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Bruxelles et la Belgique, pour le meilleur et pour le pire

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JOL Press : Dans votre livre « Ils sont fous ces Belges ! » vous écrivez : « La Belgique n’est pas un pays. C’est bien mieux qu’un pays »… C’est quoi, en quelques mots ?
 

Julien Oeuillet : Un grand espace de zone libre, pour le meilleur et pour le pire. C’est à la fois un grand espace de liberté et une zone de non-droit. J’essaie de ne jamais définir un pays, que ce soit la Belgique ou un autre, par quelque chose de très bien ou de très mal.

JOL Press : On parle beaucoup de Bruxelles comme d’une ville européenne. Mais qu’est-ce qui fait la force de la capitale sur le plan national ?
 

Julien Oeuillet : Bruxelles est le dernier endroit officiellement bilingue du pays, même si la très grande majorité des habitants sont francophones. C’est le seul endroit où toute la signalétique est faite dans les deux langues – mis à part quelques autres petites communes. Cela en fait donc le dernier lien entre les deux communautés dans le pays, le dernier endroit où il est facile de naviguer de l’une à l’autre, car tout a été fait pour rendre ce lien difficile en Flandre et en Wallonie. Bruxelles est donc le seul véritable pont entre les deux communautés.

C’est une ville qui est majoritairement francophone, mais qui n’est cependant pas wallonne. Il faut bien préciser que la culture wallonne et la culture bruxelloise sont très diverses. La Wallonie elle-même est très diverse d’une ville à l’autre. Mais les deux se parlent, et un certain nombre d’institutions entretiennent la proximité entre la Wallonie et Bruxelles.

…Et sa faiblesse ?
 

Julien Oeuillet : Son financement. Comme elle se trouve entre les deux communautés, elle est aussi l’argument pour maintenir le pays. Elle est donc l’objet d’intérêts politiques qui ne sont pas forcément dans l’intérêt des Bruxellois eux-mêmes. Le véritable problème que l’on a à Bruxelles, c’est que la ville est sous-financée par rapport aux missions qui sont les siennes, par rapport à toutes les institutions qui s’y trouvent et qui représentent une grosse charge pour les Bruxellois. On manque d’argent, et cela se sent à tous les niveaux : infrastructures, services etc.

Un autre inconvénient, c’est le bilinguisme qui est parfois maintenu de manière artificielle. Or, pour travailler dans la fonction publique bruxelloise, il faut parler les deux langues. Le problème, c’est que si vous parlez un parfait néerlandais que vous avez appris à l’école avec juste une pointe d’accent français qui montre que vous n’êtes pas néerlandophone, on considèrera que vous ne parlez pas assez bien le néerlandais pour travailler. Alors que si vous parlez français avec un accent, ce n’est pas un problème. Cela donne aussi l’impression aux Bruxellois d’être gouvernés par les Flamands.

Le Parlement bruxellois a un certain nombre de sièges réservés aux partis néerlandophones, mais ils sont sur-représentés par rapport à la population néerlandophone de Bruxelles. Sans compter que la ville s’étend sur le territoire flamand, auquel la Flandre s’accroche alors qu’il est en train de devenir une partie du grand Bruxelles.

JOL Press : Par rapport à ses voisines Paris, Londres, Berlin… Comment Bruxelles se positionne-t-elle ?
 

Julien Oeuillet : Paris est une « hyper-capitale », globalisée, où le coût de la vie est exorbitant. Londres se trouve dans le même cas, et Berlin est malheureusement en train de suivre cette voie-là.

L’avantage de Bruxelles, c’est que la ville est contestée comme capitale en Belgique. Comme la Belgique a toujours été très fédéralisée, même en Belgique francophone, d’autres villes comme Liège rééquilibrent les choses car elles ont un poids culturel, politique, économique etc. Cela évite à Bruxelles d’étouffer la Belgique francophone et lui permet de garder une très forte échelle humaine, à l’inverse de Paris.

Elle reste aussi l’une des villes les moins globalisées du monde. Le problème des grandes mégapoles, c’est qu’elles en viennent à n’avoir qu’un caractère de surface, à toutes se ressembler. Bruxelles échappe encore à cela.

JOL Press : Que pensez-vous de l’article de Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles, paru en mai dernier et intitulé « Bruxelles, pas belle » ?
 

Julien Oeuillet : Faire le buzz n’est pas mon métier. Jean Quatremer savait très bien qu’il était sur du velours. L’un des gros vices que l’on a en Belgique, c’est qu’on confond l’esprit critique et l’autoflagellation. En Belgique, si vous dites « On est le pays le plus pourri », tout le monde va vous applaudir en disant « C’est bien, il ose critiquer ». Mais ce n’est pas vrai ! Le problème de l’article de Quatremer, c’est qu’il est arrivé avec un parti pris. Il n’a pas nuancé son propos. Si l’on aime Bruxelles et qu’on s’y sent bien, on pourra écrire ce que l’on veut sur la ville, on s’y sentira toujours bien !

Le problème de la saleté à Bruxelles soulevé par Jean Quatremer est dû au sous-financement. Comme je le disais, les infrastructures ne sont pas suffisantes. Il y a trop d’ordures parce qu’il n’y a pas assez d’argent pour les enlever, et il n’y a pas assez d’argent à cause des conflits communautaires. C’est un cercle vicieux.

JOL Press : Le 21 juillet, c’est la fête nationale belge. Peut-on parler aujourd’hui d’un sentiment national belge ?
 

Julien Oeuillet : La notion de sentiment national n’attire jamais rien de bon, sur le long terme. L’un des grands problèmes de la Belgique, c’est qu’on endort facilement les consciences. En étant très positif ou très négatif.

Vous pouvez endormir une partie des consciences en leur offrant des bières des frites et en leur disant qu’en Belgique, tout va toujours bien. Et vous pouvez endormir l’autre moitié des consciences en publiant des articles à la Quatremer et en leur disant qu’on est vraiment les plus « pourris ».

Mais il y a un côté fainéant dans le pessimisme, c’est pour ça que je me refuse à jouer cette carte-là.

Cela ne sert à rien de partir du principe que la Belgique est foutue, et de s’asseoir en attendant qu’elle s’effondre. Malheureusement, il y a un grand nombre de Belges qui pensent comme cela, par langueur. Il ne faut pas non plus rejeter toujours la faute sur les Flamands. Les Wallons et les Bruxellois ont aussi fait beaucoup d’erreurs, que ce soit par hédonisme ou par pessimisme.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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Julien Oeuillet est journaliste, investigateur et raconteur. Il vit à Bruxelles après avoir sillonné l’Europe. Avec Philippe Dutilleul, il a co-écrit l’essai « Ils sont fous ces Belges ! », éditions du Moment, paru en mars 2013.

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