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Les colonies de vacances: un concept dépassé?

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JOL Press : Dans quel contexte sont nées les colonies de vacances?
 

Laura Lee DownsLes colonies sont nées avec la Troisième République et ses écoles primaires gratuites, laïques et obligatoires. Elles sont nées dans un contexte politique où il fallait refonder la République sur la base d’une éducation civique de masse au lendemain de la défaite à Sedan (1870). Mais elles sont conçues d’abord dans un souci de la santé des enfants des familles urbaines et ouvrières, dans une période où des villes et des quartiers industriels se développent et semblent dévorer les vagues de migrants ruraux qui arrivent pour y vivre et travailler.  

Cela dit, il ne faut pas oublier que la colonie de vacances n’a jamais été une institution d’État  – c’est une œuvre semi-privée liée aux écoles primaires, une œuvre privée liée aux diocèses ou aux écoles catholiques, une œuvre municipale. Elle manifeste la vitalité d’un mouvement réformateur multiforme qui a puissamment façonné le XXe siècle et se donnait pour but d’éduquer l’ouvrier, les nécessiteux, ou les citoyens modestes, selon le vocabulaire spécifique des tendances réformatrices – mais sous un visage très particulier : l’enfant, la figure du peuple qui peut encore être sauvée.

JOL Press : A quand remonte l’âge d’or des colonies ?
 

LLaura Lee Downs: Selon moi, l’âge d’or des colonies remonte aux années du Front populaire, quand cette institution commence à toucher les enfants des classes moyennes, et dure jusqu’aux années 1975-80, avec la parenthèse assez compliquée qu’est la période de la guerre et de l’Occupation. A cette époque, l’impact de la crise économique se fait sentir non seulement sur les familles mais aussi sur les budgets des municipalités. De plus, cela coïncide avec le début d’une offre marchande dans ce secteur qui va concurrencer la colo classique, avec son projet éducatif construit autour de la mixité sociale de la communauté enfantine et le vivre-ensemble. Les marchands de vacances, en revanche, vont proposer, non un projet éducatif, mais des séjours organisés autour d’un large panel d’activités plus ou moins coûteuses (poneys, escalade, voile, etc.).

JOL Press : S’agit-il d’un mouvement de masse ? Combien d’enfants sont partis en colonies de vacances depuis 1880 ?
 

Laura Lee DownsAu départ (années 1880) ils ne sont que quelques centaines à partir chaque année, soit avec des associations protestantes (Chaussée du Maine et l’Oeuvre de Trois Semaines), soit avec les écoles primaires parisiennes. Mais l’idée de sauver les enfants – notamment de la tuberculose, qui rongeait la population enfantine et ouvrière à l’époque – par une « cure d’air » à la campagne se répand vite dans des milieux réformateurs de l’époque : chez des catholiques, qui ambitionnent d’accompagner la cure l’air par une « cure d’âme » qui vise les enfants d’une population ouvrière « déchristianisée », dans des municipalités socialistes, qui voient dans la colonie de vacances le genre de service public à la fois hygiéniste et éducatif qu’il fallait établir pour améliorer les conditions de vie des familles populaires.

En 1913, donc, plus de 100.000 enfants quittent les villes françaises pour aller à la campagne, à la montagne ou au bord de la mer chaque été. Ils partent soit en collectivité, soit en placement familial chez des paysans. En 1936, le gouvernement du Front populaire fait le nécessaire pour que 420.000 enfants partent en colo, et au lendemain de la Seconde guerre mondiale, ils sont 800.000 à partir. La barre d’un million d’enfants sera franchie en 1955, ce qui représente 12 à 13 % de la population enfantine de l’époque (toutes classes sociales confondues). Le pic sera atteint en 1994, quand les colos vont toucher 14% de la population des 5 à 19 ans. Après, les chiffres dessinent une décrue progressive, au point où, en 2011, ce n’est que 7,5% de la population de 5 à 19 ans qui part, et ce pour des séjours de moins en moins importants.

JOL Press : Les colonies classiques existent-elles toujours aujourd’hui, ou bien se sont-elles transformées en séjours caritatifs/associatifs, ou commerciaux ?
 

Laura Lee DownsDes colonies classiques existent toujours mais elles sont de moins en moins nombreuses par rapport aux séjours commerciaux ou aux solutions de proximité du genre CLSH. Il y a aussi des séjours organisés par les diverses branches du mouvement scout, qui sont apparemment de plus en plus fréquentées par des enfants de famille à revenue modeste.

JOL Press: Quels sont les bienfaits des colos sur l’éducation des jeunes ? 
 

Laura Lee DownsUne pédagogie qui valorise l’initiative, l’esprit d’équipe et l’autonomisation de l’enfant par rapport à sa famille : voilà trois raisons pour lesquelles les familles confient toujours leurs enfants à des colonies de vacances pour au moins une partie de leurs vacances. Mais la mission historique de la colonie a toujours eu aussi des visées plus sociales : promouvoir la capacité de l’enfant à entrer en relation avec d’autres et élargir sa sociabilité ; assurer la prise en charge des enfants de milieux défavorisés pour leur permettre de partir pendant leurs vacances mais aussi favoriser la rencontre d’enfants de milieux sociaux différents.

JOL Press : Comment expliquer cette baisse de fréquentation  des colonies de vacances ?
 

Laura Lee DownsC’est très simple : les frais des colonies de vacances d’aujourd’hui dépassent largement les moyens de familles qui n’ont pas, soit une aide financière importante, soit les moyens de payer les 400 à 600 euros par semaine que coûte la colonie aujourd’hui. Par conséquent, il y a un repli des familles aux revenus modestes sur les centres de proximité (centres aérés, CLSH, etc.) ou sur les différents mouvement scouts. Mais il ne faut pas oublier que les manières d’éduquer les enfants ont aussi évolué depuis « l’âge d’or » des années 1945-75. Aujourd’hui, les familles ont tendance à garder leurs enfants plus près d’eux, et quand les enfants partent, ce n’est plus pour des séjours de six à huit semaines ni même d’un mois, comme c’était le cas durant les années 1960-80. L’heure est aux courts séjours de 8 à 15 jours, voire de 5 à 8 jours.

JOL Press: Comment peut-on sauver les colonies ?
 

Laura Lee DownsParmi les 21 propositions mises en avant dans le fameux rapport parlementaire, il y en a une qui a particulièrement retenue mon intérêt : celle qui propose qu’on instaure un « volontariat de l’animation » pour pouvoir remettre au cœur des colonies cet esprit militant qui a incité des milliers de jeunes à partir avec les enfants et à leur assurer une éducation civique et sociale au sein des colonies de diverses obédiences religieuses et politiques.

JOL Press: Faut-il, comme le préconise le rapport parlementaire publié le 10 juillet dernier, « réinventer les colonies » ? De quelle manière ?
 

Laura Lee DownsIl serait souhaitable de remettre en place des vacances peu chères, où l’accent est mis moins sur la démultiplication des activités que sur une éducation civique et sociale qui se peux se faire à travers la communauté enfantine et sa construction autour de la négociation de différences, le partage du temps passé ensemble. 

JOL Press: Que pensez-vous de l’instauration d’une taxe sur l’hôtellerie de luxe pour sauver les colos ?
 

Laura Lee DownsJe crois qu’il faut effectivement trouver une manière de souder de nouveau les solidarités autour des vacances des enfants des classes populaires. 25% d’enfants qui ne partent jamais en vacances, c’est beaucoup, tout de même. Je ne sais pas si cette taxe serait le meilleur moyen de le faire. Mais ce qui est évident, en regardant l’histoire de cette institution singulière, c’est qu’elle est née dans des cercles concentriques de solidarité autour des enfants de familles démunies : des caisses des écoles, des paroisses, des syndicats, des associations, des partis politiques, des municipalités ont tous fait en sorte que les enfants du coin partent en vacances parce que c‘est important sur le plan sanitaire et éducatif, mais aussi parce qu’il est question de la justice sociale : « Que puissent bientôt des milliers d’enfants du peuple essaimer tour à tour vers la montagne ou la mer » écrit Edmond Cottinet, directeur de la caisse des écoles du IXe arrondissement en 1886. Que l’on soit capable de réaliser ce projet 130 ans plus tard.

Propos recueillis par Louise Michel D.

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