pas assez chaleureux pour rassembler, il est beaucoup trop distant, trop froid. Il a des fidèles mais il manque de charisme. Il n’est pas antipathique mais personne ne se tuerait pour lui.

JOL Press : François Fillon est l’invité de l’émission « Des paroles et des actes », présentée par David Pujadas, jeudi 6 juin sur France 2. Quelle carte a-t-il intérêt à jouer ?
 

Liliane Delwasse : Il a intérêt à jouer la carte du centre-droit. Il pourrait essayer de rassembler du côté de l’UDI mais Jean-Louis Borloo et lui se détestent tant qu’il ne parviendrait pas à fédérer au centre. Il pourrait aussi jouer la carte d’une droite décomplexée, mais c’est déjà la ligne de Jean-François Copé. Il va vouloir rassembler, mais est-ce crédible ?

Je pense qu’un homme politique doit tout d’abord avoir une équipe autour de lui. Nicolas Sarkozy est entouré depuis de nombreuses années de fidèles comme Brice Hortefeux ou Patrick Balkany ; par ailleurs, il existe une vraie chaleur dans leurs relations. François Hollande est devenu président de la République parce qu’il, depuis l’ENA, une équipe de proches qui ne l’a jamais lâché. François Fillon n’est pas entouré de ce genre d’amis, prêts à tout pour lui.

JOL Press : Après 2017, peut-il espérer avoir un avenir politique ?
 

Liliane Delwasse : En politique, on a toujours un avenir. Laurent Fabius qui a été ostracisé pendant 20 ans est aujourd’hui au Quai d’Orsay. Un homme politique ne meurt jamais. Je pense qu’il ne sera jamais président de la République, en revanche il aura peut-être un rôle à jouer dans les institutions européennes. Il avait essayé de remplacer José Manuel Barroso en 2009. Sans succès. 

L’avenir politique des anciens Premiers ministres n’est jamais évident. Jean-Pierre Raffarin avait essayé de prendre la présidence du Sénat en 2008, c’est finalement Gérard Larcher qui sera désigné candidat représentant du groupe UMP, puis élu. Laurent Fabius est mal-aimé au PS mais il est entouré d’un réseau de fidèles qu’il a placé un peu partout, ce qui lui a permis de revenir. François Fillon ne suscite aucune passion.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Liliane Delwasse, journaliste politique, a collaboré au Monde, à L’Express, au Point, au Quotidien de Paris et au Canard enchaîné. On lui doit notamment Sylviane et Bernadette sont en campagne (avec Frédéric Delpech, Ramsay, 2001) et Quand les femmes prennent le pouvoir (Anne Carrière, 2006).

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