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Hassan Rohani, président iranien: «Le Monde» victime de sa crédulité?

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Certaines analyses, parfois d’une naïveté confondante, n’ont pas manqué de surprendre les observateurs. Parmi elles, retenons l’analyse du quotidien Le Monde (20 juin) qui se démarque singulièrement par l’empressement à trancher la scène politique iranienne, convaincu que « le chat persan est retombé sur ses pattes ». C’est aller un peu vite en besogne. Comme dit le proverbe iranien, « on ne compte les poussins qu’à la fin de l’automne ».

Obligé de justifier cet investissement prématuré sur les chances du religieux Hassan Rohani, mais gêné d’utiliser le terme démocratique pour qualifier les élections des mollahs, Le Monde ne manque pas de vergogne pour cautionner une « élection présidentielle qui s’est déroulée dans des conditions aussi honnêtes que possible » et flatter « une opération d’une rare transparence du ministère de l’intérieur ». Sans oublier de reprendre à son compte les chiffres officiels pour s’émouvoir que « près de 37 millions d’Iraniens se sont déplacés aux urnes, soit 74% de participation. C’est énorme ».

Dorer le blason des tyrans iraniens pour vendre une analyse indéfendable est une faute inexcusable

Cette exaltation ébahie pour la prestation électorale des mollahs laisse perplexe. Le lecteur en sort désolé, voire effaré par de telles inepties sur la nature des élections dans ce pays soumis à la dictature religieuse. Des élections qui n’en sont pas, puisque les opposants interdits, seuls les membres du sérail sont autorisé à se présenter. Vouloir miser sur un improbable changement du comportement des intégristes en place peut se comprendre, mais chercher à dorer le blason des tyrans iraniens pour vendre une analyse indéfendable est une faute inexcusable.

L’auteur fait valoir Hassan Rohani comme « le meilleur espoir d’une libéralisation et d’une sortie de l’isolement du pays causé par l’extrémisme de Mahmoud Ahmadinejad et l’intransigeance du régime sur la question nucléaire ». Il présente cela comme « la preuve d’une maturité peu connue en politique » dont les mollahs ont bien voulu nous faire la démonstration. Dans un débordement d’optimisme, le quotidien français est catégorique : « Après Khatami (1997-2005), le réformateur impuissant, et Ahmadinejad (2005-2013), l’extrémiste discrédité, le régime iranien pourrait avoir trouvé son point d’équilibre » avec Hassan Rohani.

Cette analyse du Monde ressemble étrangement à celui de cet apologiste du régime iranien qu’est Bernard Hourcade qui ne perd aucune occasion pour vendre la nécessité de renouer avec les mollahs. Ce géographe intronisé spécialiste de l’Iran par les médias, est récemment sortie de son habit de « chercheur » pour se poser en intermédiaire et messager de confiance de l’ambassade d’Iran, lors d’une audition à la commission des affaires étrangères de l’Assemblée national. Après avoir  vanté les avantages d’un Rohani dont l’arrivée peut être une chance pour la France, lire les entreprises françaises,  il transmet aux parlementaires français la proposition faite par l’ambassade d’Iran : quelques parlementaires pourraient aller en Iran en touriste rencontrer Rohani avant son investiture. L’Iran verrait cela d’un très bonne œil a-t-il ajouté.

Le plus novice en matière de politique iranienne sait très bien qu’en Iran, c’est le Guide suprême qui est le maître absolu, seul habilité à trancher sur les questions stratégiques. Tant sur l’ouverture politique à l’intérieur, que sur la question du nucléaire ou de l’ingérence en Syrie… Si Khatami était considéré « impuissant », il n’y a pas de raison pour que Rohani ne le soit davantage, comme le fut également Ahmadinejad. C’est méconnaître le guide suprême que de croire à un changement de fond lors d’un remplacement présidentiel.

Pure spéculation

Le guide suprême, dirigeant à vie de la République islamique, détient à lui seul, en vertu de l’article 110 de la constitution, tous les pouvoirs pour : définir les politiques générales du pays, nommer les membres du Conseils des gardiens de la constitution, le chef du système judiciaire, le directeur de la radiotélévision de l’État, le chef d’état-major, le commandant des pasdaran, les hauts commandants des forces de sécurité, la prérogative de nommer ou de destituer le président de la république. Le Guide est également le commandant suprême des forces armées. » En somme, le vrai dirigeant c’est Khamenei et non Rohani. Cette fameuse formule de Khatami suffit à saisir la situation : « Le président n’est qu’un intendant. »

Devant cette contradiction dérangeante, l’auteur de l’article du monde tente par une contorsion qui frôle le ridicule, de dédouaner tout d’abord Khamenei, avant de le doter d’intentions qu’il n’a pas : « Ali Khamenei ici a fait preuve d’une souplesse qu’on ne lui prêtait plus (…) On peut voir dans ce résultat inattendu l’occasion pour le Guide d’échapper à l’emprise croissante des pasdaran sur les institutions et sur l’économie ».  Il ne suffisait pas de faire de Rohani un « modéré », il a fallu convertir Khamenei en « souple ».  C’est ce qu’on appelle se jouer de l’intelligence des lecteurs. L’auteur se discrédite en allant séparer Khamenei et les pasdaran qu’il commande et qui sont l’instrument même de son pouvoir. S’ils ont investis l’appareil politique et économique du pays, c’est bien sur la volonté du Guide en personne, pour contrôler le pouvoir et la machine de répression, ainsi que la politique étrangère.

Songé un instant que le dictateur iranien va céder du terrain dans sa stratégie de fuite en avant tient de la pure spéculation et d’une crédulité puérile. Berner l’opinion publique sur d’illusoires perspectives de changement chez les mollahs est un jeu dangereux qui ne fera que prolonger la souffrance du peuple iranien, conforter la tyrannie sur l’échiquier régional et la rapprocher de l’arme nucléaire. Alors que les observateurs renseignés parlent de quelques mois pour terminer la bombe, il faut bien concéder une chose au régime : il semble avoir réussi, en baissant la garde de la communauté internationale, à gagner encore plus de temps.

L’article conclut sur une note qui fait la leçon à l’opposition, sans quelques grains de cynisme et d’ignorance : « Dernière leçon à tirer de cette élection du 14 juin : c’est vraiment à l’intérieur du pays que réside le moteur du changement, et non dans les différents groupes et groupuscules qui tentent de se présenter, en exil, comme l’opposition principale-voir officielle… Cela démontre l’inanité des opposants de l’extérieur les plus radicaux, malgré les moyens parfois importants dont ils disposent. »

L’auteur a tout à fait raison de croire que le changement ne peut venir que de l’intérieur. Mais à quel intérieur songe-t-il ? Au mirage venant de l’intérieur du pouvoir ? Comme si Rohani, ou quiconque avant ou après lui, a pu ou pourra apporter le moindre changement dans ce régime. Le peuple iranien a jadis testé, pendant huit ans, les promesses de réforme de Khatami, et avant lui, plus timidement, celles de Rafsandjani… Toujours en vain.

C’est parce qu’avec ce régime, le malheur c’est justement qu’il n’est pas réformable. Il est pourtant de notoriété publique qu’une dictature, de surcroit religieux, basée sur la suprématie du guide aux prérogatives divines, ne peut se changer d’elle-même. La Résistance iranienne a été la première à le tester au début de la révolution de 1979, en participant pacifiquement et de bonne foi dans le processus électoral du nouveau pouvoir. L’intégrisme est par essence totalitaire et ne peut accepter le jeu démocratique.

La solution reste donc le changement de régime dans sa totalité et l’instauration d’une véritable démocratie.  C’est ce que défend avec justesse le CNRI. Le leitmotiv de l’opposition a été et reste « la troisième voie : ni guerre, ni complaisance, mais un changement démocratique par le peuple iranien et sa Résistance organisée ». L’opposition n’a jamais voulu « importer » le changement, ce qui serait à la fois erroné et irréaliste, et l’a répété par la voie de sa dirigeante dans cette autre leitmotiv à l’intention des puissances : « nous ne demandons ni armes, ni argent, mais que l’on cesse d’entraver la Résistance ».

Le changement démocratique, le peuple iranien le désire ardemment. Le soulèvement de 2009 nous l’a montré. Cependant, contrairement aux affirmations de l’auteur, les Iraniens savent qu’il ne peut se faire par les soi-disant dirigeants réformateurs. Ces derniers ont montré, notamment en 2009, leur totale inanité à la direction du mouvement populaire. Souvenons-nous qu’au pic de la révolte, alors que la rue revendiquait le renversement de la dictature, ils cherchaient à freiner le mouvement révolutionnaire en clamant leur fidélité à la constitution du régime.

En vérité, le changement ne peut intervenir sans une force motrice organisée. La situation explosive de la société iranienne ne peut engendrer un changement réellement démocratique sans l’action d’une opposition structurée, attachée aux valeurs républicaines et modernes. Les leçons de la révolution anti monarchique et du printemps arabe sont là pour le confirmer.

Enfin, l’auteur du « chat persan est retombé sur ses pattes » semble s’irriter de l’aura du CNRI comme « l’opposition principale – voire officielle ». Mais c’est au régime qu’il faut s’en prendre pour cet état de fait, c’est lui qui a désigné sa principale opposition: par son hypersensibilité, sa ligne rouge constamment réitérée contre tout rapprochement avec le CNRI, la mobilisation permanente de son redoutable appareil de sécurité contre les sympathisants et les vastes réseaux de l’OMPI à travers le pays, par sa campagne d’intoxication incessante contre les Moudjahidine du peuple et son acharnement militaire meurtrier pour anéantir le cœur battant de la Résistance à Achraf et Liberty*.

Pour le rappeler à ceux qui l’auraient oublié, il a programmé sa dernière attaque contre Liberty, le camp de l’opposition en Irak, le jour même de l’annonce des résultats électoraux, faisant plusieurs morts et blessés. Notons que les représentants du CNRI l’ont affirmé  ouvertement que la position de la principale force d’opposition n’est pas un luxe, mais une lourde responsabilité qui fait de ce mouvement le principal cible de la répression. Pour cette résistance qui a eu le mérite de survivre aux terribles massacres et atrocités du régime depuis 35 ans grâce à sa ténacité et à la force de ses convictions, « le pouvoir à tout prix » n’est pas un objectif mais « la liberté à n’importe quel prix » comme l’a souligné sa dirigeante, Maryam Radjavi.

Lors d’un rassemblement historique devant cent milles personnes à Villepinte au nord de Paris une semaine après l’annonce du résultat de l’élection présidentielle en Iran elle a rappelé sereinement : « Rien ne changera sans liberté d’expression et sans les droits de l’homme, et tant qu’il y aura des prisonniers politiques, qu’il n’y aura pas de liberté d’action pour les partis, que la politique d’agression du régime se poursuivra en Syrie et en Irak, et que le régime insistera pour obtenir la bombe. Les dirigeants du régime savent bien que tout changement sérieux dans cette politique entrainera le renversement de la dictature dans sa totalité. »

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