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Tel père, tel fils… enfant de dictateur, dictateur en puissance?

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Qu’ont en commun le président syrien Bachar al-Assad et l’émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al Thani ? Ils ont tous succéder à leur père à la tête de leur pays.

Autre point commun : ils ont été élevés par des dictateurs et comme des dictateurs. Le premier à succéder à son père Hafez al-Assad alors qu’il ne le souhaitait pas, son frère devant normalement devenir président syrien. Le deuxième a cherché le pouvoir jusqu’à évincer son propre père.

Ennemis dans la vie, ils ont en commun la maladie du pouvoir, un pouvoir qu’ils ont toujours connu et qui les a bercés, hors du monde, depuis leur enfance. Explications du psychanalyste Jean-Pierre Friedman, auteur de Du pouvoir et des hommes, pour qui cette maladie n’est absolument pas l’apanage des dictatures.

Comment est élevé un enfant de dictateur ?
 

Jean-Pierre Friedman : Les différents exemples de l’histoire nous ont montré que les situations peuvent être très variées. Tout dépendra par exemple du nombre d’enfants. Si un chef d’Etat a plusieurs enfants, ces derniers ne seront pas élevés comme un fils unique et donc seul héritier.

Parmi ces enfants, certains peuvent être aimés plus que les autres, particulièrement privilégiés ou élevés différemment.

Ils peuvent parfois être mis en compétition par leur père. Certains se soumettront plus facilement à l’éducation de leurs parents tandis que d’autres s’écarteront des rails et se révolteront contre l’autorité paternelle.

S’il est donc impossible de généraliser l’éducation que les dictateurs donnent à leurs enfants, il est en revanche possible d’établir un point qui leur est commun. Une fois parvenus au pouvoir, qu’ils n’aient pas voulu ce pouvoir ou qu’ils soient allé jusqu’au meurtre pour l’obtenir, ils bénéficieront des trois P : Puissance, Permissivité et Protection et auront comme leur père la tentation d’en abuser puisque tout leur est  possible.

Le pouvoir a un pouvoir de corruption. Par nature, l’enfant est mégalomane, paranoïaque et narcissique. Dans des circonstances normales, il arrivera à un principe de réalité : il n’est pas tout puissant.

Or certains peuvent rester infantiles et ce reflexe n’est pas uniquement le fait des dictatures et de leurs dictateurs. Il est tout à fait possible d’établir des comparaisons entre les enfants de notables, de ministres aux enfants de dictateurs.

Une fois au pouvoir, et quelle qu’ait été l’origine de la personne, il est difficile d’échapper à ce syndrome, alimenté par une forme de courtisanerie qui se construit autour du pouvoir.

Peut-on alors dire qu’un enfant de dictateur est un dictateur en puissance ?
 

Jean-Pierre Friedman : En fait, un enfant est un dictateur en puissance (voir l’enfant roi dans nos sociétés modernes). Prenons l’exemple du président syrien Bachar al-Assad. Ce dernier a tenté de s’éloigner du pouvoir lorsqu’il était jeune. Après avoir commencé ses études à Damas, il s’expatrie au Royaume-Uni où il travaille comme ophtalmologiste.

Il n’aurait jamais dû succéder à son père puisque c’est son frère aîné qui avait été choisi pour reprendre les rênes de la Syrie. Pourtant, après que ce dernier ait été victime d’un accident de voiture, il s’est retrouvé, sans jamais en avoir eu l’ambition, à être un dictateur, comme son père. Il l’est cependant devenu.

Le pouvoir est une maladie contagieuse et, chez chacun d’entre nous, existe un dictateur en puissance car ce pouvoir réveille des pulsions infantiles auxquelles personne ou presque ne peut résister.

Quel rapport entretiennent alors les enfants de dictateurs avec le pouvoir ?

Jean-Pierre Friedman : Le problème principal des dictateurs, c’est la paranoïa. Par définition, un dictateur a le pouvoir suprême entre ses mains. Or il aura toujours peur de ses ennemis, de ses ennemis de l’extérieur mais également de ceux qui souhaiteraient prendre sa place.

Leurs enfants ont donc ce même sentiment. Certes ils ont conscience d’être des privilégiés, parfois de droit divin bien que leur père soit parvenu, mais ils ne pourront pas échapper à ce sentiment paranoïaque et ce dans la mesure où depuis leur naissance leur environnement le plus proche a toujours été marqué par des gardes du corps.

Un enfant de dictateur peut-il néanmoins s’éloigner du pouvoir et vivre une vie « normale » ?
 

Jean-Pierre FriedmanSans être formel, je n’ai pas l’impression. Des exemples existent et un certain nombre d’enfants de dictateurs se sont déjà éloignés de leur milieu d’origine mais il y a des règles auxquelles personnes ne peut échapper.

Parmi elles, l’instinct dynastique est commun à tous les êtres humains, en dictature ou non.

Cet instinct dynastique est, de façon irrationnelle, une forme de recherche d’immortalité, qui peut également se traduire par la croyance en une vie après la mort.

Les dictatures du Moyen Orient en sont un bon exemple. Dans ces familles, le nombre d’enfants est très élevé.. Les guerres de succession sont violentes, les intrigues font le quotidien de ces enfants et, souvent, le pouvoir est également dans les mains des femmes qui veulent placer leurs enfants.

Si on dit fréquemment que le pouvoir appartient aux hommes, j’estime pour ma part qu’il est plus souvent aux femmes, qu’elles agissent en coulisses ou qu’elles soient en première ligne.

Mais il y a également des contre-exemples. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le fils de Staline a été fait prisonnier par les Allemands. Ces derniers ont proposé un échange avec l’URSS : le fils contre plusieurs prisonniers allemands, sans quoi ce dernier serait fusillé. Staline a refusé et son fils a été fusillé.

Tout est finalement une question d’époque, de lieux et d’environnement.

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