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«L’Union européenne n’est attractive que pour les pays pauvres»

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En pleine crise, l’Union européenne accueille ce lundi 1er juillet un nouveau membre. La Croatie devient ainsi le 28ème membre d’une union affaiblie et qui tente, par tous les moyens, de s’engager de nouveau dans la voie de la croissance.

Quels sont les enjeux de cette adhésion ? La Croatie peut-elle changer les choses dans l’Union européenne ? Pierre Verluise directeur de Diploweb.com, directeur de recherche à l’IRIS et auteur de Géopolitique des frontières européenne. Elargir jusqu’où ? répond à nos questions.

Un nouveau membre dans l’Union Européenne, l’Europe a-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions ?
 

Pierre VerluiseA cette question, nous devons apporter une réponse objective et fondée sur des chiffres. Aujourd’hui, la Croatie représente 1,26% de la superficie de l’Union européenne à 28. Ce qui est bien plus petit que la Pologne ou la Turquie mais n’est quand même pas négligeable.

La Croatie, c’est également 0,86% de la population européenne avec un volume de 4,4 millions d’habitants, ce qui est plus important que le Luxembourg, mais bien entendu plus faible que l’Espagne.

En termes économiques, la Croatie représente 0,33% du PIB de l’Union européenne à 28, ce qui est très peu, car la Croatie est relativement pauvre à l’échelle de l’Union puisque son PIB par habitant est de 61% de la moyenne de l’UE en SPA. Ce qui la place au niveau de la Pologne. A l’échelle régionale des Balkans occidentaux, la Croatie fait plutôt figure de pays enviable. L’impact économique de cette adhésion est cependant relativement modéré compte tenu de sa population relativement réduite. De nouvelles aides européennes seront bien entendu délivrées à la Croatie mais puisque son territoire est réduit, ces dernières seront limitées, en tout cas beaucoup plus que s’il s’agissait de la Turquie.

Derrière cette adhésion, l’Union européenne veut ainsi témoigner d’une chose : elle est encore attractive ce qui dans cet état de dépression est plutôt bienvenu.

L’Union européenne veut également montrer qu’elle sait tenir parole et elle lance ainsi un message aux autres candidats à l’adhésion à l’Union européenne. S’ils font des efforts, ils seront récompensés.

Pour la Croatie, quels sont les avantages à intégrer une union affaiblie par cette crise ?
 

Pierre VerluiseIl y a un vrai paradoxe en Croatie. Il y a d’une part une satisfaction politique de se voir officiellement intégré, mais on constate également qu’à mesure du rapprochement de la date d’adhésion officielle, le peuple croate est devenu sceptique et moins enthousiaste.

Lorsque cette adhésion n’était qu’un rêve, il a mobilisé les foules, mais à la veille de l’événement, les risques et les inconvénients deviennent plus palpables.

Concrètement et en termes politiques, les Croates auront désormais des députés au Parlement européen et pourront contribuer à la norme européenne qu’il transféraient jusqu’ici sans pouvoir y contribuer.

Ils pourront participer aux réunions et auront un droit de vote, aux conseils des ministres comme aux conseils européens.

Sous l’angle économique, ils pourront participer pleinement au marché européen.

En théorie, cette adhésion pourrait contribuer à leur propre relance économique. Pourtant, les perspectives de croissance en Croatie sont complexes et les prévisions mauvaises. En 2013, la Croatie devrait être en dépression de 0,4% et en 2014, le taux de croissance devrait avoisiner les 1%. Ce qui marquerait un mieux après des années difficiles depuis 2009. 

La Croatie pourrait-elle néanmoins apporter sa pierre à l’édifice de la reconstruction européenne ?
 

Pierre VerluiseLes Croates subissent un taux de chômage de 15%, ce qui est très au-dessus de la moyenne européenne qui se situe déjà au-dessus des 10%. Le taux d’emploi est également nettement inférieur à la moyenne, notamment pour les femmes, ce qui n’est pas un signe de compétitivité. 

Le 17 avril 2013, le commissaire européen Štefan Füle déclarait : « La Croatie arrive à un moment où l’Union européenne traverse sa crise économique et financière la plus grave. De nombreuses décisions ont été prises pour surmonter la crise au cours des dernières années et la Croatie peut maintenant apporter sa contribution à la résolution de cette crise ».

Il s’agit d’une déclaration difficilement compréhensible. C’est un non-sens scientifique. Même avec une croissance de 5%, la Croatie ne pourrait pas tirer l’Union européenne vers le haut et hors de la crise compte tenu de son faible volume : 0,33% du PIB de l’UE. 

Cette adhésion à l’Europe intervient justement dans un contexte de défiance des populations des pays membres à l’égard des institutions européennes. Comment l’expliquez-vous ?
 

Pierre VerluiseA 28, l’Union européenne représente 508 millions d’habitants avec autant d’opinions différentes. Ce qu’on observe, c’est qu’après les élargissements de 2004 et de 2007, les Européens se sont montré fatigués de ces nouvelles adhésions. Tout allait trop vite, il fallait faire une pause et prendre le temps de digérer ce qui avait été intégré. Un sentiment qui s’est traduit par un rejet des perspectives de nouveaux élargissements.

Cela s’explique à mon sens par un manque de pédagogie et de débats accumulé depuis des années. Même dans les milieux les plus informés, ce sentiment s’est développé.

Il faut dire que l’Union européenne apparaît aujourd’hui comme n’étant attractive que pour les pays les plus pauvres, tandis que les plus riches, tels que l’Islande ou la Norvège, hésitent aujourd’hui à rejoindre l’aventure.

Alors comment peut-on prétendre optimiser les chances de renforcer l’Union européenne en intégrant, et même s’ils sont dans une dynamique de rattrapage, des pays plus pauvres que la moyenne ?

L’UE à 28 est affaiblie par la pauvreté de certains de ses membres et fragilisée par des pays qui ne respectent pas les règles du jeu. Les institutions européennes sont affaiblies par une corruption qui sévit notamment en Italie, en Grèce et que l’Union peine à endiguer.

En Hongrie, le président Viktor Orban témoigne tous les jours de sa volonté de ne pas respecter les textes des institutions et l’Union européenne ne peut rien faire contre cela. La Hongrie est le témoin vivant d’un fait grave : lorsqu’un pays est entré dans l’UE, il peut tout à fait sortir des clous et ne plus respecter le contrat.

La Croatie fera-t-elle mieux ? Il faut l’espérer. Les autres pays candidats feront-ils mieux ? Ces problèmes ne sont jamais clairement abordés et ces questions provoquent l’inquiétude légitime des populations européennes. Les mémoires des guerres balkaniques constituent des bombes à retardement pour l’UE.

Quelles sont les ambitions européennes pour les prochains élargissements ?
 

Pierre VerluiseCes ambitions sont assez claires. Il y a aujourd’hui plusieurs candidats officiels et potentiels. Les officiels sont la Macédoine (ARYM), le Monténégro, l’Islande, la Turquie et la Serbie. Les potentiels sont l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo.

Parmi ces candidats, tous ont quelques particularités. L’Islande est le seul candidat à avoir un niveau de vie supérieur à la moyenne européenne. Mais la récente majorité élue à l’Assemblée n’est pas particulièrement pressée de signer son adhésion. Les Islandais sont très attachés à leur souveraineté et s’ils se sont rapprochés de l’Union européenne lorsqu’ils étaient en pleine crise en 2008, ils ont rapidement constaté qu’ils pouvaient finalement s’en sortir seuls.

La Turquie est également un cas à part. Elle est beaucoup plus étendue et aurait donc un fort impact tant démographique qu’économique sur l’UE. Concrètement, si la Turquie rentre dans l’Union européenne, cela doit impérativement être un succès. Mais depuis 2010, les négociations n’avancent pas et la crise politique actuelle va de nouveau freiner le processus.

Quant à la Serbie, elle reste très pauvre et abrite de nombreux réseaux de criminels organisés. Les souvenirs de la guerre sont très vifs parmi la population et la corruption y est tenace. D’autre part, le gouvernement populiste au pouvoir est très proche de Moscou et donc beaucoup moins de Bruxelles.

L’Albanie n’est pas encore candidate officielle. Egalement très pauvre, ses réseaux de criminels sont très forts. Néanmoins, elle a joué un rôle performant auprès de la commission européenne et c’est ainsi qu’elle a obtenu son statut de candidat potentiel. Je recommande leur cabinet de lobbying…

Pour finir, le Kosovo est également un cas à part puisque son indépendance n’est pas reconnue pour cinq membres de l’Union européenne bien que la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, ait contribué à l’amélioration des relations avec la Serbie.

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