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Islamophobie grandissante: la crise accentue «le rejet de l’autre»

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JOL Press : Ces six derniers mois, l’Observatoire national contre l’islamophobie a enregistré une augmentation de 35% des actions et menaces contre les musulmans en France. Concrètement, qu’est-ce, pour vous, qu’un acte islamophobe ?
 

Abdallah Zekri: Les actes islamophobes peuvent être classés en deux catégories : les actions et les menaces. Parmi les actions figurent les homicides, les violences, les attentats, les incendies, les dégradations sur les mosquées. En ce qui concerne les menaces, nous regroupons avec le Ministère de l’Intérieur les propos injurieux, lorsque nous recevons du courrier avec des inscriptions comme « sale musulman » par exemple. Globalement, c’est tout ce qui touche au dénigrement de la religion musulmane.

JOL Press : Combien d’actes et de menaces islamophobes ont été enregistrés au premier semestre 2013 ?  Quelle a été l’évolution depuis 2012 ?
 

Abdallah Zekri:  Il y a eu, au cours des six derniers mois, une augmentation des violences islamophobes (incendie, dégradations, etc…) : 24 actions islamophobes ont été enregistrées, soit une progression de 41,2% par rapport au premier semestre de l’année 2012. Il y a eu 84 menaces (propos injurieux, tracts, inscriptions, tags, etc…) donc une augmentation de 33,3% par rapport à la même période en 2012.

JOL Press : Comment expliquer cette montée de l’islamophobie en France ?
 

Abdallah Zekri: Cela s’explique d’une part par le rejet de l’autre. Accuser la religion musulmane d’être incompatible avec la démocratie et la laïcité, dire que l’Islam porte atteinte à la République, ou affirmer que 64% des Français ont peur l’Islam – alors que la plupart ne connaissent pas la religion – sont des comportements qui accentuent l’islamophobie en France. Les violences urbaines à Trappes, où l’image du jeune de banlieue brûlant des voitures inspire la méfiance, y participent également. Il ne faut pas non plus minimier le rôle des médias : lorsque vous allumez votre poste de télévision, et que vous visionnez les scènes violentes en Syrie, en Egypte ou ailleurs, l’Islam y est présenté comme une religion de guerre. Cela crée un amalgame qui nourrit l’extrémisme. L’extrémisme musulman et l’extrémisme politique se nourrissent mutuellement. 

JOL Press: Qui sont les auteurs de ces actes islamophobes ? Est-ce une islamophobie organisée portée par des groupes précis ou une islamophobie ordinaire ?
 

Abdallah Zekri: Les deux. Depuis que je suis à la tête de l’Observatoire national contre l’islamophobie, c’est la première fois que je comptabilise des agressions contre les femmes. Au mois de juillet, il y a eu neuf agressions de femmes qui ne portaient pas le voile intégral, mais un foulard : cinq dans la région de Reims, trois dans le Val d’Oise, une à Trappes. Neuf en quinze jours, c’est un phénomène inquiétant. Elles ont été attaquées par des groupes organisés, comme des skinheads.

Deux choses me révoltent sur cette question : d’abord la lâcheté de ceux qui s’en prennent à ces femmes et puis le fait que des musulmans me téléphonent pour me dire que, si l’Etat et la police ne peuvent pas protéger leurs épouses, ils allaient se protéger eux-mêmes. Et c’est bien cela qui est grave à mes yeux : imaginez que l’on assiste à la création de milices pour s’auto-défendre… Il faut que la police fasse son travail, qu’elle arrête les femmes voilées intégralement sur la voie publique puisqu’une loi a été adoptée en avril 2011 – mais les forces de l’ordre doivent également protéger les autres, celles qui portent un simple foulard. 

JOL Press : Selon vous, la majorité des musulmans respectent-ils la loi de 2011 qui interdit le port du voile intégral sur la voie publique ?
 

Abdallah Zekri: Il y a eu 435 personnes verbalisées depuis que cette loi est passée. Cela représente vraiment une minorité des musulmans en France. On en fait tout un plat, mais il n’y a pas de quoi. J’ai rencontré une femme voilée qui m’a expliqué qu’elle préférait payer l’amende que de cesser de porter le voile intégral : elle se plie au contrôle et à l’amende parce que c’est un choix.

JOL Press : Y-a-t-il dans l’affaire de Trappes, qui implique un couple converti à l’islam, un risque d’amalgame ?
 

Abdallah Zekri: Il y a deux versions des faits dans cette affaire. Je n’étais pas là, j’ignore si ce Monsieur a agressé la police ou pas. Je ne peux pas condamner les uns ou les autres, mais il y a une chose qui est certaine : c’est que cet homme reconnaît s’être interposé pendant le contrôle de police et avoir bousculé les policiers. Cette arrestation polémique ne justifie en aucun cas la vague de violence qui a déferlé sur cette commune des Yvelines, la destruction du matériel urbain et l’incendie des voitures. La violence ne mène à rien. D’ailleurs, la majorité des musulmans de Trappes condamne ce qui s’est passé.

Ce couple était converti à la religion musulmane et je dois dire que, parmi les convertis, certains ne connaissent rien à l’Islam, ni au Coran. Ce qui me gêne chez eux, c’est qu’en se convertissant ils veulent devenir plus musulmans que les musulmans, et veulent ensuite nous donner des leçons sur l’islam.

Lors des violences à Trappes, le Ministre de l’Intérieur Manuel Valls a défendu la police. Je conçois tout à fait l’importance de défendre cette institution nationale, mais il faut admettre  qu’il y a des bavures de la police parfois. Quand je discute avec des jeunes, certains me disent qu’au moment des contrôles ils sont souvent malmenés. Il y a des provocations et il suffit d’un mot de trop pour que les jeunes des quartiers se retrouvent au poste. Il faudrait que Monsieur Valls écoute tout le monde. Il faut calmer le jeu et respecter les gens. 

JOL Press: Le traitement médiatique sensationnel des banlieues à forte population musulmane a-t-il un impact sur la montée de l’islamophobie ? Selon vous, y a-t-il eu une évolution du traitement médiatique depuis les émeutes de 2005 ?
 

Abdallah Zekri: Tout à fait. Regardez ce qu’il s’est passé après l’affaire Merah: une dizaine de jeunes soupçonnés de faire partie d’un réseau terroriste ont été arrêtés chez eux, à six heures du matin. Mais après 48 heures de garde à vue, ils ont tous relâchés faute de preuves. Il y a eu un emballement médiatique autour de cette affaire : les chaînes de télévision ont diffusé des images sensationnelles de ces jeunes menottés avec des draps sur la tête, entourés de voitures de police. Mais aucun média n’a ensuite précisé qu’ils avaient été relâchés. Ce sont des images qui restent gravées dans l’esprit des Français.

Pour moi, il n’y a eu aucune évolution du traitement médiatique depuis les émeutes de 2005. Dans la loi française, lorsqu’on arrête une personnalité politique importante – toute personne qui soit d’ailleurs – celle-ci est considérée innocente tant qu’elle n’a pas été jugée. Mais lorsqu’on arrête des musulmans, ce sont les coupables idéals. 

JOL Press: Peut-on dire que cette montée de l’islamophobie est une réponse au communautarisme grandissant en France ?
 

Abdallah Zekri: Il n’y a pas de communautarisme grandissant. Nous avons créé des ghettos en parquant les gens ensemble dans les banlieues, dans des blocs de bêton qui étaient au départ des logements sociaux. Dans chaque grande ville de France que ce soit à Lille, à Marseille, à Nîmes, à Montpellier ou à Paris, tous les HLM sont occupés par des familles musulmanes ou part des familles aux revenus modestes. Dès que des violences urbaines éclatents, comme ce qui c’est passé à Trappes, il y a un phénomène de repli sur soi. Contrairement aux dirigeants de droite, je ne qualifie pas ces espaces de « quartiers perdus de la République », mais de « quartiers abandonnés par la République ». Ce ne sont pas des zones de non droit, mais des lieux abandonnés. Et quand vous avez un chômage qui frappe 45 à 50% des jeunes dans ces quartiers, on peut comprendre qu’ils réagissent violemment : ils se sentent exclus et rejetés de la société et prennent conscience dans quel pays ils vivent.  

JOL Press: La crise économique a-t-elle, selon vous, renforcé cette exacerbation des tensions ?
 

Abdallah Zekri: Evidemment ! Lorsque qu’on entend des discours comme quoi il y a trois millions de chômeurs et tant de millions d’immigrés qui prennent la place de travailleurs français, c’est vraiment regrettable. Je vais vous donner un exemple: l’autre jour, j’ai regardé un reportage d’un chantier à Besançon. Tous les travailleurs étaient magrébins et faisaient le ramadan malgré les 35 degrès. S’ils avaient pris des congés, le chantier aurait été stoppé. Et qui aurait travaillé à leur place?  La crise économique renforce le refus de l’autre. A chaque crise, il faut qu’il y ait un bouc émissaire: aujourd’hui c’est l’immigré, l’étranger.  Il y a eu les Italiens, puis les Espagnols, maintenant ce sont les Arabes. 

JOL Press: Quelles sont les mesures – sans tomber dans l’angélisme –  prises face à cette montée de l’islamophobie ? La communauté musulmane a créé un collectif pour soutenir les victimes… Faut-il en appeler à la République ?
 

Abdallah Zekri: Lors d’une rencontre avec le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, j’ai demandé au président de la République de faire une déclaration solennelle et de dire que l’islamophobie était une cause nationale, comme il l’avait fait avec l’antisémitisme pour la communauté juive. A ce jour, François Hollande n’a pas encore osé faire cette déclaration. Les musulmans veulent être traités de la même manière que les autres : ils veulent être des citoyens à part entière et non des citoyens « à part ». 

Propos recueillis par Louise Michel D. pour JOL Press

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