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Tour de France: Yves Arnal dévoile les secrets de la caravane

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JOL Press : Quels bouleversements votre présence au sein de la caravane a-t-elle amenés ?
 

Yves Arnal : J’ai commencé le Tour de France en 1969, l’année où les équipes ont définitivement concouru sous l’égide de marques, j’en ai fait 36 par la suite. Ça a donné un élan à la communication, puisque les cyclistes n’étaient plus identifiés par leurs nationalités, mais par des marques. La publicité a alors commencé à s’élancer fortement.

Le Tour de France n’avait jusqu’alors pas d’éléments de présentation en termes de marketing. En 1973, j’ai fait la caravane Unico, avec dix véhicules. J’ai considéré qu’il fallait davantage de véhicules, plus légers, pour que le public puisse immédiatement identifier les marques.

JOL Press : L’impact a-t-il été immédiat ?
 

Yves Arnal : Les retombées sont instantanées. En faisant la caravane, on faisait également des promotions les soirs dans les magasins dont on faisait la publicité. Nationalement même les retombées sont énormes, notamment en termes d’image. J’ai notamment créé le lion pour le Crédit Lyonnais (maintenant LCL), qui a eu un fort impact pour la banque. Il faisait partie de la caravane sur chaque étape.

La retombée directe du produit peut être illustrée par l’exemple de la caravane de la Maison du Café, où nous faisions 1500 cafés par jour que nous distribuions au public afin qu’il le goûte. A l’époque, c’était une prouesse technique que de donner du café chaque jour sur la route à des centaines de personnes.

Il y a aussi eu des opérations où l’on fabriquait par exemple pour la Ronde des Pains, des petits pains que nous offrions aux gens sur les bords de la route. Ils étaient fabriqués dans les boulangeries locales, pour le Tour de France, afin que les journalistes, le public puisse goûter aux croissants, aux pains.

JOL Press : Quelle évolution pour la caravane au fil des ans, tant d’un point de vue du design que de son impact communicationnel ?
 

Yves Arnal : Au niveau du design nous avions créé des véhicules fabuleux, comme ceux une nouvelle fois de Maison du Café, qui représentaient une grande machine, ou bien encore nous avions recréé un moulin à café, mais ce n’est pas tout puisque nous voulions également qu’il y ait une odeur derrière le véhicule. Et représenter l’odeur de café ce n’est pas aisé, on a eu beaucoup de difficultés mais on a réussi à tout aménager. Pour d’autres marques, nous avons eu recours par exemple à des triporteurs tout en imaginant un espace pour distribuer des échantillons du produit.

Pour BP, nous avions spécialement créé des side-cars, pilotés par des gens du Paris-Dakar et fabriqués par leurs mécaniciens. C’était l’une des caravanes les plus surprenantes à l’époque, le parcours était effectué sur deux roues avec sur le côté un homme – que l’on appelait à l’époque le singe – qui était en permanence dans le vide. C’était très spectaculaire visuellement.

Au départ, dans la caravane, nous faisions de gros véhicules, qui étaient extrêmement chers et que nous laissions dans un garage lorsque le Tour n’était pas en route. Depuis, j’ai imaginé des caravanes où l’on pouvait tout démonter, produit par produit, par souci d’économie. Tout était réutilisable pour les années suivantes.

Par exemple, pour Super Croix, qui lançait sa vaisselle liquide, nous avions installé des bidons que la ménagère voyait à la télévision sur des karts. Lorsque les premiers quads sont sortis, j’en ai inclu pour des marques comme Eurosignal et France Telecom. Tous ces nouveaux véhicules ont donné une certaine image au Tour de France et l’on offrait un spectacle au public.

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JOL Press : Quelle est la stratégie marketing autour du Tour ?
 

Yves Arnal : La stratégie est pensée en fonction du public. Si vous mettez des produits en avant dans la caravane du Tour, qui sont ceux linéaires dans les commerces, la ménagère n’est pas perdue. La ménagère retrouve les produits qu’elle voit tous les jours. Il faut savoir que les femmes sont très importantes sur le Tour, elles représentent la moitié du public. Et puis ce sont des familles qui viennent, donc tout se jumelle bien. Je ne suis pas publicitaire mais un créatif, je recherche la nouveauté, pour le public.

C’est ce qui me plaît, ce public qui vient chaque année. En 1998, pour Astra Satellite, on a fait une caravane qui était relativement importante et qui distribuait 700 000 cassettes vidéo ! Une prouesse technique. Pareil pour le Crédit Lyonnais, nous distribuions des milliers de porte-clés avec le nom du vainqueur de la veille. Ça demande donc une organisation importante. Que ce soit pour la fabrication ou le transport.

JOL Press : Comment tout cela s’organise ?
 

Yves Arnal : J’ai eu jusqu’à 120 personnes derrière moi avec 7 semi-remorques et 58 véhicules. Tous de ma société (ABZ), car je suis indépendant. Il y a d’ailleurs une photo dans le livre où on nous voit tous à l’aéroport de Brive, là d’où je viens, avec la caravane qui s’apprête à partir en avion. Il y avait des mécaniciens, avec un atelier qui suivait en permanence la caravane avec tout ce qu’il fallait pour réparer. Le véhicule du lion pour le Crédit Lyonnais a par exemple épuisé 5 ou 6 moteurs que l’on devait changer.

La caravane ce n’est pas uniquement des véhicules qui passent bêtement, je l’explique bien, photos à l’appui, dans le bouquin. Cela demande une grosse organisation pour distribuer des milliers de casquettes à pois au public par exemple. Et cette distribution n’est pas faite n’importe comment, elle est pensée en fonction de l’étape, en fonction de chaque véhicule, des quantités. Et nous étions totalement autonomes, nous réservions nos hôtels à chaque étape.

JOL Press : Des souvenirs à nous évoquer, bons ou mauvais ?
 

Yves Arnal : J’avais une petite agence à Brive en Corrèze, le Tour passait par-là et le commissaire général du programme trouvait formidable ce que j’avais monté. Il me demanda alors si je ne pouvais pas le faire pour tout le Tour de France. C’est comme ça que je suis parti en 1968, jusqu’en 2004, sans arrêt. Je ne m’intéressais pas trop à la course, mais aux gens sur la route qui attendent des heures durant que quelque chose se passe.

C’est un public réceptif ; en matière de communication, on ne peut pas trouver mieux. Des gens qui attendent qu’on leur passe un message, qu’on leur dise bonjour, qu’on leur fasse goûter des produits que l’on peut trouver dans les commerces, c’est formidable. 

Mon meilleur souvenir, c’est le Tour 1998, on partait d’Irlande. Ma meilleure année. A l’époque, j’avais Raymond Poulidor à côté de moi dans la voiture, il y est resté dix ans car je lui trouvais des clients, il était ambassadeur de nombreuses marques. 

J’ai également rencontré Daniel Mangeas, un commentateur sportif extraordinaire mais qui n’avait pas l’habitude de passer la pub. La direction m’a alors demandé de le prendre en main pour annoncer la caravane. Maintenant c’est le roi de la pub et du Tour de France.

Après, sur la route, il y a toujours eu quelques petits incidents, on ne fait pas la caravane du Tour de France sans quelques petits accrochages. C’était d’ailleurs mon principal souci, j’allais sur la ligne d’arrivée et j’attendais de voir si toute la caravane était bien là.

JOL Press : N’y a-t-il pas un côté désuet ?
 

Yves Arnal : Absolument pas. Quand vous avez 12 millions de personnes qui sont sur le bord de la route, attendant plusieurs heures dans les montagnes… Non ce n’est pas désuet. Je dirais même que c’est l’un des rares médias qui ne vieillit pas. J’ai toujours vu autant de monde. Que les coureurs se dopent, peu importe, les gens s’en fichent, ils sont là pour passer une  bonne après-midi en famille. Et puis c’est un spectacle gratuit ! 

Et puis nous essayons que ce soit le plus neuf possible, par exemple aujourd’hui les caravanes sont conduites par des robots. C’est un spectacle extraordinaire. Je ne voulais d’ailleurs pas arrêter, je suis parti en même temps que Jean-Marie Leblanc, car vous savez au bout de 36 ans de métier vous devenez un emmerdeur (rires). 

Propos receuillis par Nicolas Conter pour JOL Press

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