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Fonte de l’Arctique: «Une opportunité pour les pays riverains»

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JOL Press: Nous avons récemment découvert les images de l’évolution de la fonte des glaces au Pôle Nord, laissant place à une vaste étendue d’eau. La photo, publiée par un réseau d’écologistes, ne serait en fait qu’une mare d’eau fondue superficiellement. S’agit-il d’un simple traitement médiatique alarmiste ?
 

Mikå Mered: La photo, qui a fait le tour des medias, a été prise par une balise installée chaque printemps depuis 2002 au Pôle Nord géographique. Cette balise dérive au fur et à mesure des courants océaniques. Elle a été repérée par un réseau d’écologistes à plus de 550 kilomètres au sud du Pôle Nord géographique. Ces images posent deux réflexions. D’abord sur la question du buzz environnemental : est-ce que toutes les informations publiées sur la fonte de la banquise arctique sont valables et fiables? Deuxièmement : pourquoi expliquons-nous que le Pôle Nord est en train de fondre et qu’un lac est en formation alors que la photo montre très clairement un phénomène qui se produit chaque année. Il s’agit en fait d’une mare de glace superficiellement fondue dont la profondeur maximale est d’environ 25-30 cm. Il n’ y a en aucun cas un lac en formation au Pôle Nord, et ce territoire n’est pas du tout en train de se déglacer de manière permanente.

JOL Press : Ce phénomène n’a donc rien d’anormal pour la communauté polaire ?
 

Mikå Mered: Cela n’a effectivement rien de surprenant! Toutes les études scientifiques, qu’elles soient américaines, russes, canadiennes, montrent que le réchauffement climatique en Arctique a des impacts forts, plus importants que dans d’autres régions du monde. La banquise fond pendant l’été avec un pic de déglaciation au mois de septembre, avant de se reformer en hiver. Cette glace ne disparaitra pas de manière permanente toute l’année avant plusieurs décennies. Mais nous assistons aujourd’hui à une spéculation portant sur la quantité de glace amenée à disparaître pendant l’été avant de se reformer.

JOL Press : Le 17 septembre 2012, Peter Wadhams, met en garde dans le Guardian d’une fonte record de la banquise. Evoquant « une catastrophe mondiale », le spécialiste avait également averti de la disparition de la banquise arctique d’ici à 2016. Qu’en est-il aujourd’hui ?
 

Mikå Mered : Le problème avec Peter Wadhams, éminent chercheur de l’Université de Cambridge, c’est qu’il a fait beaucoup de prédictions depuis ces dix dernières années. En 2005, il prédisait que l’Arctique fonderait intégralement pendant l’été 2008. Une fois arrivé en 2008, il a parlé de 2012. En 2010, il évoquait une fonte intégrale en 2013, reportée ensuite en 2016. Dans sa dernière publication dans la revue Nature, il explique maintenant qu’il n’y aura plus de glace sur l’ensemble de l’océan arctique au mois de septembre 2015, durant le pic de déglaciation. Ce n’est donc pas la première fois qu’il fait ce genre de prédictions et elles ne se sont jamais vérifiées. De nombreux chercheurs du monde entier expliquent d’ailleurs que le modèle de Peter Wadhams est bien trop extrême pour être parfaitement fiable. 

JOL Press : Selon une équipe de scientifiques de l’université de Cambridge, la fonte de la banquise arctique pourrait coûter jusqu’à 60 000 milliards de dollars. Quelles sont les mesures mises en œuvre par les gouvernements pour tenter de freiner le réchauffement climatique ? 
 

Mikå Mered : Il y a d’abord la géo-ingénierie, une nouvelle discipline qui s’est développée ces dernières années autour de la thématique du réchauffement climatique. Selon les partisans de la géo-ingénierie, il serait possible de déployer une sorte de parasol géant au-dessus de l’Arctique pour que les rayons du soleil se réfléchissent le moins possible, limitant ainsi le réchauffement global. Mais d’un autre côté, la grande majorité des économistes et des climatologues rétorquent aux partisans de la géo-ingénierie qu’il y a un risque de dérèglements absolument monstrueux en voulant influer sur un facteur du climat dans une région localisée et surtout en Arctique…La situation est donc bloquée.

Parmi les autres mesures pour freiner le réchauffement climatiques figurent bien sûr des méthodes classiques politiques comme la transition énergétique, les tentatives de développement d’une industrie verte pour réduire des émissions de gaz à effet de serre. Mais il n’y a rien de spécifique à l’Arctique sur ce domaine-là : les gouvernements de la région s’inscrivent dans le cadre du protocole de Kyoto, en tout cas pour ceux qui l’ont signé.

JOL Press : Quelle est la position de la France  ? 
 

Mikå Mered : La France est très en retard sur le développement d’une industrie verte, contrairement à l’Allemagne, qui en choisissant de mettre fin au nucléaire d’ici 2022 – de façon plutôt unilatérale – a investi sur toute cette nouvelle industrie verte. De cette manière,  l’Allemagne va être la figure de proue technologique de cette économie verte. Cela comporte deux intérêts: d’abord, lorsque cette technologie sera appliquée à l’Allemagne, cela leur permettra de limiter leurs émissions de gaz à effet de serre, mais de développer aussi toute une nouvelle industrie à l’export avec des technologies qui seront recherchées dans le monde entier.  Un plus petit pays comme l’Islande a mis énormément de moyens depuis le début des années 2000 sur deux technologies : une technologie géothermique achetée partout dans le monde, et l’énergie hydrogène.   

JOL Press : La fonte des glaces en Arctique est-elle une occasion pour les gouvernements, les compagnies minières et maritimes, d’avoir un accès aux ressources d’hydrocarbures ?
 

Mikå Mered : Effectivement, c’est une opportunité pour les pays riverains de l’Arctique:  la Russie, le Canada, les Etats-Unis (Alaska), la Norvège, et le Groenland (Danemark). Cela concerne également l’Islande, juste en dessous du cercle Arctique, mais qui peine à rentrer de pleins pieds diplomatiquement dans ce réseau des cinq Etats riverains. La Suède et la Finlande sont également des partenaires prépondérants au sein du Conseil de l’Arctique, bien qu’ils n’aient pas d’ouverture vers l’océan arctique.

En dehors des gouvernements de la région, il y a ce que j’appelle le deuxième cercle arctique, « le Proche Arctique », comme on parle du Proche orient, composé du Japon, Corée du Sud, la Chine, l’Union européenne dans son ensemble, mais en particulier la France, l’Allemagne et la Grande Bretagne.

Au sein de ce deuxième cercle, les gouvernements japonais, coréens, chinois, sont très intéressés par l’Arctique, pour le développement minier, halieutique, mais aussi le développement en termes de navigation et l’exploitation d’hydrocarbure.  L’Inde, est également  un acteur proactif dans la région arctique alors que ce pays est très éloigné géographiquement.

Concernant les compagnies minières, il y a évidemment de très nombreuses ressources dans l’océan arctique : des ressources offshore, sur et sous la terre. Le gros nœud minier aujourd’hui dans l’arctique, concerne le Nord-Est du Canada et le Groenland. Ces deux zones sont les plus prometteuses : elles regroupent les cinquièmes plus grandes ressources mondiales d’uranium.

JOL Press : Quelles sont les réserves de gaz et de pétrole en Arctique ?
 

Mikå Mered : On estime que l’Arctique concentre 30% des réserves de gaz mondiales, principalement sur le territoire Russe, ce qui génère d’ailleurs une nouvelle politique de réarmement de redéveloppement industriel. En ce qui concerne le pétrole, les estimations sont plus détaillées et donc, varient davantage. Le gouvernement américain a estimé en 2008 qu’environ 13% des réserves mondiales restantes de pétrole se trouvaient en Arctique. Des compagnies privées, notamment BP, qui ont fait des études plus poussées en Arctique depuis, affirmant qu’il y avait 200 milliards de barils de pétrole dans cette région, quasiment l’équivalent des réserves de l’Arabie Saoudite ou du Venezuela.

JOL Press : Que peut-on faire en tant que citoyen pour freiner le réchauffement climatique ?
 

Mikå Mered : J’ai un point de vue assez pessimiste sur la question. Je pense qu’en tant que citoyen, le débat sur les manières dont on peut freiner le réchauffement climatique est passé. Ce débat pour limiter les changements de paradigmes écologiques aurait dû avoir lieu dans les années 70 : c’est là qu’il y avait la plus grande marge de manœuvre et que l’on pouvait décider oui ou non de limiter ce phénomène. Mais aujourd’hui, ce phénomène est enclenché : nous ne sommes pas dans une dynamique politique et économique – notamment avec la crise mondiale  – pour générer des investissements massifs dans l’économie verte. C’est une erreur à mon sens, mais c’est en tout cas la situation du débat politique actuel. Pour freiner le réchauffement climatique tant que possible, le citoyen peut essayer  à travers la politique, l’entreprenariat, et la création d’un débat grand public, de  proposer de nouvelles perspectives pour les politiques écologistes.

 Si l’on ne peut plus faire marche arrière sur ce réchauffement climatique, ce qu’on peut faire en revanche, c’est investir en Recherche et développement pour contrecarrer les effets climatiques du milieu de siècle. Aujourd’hui, la façon dont le gouvernement pense la politique énergétique, de gauche comme de droite,  c’est à travers un agenda maximum à 2025.  En réalité, ces grands changements climatiques apparaitront massivement dès la prochaine décennie, mais s’exprimeront pleinement autour de 2050. A travers, l’économique, le politique, et le médiatique, le citoyen peut donc essayer de changer cette orientation, voir plus loin, et développer des politiques écologiques de prospective. 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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