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Abdication d’Albert II: quel avenir pour l’unité belge?

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JOL Press : Après l’abdication du roi Albert II, le futur roi des Belges divise déjà les Wallons et les Flamands. Pensez-vous qu’il sera capable de conserver l’unité belge ?
 

Pascal Delwit : Si d’aventure il y a un vrai problème d’absence d’unité après les élections législatives de mai 2014, ce problème sera dans une large mesure indépendant du roi. Celui-ci exerce essentiellement une fonction d’incarnation, de visibilité interne et externe, il représente la figure de l’État. Politiquement, son rôle est tout de même très limité dans le système politique belge, même s’il peut, occasionnellement, être relativement important notamment dans la désignation des personnes qui sont en charge de former le nouveau gouvernement après les élections.

Il est clair qu’il y a un regard un peu différent entre le nord et le sud du pays, entre la perspective néerlandophone et francophone. Cela dit, il ne faut pas non plus dresser le tableau d’une Flandre républicaine face au spectre francophone monarchiste. Les choses sont plus nuancées.

JOL Press : Quels sont les principaux défis qui attendent le futur roi ?

Pascal Delwit : Je crois que son gros défi sera d’une part de pouvoir gérer une éventuelle situation difficile, et d’autre part d’être extrêmement prudent dans sa communication – qui n’est pas son point fort –, de manière à ne pas tenir de propos qui puissent susciter la polémique.

JOL Press : Quelle carte devra-t-il jouer dans les années à venir ?
 

Pascal Delwit : Il faudra bien, comme l’a fait son père Albert II, qu’il se moule dans l’État fédéral belge, et qu’il n’adopte pas une posture interventionniste, de volontarisme politique, qui n’est plus d’actualité pour la monarchie belge depuis maintenant une trentaine d’années.

Il doit être un facilitateur dans la vie politique belge, comme Albert II l’a été en 2007 et après les élections fédérales de 2010 où l’on a eu une très longue gestation du gouvernement. Mais en dehors de cela, il ne doit pas être un acteur politique. Il doit donc être en phase avec le système fédéral en accompagnant le mouvement.

On n’attend pas non plus qu’il soit identique à son père, tout comme Albert II n’était pas comme son frère Baudouin. Il doit porter sa propre patte, sa touche personnelle. Il est vrai qu’il a une posture plutôt crispée lorsqu’il doit communiquer en présence de journalistes, mais en dehors de cela, dans des situations de la vie courante, il est très à l’aise.

JOL Press : Le prince Philippe se prépare-t-il depuis longtemps à succéder à son père ?
 

Pascal Delwit : Il s’y prépare depuis très longtemps. Il était même question qu’il succède à son oncle Baudouin sans passer par la « phase Albert II ». Et quand Baudouin est mort en 1993, il y a même eu une petite interrogation au sujet de sa succession, même si elle s’est vite dissipée.

Le prince Philippe a suivi les formations adéquates, il a un doctorat, et il accompagne les missions économiques depuis longtemps comme prince héritier. Bien sûr, être préparé à la charge est différent du moment où l’on devient effectivement roi. Mais il ne faut pas oublier qu’il y aura une équipe autour de lui – et un chef de cabinet dont on attend la désignation – qui va aussi être très importante pour ses premiers pas, et de manière générale pour tout son règne.

JOL Press : Que pensent les indépendantistes belges de cette abdication et du nouveau roi ?
 

Pascal Delwit : Ils ont réagi « intelligemment ». À l’exception de l’extrême-droite anti-monarchiste, républicaine et flamande du parti Vlaams Belang, qui a plutôt ironisé, les nationalistes flamands ont de mon point de vue adopté une communication adéquate. Ils ont reconnu les qualités de la mission d’Albert II et sont restés presque silencieux sur le prince Philippe.

Quand le Premier ministre a présenté formellement devant les Chambres l’abdication du souverain et que les chefs des groupes ont pris la parole, le chef de groupe des nationalistes flamands a simplement rappelé que, pour lui, il fallait évoluer vers une monarchie purement protocolaire, et que le roi n’avait plus aucun rôle politique à jouer. Un propos classique mais sans agressivité et sans mise en cause personnelle ni du roi Albert II qui abdiquait, ni du prince Philippe qui est appelé à régner à partir du 21 juillet.

JOL Press : Les élections législatives de mai 2014 risquent-elles de créer une nouvelle crise dans le pays, notamment si le parti nationaliste flamand participe au prochain gouvernement ?
 

Pascal Delwit : C’est encore très spéculatif, puisqu’on ne réfléchit à cela que sur la base des intentions de vote. Or, on sait que les intentions de vote un an avant les élections ne valent pas grand-chose.

Mais il est clair que si les intentions devaient se confirmer, on se trouverait dans une situation complexe. Les intentions de vote pour le parti nationaliste flamand (N-VA) sont en effet aux alentours de 35% des voix, auxquels il faut ajouter 10% pour l’extrême-droite flamande. On serait dans une situation effectivement très compliquée à gérer, et il serait difficile de former un gouvernement fédéral. On sait que cela peut se produire, mais on ne sait pas ce qui peut se passer si cela se produit. Mais il ne faut pas trop spéculer ; in fine, ce sont les électeurs qui décident.

Ce qui est important, c’est de savoir quels seront les termes et l’agenda de la campagne électorale, et dans quelle dynamique va-t-elle se tenir. Il y a encore plusieurs inconnues : où se présenteront les principaux protagonistes, à l’échelle régionale et fédérale ? Vont-ils chacun suggérer un « premier ministrable » ? Tout cela n’est pas encore très clair, ni du côté néerlandophone, ni du côté francophone. On est dans l’établissement progressif des bases de la campagne, et ces bases peuvent modifier la dynamique électorale dans des directions que l’on ignore encore à ce stade.

JOL Press : Qu’est-ce que cela entraînerait pour l’avenir de l’unité belge ? Peut-on vraiment craindre la fin de la Belgique unie ?
 

Pascal Delwit : On peut en parler, et cela a été abordé pendant la longue crise de 2010-2011. Mais je pense que l’on est quand même loin de ce scénario. Il ne faut pas oublier que la Belgique abrite les institutions européennes et l’OTAN. Même la N-VA sait que, fondamentalement, la majorité des citoyens n’est pas favorable à ce scénario.

Je ne crois donc pas que le scénario de la scission soit probable, même s’il n’est pas impossible. De mon point de vue, la vraie question est de savoir ce que va devenir le cadre institutionnel belge. Une réforme de l’État doit être votée en ce sens en septembre-octobre.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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