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L’Arctique, nouvel Eldorado pétrolier, menacé par les convoitises

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La plus importante fonte des glaces de toute l’histoire de l’humanité

Né dans un petit village côtier de la Mer des Tchouktches, fils d’un Esquimau Inuit pêcheur de baleines, Hugh Patkotak connaît bien l’eau et la glace.

« Il y a près d’une centaine de mots pour désigner la glace dans la langue des Esquimaux », dit-il. Des mots qui décrivent les morceaux de banquise qui sont plats, épais, et sûrs pour s’y promener ; la glace compacte, molle et dangereuse ; et la neige qui tombe sur l’océan, qui rend difficile la navigation au printemps pour un bateau en bois.

Patkotak, chef d’entreprise dans son village natal, est aussi un pilote de recherche et de sauvetage en mer. Il regarde vers la toundra de sa vue « d’œil d’oiseau », comme il dit, observant année après année la glace qui commence à fondre au printemps et en été, et revient lentement à l’automne. Debout au bord de l’eau à Wainwright à la fin du mois d’août, en regardant la mer sombre, il raconte qu’il a vu cet été seulement quelques-uns des icebergs habituels à l’horizon, et aucun morceau de banquise ne flottait, même à des centaines de kilomètres de la côte.

« Nous n’avons jamais vu une telle fonte des glaces de toute notre histoire », affirme Patkotak.

Dans ces eaux du Grand Nord de l’Alaska, la banquise a fondu à un rythme record cet été, dépassant le niveau enregistré en 2007, marquant la plus grosse fonte des glaces de l’Arctique depuis que les scientifiques ont commencé à l’étudier par satellite en 1979. Des scientifiques ont calculé que c’était la plus importante fonte dans l’histoire de l’humanité, mais les avis divergent encore sur la question d’un potentiel danger pour le développement de la planète.

Les grandes compagnies pétrolières se lancent dans la course au pétrole de l’Arctique

Pour la Royal Dutch Shell et d’autres compagnies pétrolières, cette fonte des glaces permet d’ouvrir les voies navigables autrefois bloquées par la glace, dont les grosses compagnies pétrolières auront besoin pour installer des plates-formes de forage et des aires de transit pour tirer le gaz brut et naturel situé sous le fond marin.

Shell a passé quatre années épuisantes à lutter contre la bureaucratie de l’État, et a déboursé 4,5 milliards de dollars pour sécuriser les côtes qu’ils détiennent, ce que les géologues pensent être un filon de pétrole brut dans cette course au pétrole et aux minéraux qui est en marche dans ces régions du sommet du monde. 

La fonte historique a ouvert une bataille entre les huit nations du cercle arctique – les États-Unis, le Canada, la Russie, la Suède, le Groenland, l’Islande, la Norvège et la Finlande –  qui se bousculent pour exercer un pouvoir d’influence dans l’Arctique, sur ce que les investisseurs considèrent comme la dernière grande économie émergente du monde.

Il n’y a pas seulement le pétrole et le gaz naturel, mais aussi les minéraux tels que le platine, le zinc, le nickel et l’or. Ainsi que le précieux avantage d’avoir de l’eau potable fraîche. Des milliards de dollars de profits sont donc en jeu. La sécurité géopolitique – alors que les ressources ne cessent de diminuer, un écosystème délicat – crucial pour le refroidissement de la planète, et enfin l’amélioration du mode de vie traditionnel pour le peuple indigène – qui a tout à perdre et beaucoup à gagner, sont les autres enjeux de la bataille.

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« C’est notre terre »

« Nous sommes inquiets. C’est notre terre, et ces eaux sont nos domaines où nous récoltons notre nourriture. Ce n’est pas seulement une zone de transit pour Shell, c’est notre terre, et tout est sur le point de changer », s’inquiète Patkotak.

Camouflé sous une veste de chasse, il parle de la « récolte » de printemps, des baleines boréales de 20 mètres de long, qui errent dans cette zone, et de la chasse aux caribous et aux ours polaires. Il regarde au loin, d’un air vague, et se souvient du temps où il y avait des icebergs visibles à cette époque de l’année. Et, encore plus loin, dit-il, il peut entendre le sifflement et le « pop » de la fonte des glaces, comme des grains de sucre blanc qui fondent dans du café noir.

À la fin du mois d’août, le département de l’Intérieur américain a donné son accord pour que la Royal Dutch Shell commence le forage préliminaire. L’accord est arrivé trop tard pour la compagnie pour qu’elle commence le travail cette année, car les glaces d’automne ont commencé à revenir, mais Shell a annoncé qu’elle allait plonger les mèches de forage dans les eaux claires l’année prochaine après le printemps, lorsque la fonte des glaces aura à nouveau cours.

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Les écologistes craignent une nouvelle catastrophe pétrolière

Les écologistes se préparent à cela, et craignent une explosion qui pourrait avoir l’ampleur de celle du puits de forage de la plate-forme Deepwater Horizon, survenue en 2010, la pire catastrophe de l’histoire américaine en termes de déversement de pétrole.

Alors que des règlementations beaucoup plus strictes ont été mises en place pour des compagnies comme Shell afin qu’elles adoptent des « détecteurs d’explosion » et des systèmes de bouchage, l’Arctique a également soulevé la question de savoir comment il serait possible de contenir un déversement ou une éruption à grande échelle alors que la glace continue à bouger. Des groupes écologistes comme le Club Sierra ou la World Wildlife Federation (WWF) ont cherché à bloquer, ou du moins à ralentir Shell dans sa détermination à commencer le forage.

Un récent rapport sur la prévention des déversements de pétrole dans l’Arctique, commandité par le « Programme américain de l’Arctique » du Groupe environnemental Pew, s’intitulait : Risques non étudiés, conséquences inacceptables. Le rapport de 135 pages n’a pas mâché ses mots sur les dangers posés par les opérations pétrolières dans l’Arctique.

Il y est dit qu’« un éloignement géographique, un climat extrême et une mer de glace qui ne cesse de bouger exacerbe les risques et les conséquences des déversements, tout en compliquant le nettoyage ». Il est aussi dit que les techniques de nettoyage dans les eaux glacées étaient « non prouvées » et qu’une explosion « pourrait dévaster un écosystème déjà fragile ».

Pete Slaiby, le vice-président de Shell, à la tête des opérations en Alaska, a dit qu’il comprenait les préoccupations des peuples autochtones et les craintes des organisations de protection de l’environnement qu’un déversement catastrophique de pétrole serait impossible à contenir, s’il devait être pris au piège dans la glace.

Les compagnies pétrolières profitent de la fonte des glaces pour accéder aux ressources de l’Arctique

« Je comprends leur crainte, mais je ne la partage pas. Et je vous expliquer pourquoi », a déclaré Slaiby, s’exprimant lors du Sommet sur l’Arctique, en août dernier, qui rassemble des leaders commerciaux mondiaux, le gouvernement, des écologistes et des habitants de l’Arctique.

« Je suis ici aujourd’hui parce que la compagnie pour laquelle je travaille croit, comme moi, que l’exploration des côtes peut être faite d’une manière qui protège l’environnement. Nous pouvons coexister avec ceux qui y trouvent leur subsistance, et apporter des bénéfices et la sécurité pour la nation toute entière, comme pour les acteurs locaux », a déclaré Slaiby, qui fait figure dans la région d’homme de confiance et de franchise, dans la course effrénée vers le pétrole à laquelle s’adonnent les grandes compagnies pétrolières en Alaska.

Et la course n’est pas près de s’arrêter. Une étude de 2008 réalisée par le US Geological Survey a trouvé que l’Arctique pouvait contenir 90 milliards de barils de pétrole, et 1700 milliards de mètres cubes de gaz naturel, soit environ 13% du pétrole mondial encore non extrait, et près de 30% du gaz naturel mondial.

L’Alaska a depuis les années 1970 bénéficié de larges champs pétroliers sur le versant nord du territoire. Le pétrole offshore d’Arctique a été découvert dans les années 1980, mais c’est seulement maintenant, grâce à des méthodes de forage de pointe et à la fonte historique des glaces, qu’il est devenu possible d’aller chercher le pétrole de manière abondante.

Vastes champs de pétrole, dont les géologues disent qu’ils peuvent rivaliser avec ceux du Texas ou de l’Arabie saoudite, s’étendent sur une centaine de kilomètres près de ce petit village de la mer des Tchouktches. L’ironie de l’histoire est aussi mordante que le froid glacial qui va s’installer ici en automne : les grosses compagnies pétrolières, qui ont tellement contribué au réchauffement climatique, tirent maintenant les bénéfices de la fonte dramatique qu’elles ont causée.

Global Post / Adaptation : Anaïs Lefébure / JOL Press

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