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Corse: comment les voyous s’enrichissent…

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Pour les Corses, les amis de la Corse et tous les autres, voilà un livre réjouissant et indispensable. Car sont-ils vraiment fous, ces Corses ? D’aucuns les jugent paradoxaux, paresseux, hostiles, bref dignes de leur réputation. Clichés ! S’exclament les autres, inconditionnels au contraire de l’Île de Beauté, parant de toutes les vertus ce qu’ils tiennent pour le dernier refuge de l’authenticité et de la liberté. Rien de moins !

Robert Colonna d’Istria, en familier des rivages de la Méditerranée, recadre le débat. Ils sont fous ces Corses ? Oui et non ! S’appuyant sur mille faits de la vie quotidienne, se fondant sur l’histoire, les croyances, les traditions et la vie politique insulaires, il réussit, à force de bienveillance et d’impertinente lucidité, à faire entendre un ensemble polyphonique, celui de la Corse d’aujourd’hui – sans évacuer aucun sujet, si explosif soit-il.

Après Astérix en Corse ou L’Enquête corse, cet essai plein d’humour et de sagesse permet à l’initié comme au profane de s’instruire en s’amusant. Destiné à être lu sur la plage, Ils sont fous ces Corses ! Peut aussi être savouré toute l’année. À moins que cet ouvrage ne vous serve à préparer votre prochain séjour dans l’île…

Extraits de Ils sont fous ces corses ! de Robert Colonna d’Istria (Editions du Moment)

Quand on regarde la cause de ces morts violentes et de ces ping-pongs sanglants, un mobile se dégage : la volonté de puissance. Pour régner, avoir du gâteau la part la plus grosse, assurer son pouvoir, se défendre, se venger, ne pas être tué, il faut tuer. Derrière cette barbarie, il y a la peur, en réalité, chronique, angoissante, dévorante, de voir un autre monter : alors, pour prévenir toute nuisance, on le flingue. Tuer pour devenir encore plus riche : sur fond de recherche d’une hégémonie territoriale dans l’île, de partages d’affaires sur le continent, à Paris, mais surtout de « marchés » en Afrique ou en Amérique du Sud, c’est la folie à l’état pur.

[image:2,s]De quoi s’occupent-ils, au fait, aujourd’hui, tous ces pauvres diables ? Aux trafics traditionnels, drogue, contrebande de cigarettes, prostitution, fausse monnaie, braquages, trafic à base de cartes de crédit… ont succédé et sont venus s’ajouter les jeux – jeu qui est, comme on l’apprend dans tous les bons cours de physique, « l’âme de la mécanique » –, notamment en Afrique (où ils contrôlent souvent PMU et loteries nationales…), en Amérique du Sud, en Asie (où ils animent des chaînes entières de casinos…), mais aussi en Europe, avec la maîtrise des cercles de jeux, qui défrayent régulièrement la chronique des faits divers.

Par-dessus tout, les voyous investissent leurs économies dans une série d’activités parfaitement licites, au premier abord insoupçonnables (restauration, commerce de vêtements, tourisme, immobilier, travaux publics…). Leur implantation dans l’économie et la société corses est méthodique, aussi difficile à apprécier vraiment qu’elle paraît solide et profonde. Un connaisseur confie qu’« il est difficile, où qu’on soit, Bastia, Ajaccio, Porto-Vecchio, Calvi, si on veut acheter une menthe à l’eau, de ne pas verser son obole à telle ou telle faction voyoucratique ». Soit.

Ce qui a des conséquences redoutables, non seulement sur le plan économique, mais dans l’ordre moral. « Sur cette île, écrit Jacques Follorou, dans La Guerre des parrains corses[1], l’inversement des valeurs n’est pas une vue de l’esprit. Les Corses dans leur majorité ont pris pour acquis que la pègre était une composante inaliénable de la société. »

On ne compte plus, en Corse, patrons, élus, gérants de société, notamment dans les travaux publics, ou la restauration, hôteliers, fonctionnaires – en particulier des collectivités territoriales –, voire policiers, qui doivent leur nomination, leur place, leurs revenus, leurs marchés, leurs subventions, à l’un des innombrables « parrains » qui tiennent le haut du pavé. « Chaque fois qu’un ensemble immobilier sort de terre, écrit Brigitte Rossigneux[2], qu’une boîte s’ouvre, qu’un supermarché s’implante, le même soupçon justifié. » Et cela sans oublier que les véritables enjeux – proprement considérables – sont bien loin de l’île.

Ce qui n’empêche pas les trafics d’y proliférer. Dans son livre, Jacques Follorou rapporte ces chiffres effrayants, fournis par la police : en 2010, on pouvait dénombrer une quinzaine de bandes se livrant au trafic de drogue ; l’année suivante, en 2011, on en comptait vingt-quatre… Comme si le territoire, autrefois sanctuarisé pour rester propre, était désormais un sanctuaire du vice.

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Familier des rivages de la Méditerranée, Robert Colonna d’Istria, historien et écrivain, a publié de nombreux livres, récits de voyage ou reportages. La Corse demeure un de ses sujets de prédilection avec une quinzaine d’ouvrages.

[1] J. Follorou, La Guerre des parrains corses, Flammarion, 2013.

[2] Le Canard enchaîné, le 20 février 2013.

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