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Gender, catholicisme, école: ce que pense vraiment Vincent Peillon

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JOL Press : Vincent Peillon se réfère à Jean Jaurès et Ferdinand Buisson, explique qu’être anticlérical, ce n’est pas être antireligieux, qu’il faut mener un combat idéologique… Souhaite-t-il le retour des « hussards noirs » de la République ?
 

Guillaume Bernard : Par ses références à des hommes politiques des débuts de la IIIe République, il est probable que le Ministre de l’Education nationale ait en haute estime ces fameux « hussards noirs ». Cela dit, il ne faut sans doute pas réduire sa pensée à cette seule période car les principes auxquels il semble adhérer ont des racines plus anciennes. Sur le fait que, en principe, l’anticléricalisme ne soit pas nécessairement (même s’il peut l’être et l’est assez souvent) antireligieux, il a parfaitement raison. Oserai-je rappeler que l’un des personnages historiques qui a eu le plus maille à partir avec certaines personnes de l’institution religieuse (qui n’ont pas brillé par leur perspicacité) fut, en même temps, l’une des personnes de sont temps qui a eu le plus confiance en Dieu : Jeanne d’Arc ?

De même, si le césaro-papisme conduit à un empiètement de l’Etat sur le domaine de compétence de l’Eglise, cela peut, dans certains cas, exprimer une hostilité envers l’institution ecclésiastique mais, dans d’autres, cela peut traduire la volonté pour le politique d’exercer un véritable ministère au service de la religion : tel fut le cas de Charlemagne. En tout cas, sans prétendre connaître toute la pensée de Monsieur Vincent Peillon, il semble assez évident qu’il préconise l’existence d’une morale devant structurer le lien social mais que celle-ci n’est nullement la manifestation de l’existence d’un ordre naturel mais doit être l’incarnation du rationalisme, de la puissance de l’homme.

La morale naturelle (issue de l’ordre cosmologique des choses) est souvent confondue (soit pour la combattre, soit par « augustinisme ») avec la morale religieuse et ceci pour une raison somme toute assez simple : l’univers est peut-être le fruit du hasard, mais il peut être, aussi, la création de Dieu. Comme morales naturelle et religieuse (généralement) convergent, elles sont d’autant plus rejetées dans une démarche moderniste parce qu’elles apparaissent comme une double atteinte à la liberté de l’homme : elles s’imposent à lui soit en raison de l’ordre des choses dont l’homme n’est pas le maître, soit à cause de l’autorité divine.

JOL Press : « L’école a un rôle fondamental puisque l’école doit dépouiller l’enfant de toutes ses attaches pré-républicaines pour l’élever jusqu’à devenir citoyen », écrit-il. Vincent Peillon semble vouloir renouer avec les idéaux de la Révolution. Cette volonté politique a-t-elle un sens aujourd’hui ?
 

Guillaume Bernard : Cela peut paraître désuet mais Monsieur Vincent Peillon a le mérite de retourner aux principes fondamentaux. Dans le fonds, tout le système politique moderne (que vous soyez libéral ou socialiste) repose sur une hypothèse : il n’existe pas d’ordre naturel des choses. Par conséquent, il n’y a de société que créée par les hommes : leur volonté ne sert pas à s’inscrire dans des corps sociaux existant naturellement (comme la famille) mais à les produire (ainsi, le mariage peut-il voir sa définition évoluer). La sociabilité est artificielle. De même que la société n’existe pas sans contrat social, l’homme peut et doit, lui aussi, se construire lui-même. L’école, telle qu’elle apparaît dans cette prise de position de Monsieur Peillon, a pour objectif de réaliser les promesses contenues dans l’artificialisme social : libérer l’homme, de manière particulière, de l’héritage des communautés d’enracinement et, de manière générale, de l’emprise de l’ordre cosmologique.

Les droits de l’homme étaient, à l’origine, au XVIIIe siècle, déclarés inscrits dans la nature humaine : tous les hommes ayant la même nature, ils ont donc les mêmes droits. Dans cette pensée, seul l’homme abstrait et  décontextualisé (d’aucuns diraient déraciné) a, véritablement, droit de cité : le bon citoyen est celui qui accepte de se dépouiller de toutes ses particularités culturelles et sociales pour épouser les seules valeurs de l’ordre politique artificiel. Mais, dans ce contexte intellectuel constructiviste, voici qu’est « naturellement » en train d’éclore une nouvelle génération des droits dits fondamentaux : celle des droits de l’homme sans la nature de l’homme, voire contre elle. En effet, de même que la société est pensée artificielle, il est logique que l’homme puisse prétendre se définir lui-même : telle est la parfaite logique des théories constructivistes comme celle du gender.

JOL Press : « C’est bien une nouvelle naissance, une transsubstantiation qui opère dans l’école et par l’école cette nouvelle église avec son nouveau clergé, sa nouvelle liturgie, ses nouvelles tables de la Loi ». Ce propos est-il en cohérence avec l’esprit de 1905 ?
 

Guillaume Bernard : Avant tout, il faut noter le vocabulaire très catholique (comme le terme « transsubstantiation ») utilisé dans cette citation. Cela accrédite l’interprétation de certains selon laquelle la loi de séparation des églises (essentiellement l’Eglise catholique) et de l’Etat était un moyen au service d’une religion de substitution : les droits de l’homme. La laïcité est, la plupart du temps, présentée comme la mise en œuvre d’un principe de neutralité (religieuse) de la puissance publique, la religion n’étant nullement persécutée mais son expression étant simplement reléguée dans la sphère privée.

Il s’agit, là, d’une vision quelque peu simplificatrice et, pour le moins, idyllique. Elle passe sous silence la confiscation (sans indemnité) des biens du clergé sous la Révolution (ce qui explique, par la suite, le compromis du concordat de 1801, l’Eglise acceptant de ne pas revendiquer les biens dont elle a été spoliée contre, notamment, la rémunération des clercs) ainsi que la lutte acharnée contre les congrégations religieuses (en particulier enseignantes) commencées quelques années avant la loi de 1905 (notamment avec la fameuse loi de 1901 sur les associations permettant de priver ces institutions de personnalité juridique).

Si, en raison de la transformation des circonstances, la laïcité peut apparaître, de nos jours, comme un rempart contre les empiètements publics des communautarismes et l’influence sociale du multiculturalisme (et donc au final comme un moyen de défense de l’identité du lieu), elle n’avait pas été conçue, à l’origine, dans ce but mais bien comme un moyen de transformer l’identité traditionnelle de la France.

JOL Press : « On ne pourra jamais construire un pays de liberté avec l’Eglise catholique »… François Hollande savait-il bien ce qu’il faisait en le nommant à l’Education ?

Guillaume Bernard : Monsieur Vincent Peillon est non seulement un intellectuel mais il est aussi un militant politique. J’ignore totalement si le président de la République et le Premier ministre ont lu ses travaux et s’ils les ont pris en considération lorsqu’ils ont débattu de la composition du Gouvernement. Il y a sans doute plus à parier que c’est son poids personnel au sein du PS et celui du courant auquel il appartient (l’aile gauche du parti) qui a été surtout pris en considération. La formation d’une équipe gouvernementale consiste à attribuer des fonctions à des personnes en raison de leurs compétences (du moins supposées) mais aussi à répartir les postes entre les différentes tendances qui composent une majorité. Pour le ministère de l’Education nationale, il est probable que le chef de l’Etat a désiré placer une personne qui, par ses orientations idéologiques et son parcours professionnel (il a enseigné la philosophie), pourrait s’entendre avec une bonne partie des enseignants et les syndicats.

JOL Press : Pour bien comprendre, la laïcité est-elle automatiquement hostile, à cause de son histoire, à la religion catholique en particulier ?
 

Guillaume Bernard : Avec doigté et diplomatie, les Souverains pontifes ont essayé de définir, à destination des titulaires du pouvoir politique, une « saine laïcité » (expression utilisée par Pie XII en 1958) acceptable pour l’Eglise catholique : rejetant l’augustinisme politique, elle s’appuie sur la distinction évangélique des domaines spirituel et temporel préservant, ainsi, les domaines de compétence, différents et légitimes, de l’Eglise et de l’Etat. Cette approche a été développée par l’Eglise à une époque où la laïcité perdait quelque peu son caractère agressif envers le catholicisme. En effet, plusieurs étapes sont généralement distinguées dans l’histoire de la laïcité. Après une période d’agressivité (laïcité de combat), un modus vivendi s’est peu à peu dégagé (laïcité-neutralité) pour aboutir, selon certains, à une certaine maturité et donc à la possibilité de mettre en place des relations non plus de défiance mais de collaboration entre le politique et le religieux : c’est la « laïcité positive » (le politique y trouvant un intérêt puisque le religieux contribue culturellement, au-delà du cultuel, à la solidité du lien social).

Ce concept a été élaboré non pour affirmer l’identité religieuse, sinon ontologique du moins historique, du corps politique, mais pour permettre à la puissance publique d’organiser le multiculturalisme et, au besoin, d’acheter la paix sociale. En tout état de cause, dans sa stricte acception, la laïcité suppose la réunion de plusieurs éléments : la neutralité de l’Etat vis-à-vis des diverses religions susceptibles d’exister sur son territoire, la relégation de la religion dans la sphère privée (ce qui n’exclut pas des manifestations publiques mais devant être étrangères à l’ordre public) et l’autonomie du pouvoir politique vis-à-vis de toute morale qui n’émane pas de lui même (sa légalité est, par principe, légitime). La laïcité (même assagie dans sa forme) suppose donc le monopole du politique sur l’ordre public : celui-ci peut donc apparaître incompatible avec la distinction évangélique des domaines qui, tout en excluant le sacerdotalisme, suppose que le lien social soit nourri de spiritualité (la miséricorde, par exemple, ne rend pas inutile la justice mais peut la dépasser).

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Guillaume Bernard est maître de conférences (HDR) à l’ICES (Institut Catholique d’Etudes Supérieures). Il a enseigné ou enseigne dans les établissements suivants : Institut Catholique de Paris, Sciences Po Paris, l’IPC, la FACO… Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d’ouvrages dont : Les forces politiques françaises (PUF, 2007), Les forces syndicales françaises (PUF, 2010), le Dictionnaire de la politique et de l’administration (PUF, 2011) ou encore une Introduction à l’histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2e éd., 2011).

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