Site icon La Revue Internationale

TÉMOIGNAGE – Brésil: la révolte vue de l’intérieur

[image:1,l]

JOL Press : Le Brésil connaît ses manifestations sociales les plus importantes depuis 21 ans, pourquoi ?
 

Andressa Pellanda : Depuis 21 ans, après l’« impeachment » du président Collor, le Brésil voit ses premières manifestations dans les rues. Il y en a généralement à cause de l’aggravation des problèmes sociaux, l’éducation et la santé publique, la réforme agraire, l’habitation pour tous. Ce sont des thèmes importants. Beaucoup d’organisations de la société civile et de mouvements sociaux se sont formés et manifestent de manière continue, en accompagnant le législatif et l’exécutif dans l’élaboration et l’exécution des lois.

Les manifestations des ces derniers jours commencèrent par une réclamation : la diminution des tarifs des transports publics, qui sont par ailleurs précaires. Au fur et à mesure que les manifestants sortaient dans les rues et étaient réprimés par la police, les médias et l’État, les manifestations ont changé de forme. Les différents politiques et idéologiques de la population ont été mis de côté, afin de se battre pour des causes communes : l’augmentation des tarifs des transports publics, les répressions de la police et de l’État lors des rassemblements, la concentration des grandes médias, conservateurs, anti-manifestants et incitant la violence policière dans leurs éditoriaux, et la corruption politique.

C’est encore tôt pour parler de causes plus profondes et plus durables. De nombreuses anciennes et nouvelles revendications sont apparues sur les affiches des manifestants. Je pense que les manifestations d’hier ont fait passer un message : « les brésiliens veulent se mobiliser ». Il faut voir jusqu’où et quand cette volonté durera.

JOL Press : Qui sont les manifestants ?
 

Andressa Pellanda : Je pense que les dernières manifestations ont pris une certaine amplitude. Les plus nombreux sont les jeunes, mais on a pu voir aussi des enfants et des gens plus âgées dans les rues. Les manifestants font partie de toutes les couches sociales. Même les classes moyennes et hautes, normalement accusées de ne pas se mobiliser.

JOL Press : 100 000 personnes ont défilé à Rio, avant que la nuit tombe et que la situation ne dégénère, que s’est-il passé ?
 

Andressa Pellanda : Les dernières manifestations au Brésil, y compris à Rio, demandaient la paix, pas de répressions policières. C’est ce qui s’est passé à São Paulo, à Brasília et à Rio. Des milliers de personnes dans les rues, avec des affiches, des ballons, des fleurs. Quelques manifestants parlaient amicalement avec les policiers. Tout allait bien jusqu’au moment où un petit groupe a commencé à jeter des pierres sur l’Assemblée Législative de Rio. Ils ont brulé un véhicule garé à côté. le conflit avec la police a éclaté. Aujourd’hui, quelques manifestants sont allés sur place pour nettoyer les dégâts.

JOL Press : Comment ces débordements ont-ils été gérés ? On parle notamment de balles en caoutchouc visées directement en direction des têtes de la part des forces de l’ordre…
 

Andressa Pellanda : Au début, les manifestations, notamment à São Paulo, ont été reçues par une partie de la population et par les médias comme des attentats à l’ordre public, sans réfléchir aux motivations des manifestants. Elles ont été fortement réprimées, avec l’utilisation de la troupe de choc, la cavalerie, des hélicoptères, des bombes de gaz lacrymogène, des balles en caoutchouc visées sur les manifestants – y compris sur leurs yeux et visages.

Les journalistes n’ont pas été épargnés non plus. Une reporter du quotidien Folha de Sao Paulo, le plus grand du pays, a été touchée à l’œil par un policier. Un photographe de l’Agence Futura Press a été atteint aussi au même endroit et risque de perdre la vue. Beaucoup de manifestants ont été arrêtés et emmenés au commissariat de police, sous allégations fausses de quelques policiers. Quelques manifestants ont été arrêtés pour « port illégal de vinaigre », substance utilisée pour neutraliser l’effet du gaz lacrymogène. C’était la guerre !

JOL Press : Est-on en train d’assister au début d’un soulèvement populaire à l’instar de ce qui se passe en Turquie ?
 

Andressa Pellanda : Je ne sais pas. C’est tôt pour savoir les grandes causes des manifestations, mais je pense que comparer les deux serait très superficiel pour l’instant.

JOL Press : Les Brésiliens ont-ils l’habitude de sortir dans la rue pour dénoncer des situations qu’ils n’apprécient pas ?
 

Andressa Pellanda : Comme je l’ai déjà dit ci-dessus, il ne faut pas généraliser. Des parties de la population ont l’habitude de sortir dans les rues pour manifester et d’autres non. Le problème c’est le traitement par les médias d’une grosse partie de la population. Ils parlaient des manifestants comme des jeunes qui veulent juste apparaître à la télé, faire du vandalisme, ou bien boucher le trafic déjà pénible en ville. Maintenant je pense que cela commence à changer.

JOL Press : Ce sont des institutions politiques qui ont été visées durant les manifestations, la portée des revendications est donc bien plus importante que les simples travaux en prévision de la prochaine Coupe du Monde ?
 

Andressa Pellanda : Oui. Il y a un grand mécontentement de la population face aux grandes dépenses publiques engagées pour la Coupe du Monde et les Jeux Olympiques, mais aussi aux violations au droit au logement, avec des personnes jetées hors des centres-villes pour la réalisation des grands projets urbains pour les jeux. Il n’y a pas que ça. La population est gênée avec les cas de corruptions politique aussi. La revendication principale, néanmoins, reste celle de l’augmentation des tarifs de transport public.

JOL Press : Quelle est la réaction du gouvernement ? La classe politique semble prise de court face à cette soudaine révolte…
 

Andressa Pellanda : Je crois que le gouvernement ne pensait pas que les manifestations prendraient une telle dimension et que la répression policière serait si grande. Maintenant, on voit de plus en plus de maires ouverts au dialogue avec les leaders des manifestations et donnant des déclarations, toujours en mettant l’accent sur les voies pacifiques. La présidente Dilma Roussef a fait une déclaration officielle aujourd’hui, félicitant les manifestants pour les marches pacifiques. Elle a insisté sur une phrase lue sur une affiche disant « désolée pour la nuisance, on est en train de transformer le pays », en affirmant que son gouvernement supporte ces idées de changement et va écouter la population.

JOL Press : Dilma Roussef est pour la première fois en baisse dans la côté de popularité, perdant 8 points ce mois-ci. Quel est son avenir à la tête de ce pays, à un an des élections générales ?
 

Andressa Pellanda : La popularité de la présidente est en baisse, c’est vrai, mais elle continue avec une meilleure popularité que les deux gouvernements précédents sur la même période. Dilma poursuit les programmes de réduction de la pauvreté de Lula, qui ont fait des grands changements dans le pays et qui ont haussé la popularité du Parti des Travailleurs (PT) parmi les classes plus pauvres et des scientistes politiques. En même temps, selon des scientistes politiques brésiliens, elle est proche des grandes entreprises industrielles nationales, la bourgeoisie productive.

La contestation de son gouvernement vient principalement de la haute classe moyenne brésilienne et du secteur spéculatif financier, bien représentés dans les médias traditionnels, qui crie au scénario de « crise inflationniste » et d’une croissance du PIB plus faible que prévu. Sa popularité, malgré cela, est plus haute que d’autres politiciens. Les taux de chômage sont très bas et des secteurs sont ascendants parmi les classes les plus pauvres. Sa base électorale, pourtant, continue d’être satisfaite en général. Dans ce cadre, il n’est pas cohérent de conclure qu’une petite oscillation de la popularité de Dilma impliquerait une perte électorale en 2014.

JOL Press : Les prochains événements sportifs pourraient-ils être remis en cause ?
 

Andressa Pellanda : Je ne pense pas, mais je crois que la Coupe du Monde au Brésil ne sera plus la même. Le Brésil aime le foot et cela fait partie de son histoire, mais c’est le moment de montrer au gouvernement du pays et au monde que les énormes dépenses publiques pour les travaux des grands évènements que l’on va recevoir sont inacceptables et qu’il faut investir pour l’éducation, la santé et la réduction des problèmes sociaux de façon plus profonde.

Propos recueillis par Nicolas Conter pour JOL Press

 

 

Quitter la version mobile