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Réforme des retraites: les fonds de pension aux abonnés absents

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1993, 2003, 2007, 2010, 2013, voilà vingt ans que les gouvernements successifs s’attellent à une réforme du système français des retraites, réformes si peu définitives que leur rythme ne cesse de s’accélérer.

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Selon les projections du Conseil d’orientation des retraites (COR) publiées à la fin de l’année 2012, les déficits des régimes de retraite se creuseraient à l’horizon 2020, s’élevant dans une fourchette comprise entre 19,8 et 21,9 milliards d’euros (soit 0,9 à 1 point de PIB dans l’hypothèse de rendements AGIRC-ARRCO constants) contre 13,2 milliards d’euros en 2011.

Pour parvenir à l’équilibre en 2020, les différentes mesures sont connues : mobiliser de nouvelles recettes, agir sur le niveau des pensions, agir sur la durée d’activité par des mesures d’âge ou de durée. Cependant, la Commission Moreau dont le rapport a été remis au Premier ministre le 14 juin dernier, n’estime pas nécessaire de relever l’âge de départ à la retraite considérant que les efforts déjà faits en ce sens sont suffisants. Mécaniquement, il n’est plus possible d’agir que sur la hausse des cotisations ou sur l’allongement de leur durée pour atteindre le taux de remplacement maximal. Deux solutions qui confirmeraient qu’il y a bien deux poids deux mesures à la justice sociale si souvent invoquée par le Président de la République et son gouvernement.

Le système de répartition en France : vers une baisse programmée du niveau des pensions ?

Bien que le système de retraite français s’apparente aujourd’hui à une mosaïque complexe, il repose dans l’ensemble sur le principe de la répartition qui équivaut à un transfert financier des actifs vers les retraités. En cela, il repose sur la solidarité intergénérationnelle. Face à des besoins en financement croissants, les gouvernements successifs ont engagé des réformes visant à limiter les dépenses publiques de retraite.

Si le rapport Moreau ouvre des perspectives intéressantes eu égard aux précédentes réformes adoptées, il part cependant du principe qu’une réduction des pensions, de manière directe ou indirecte, est inévitable. Il précise en effet que l’allongement des durées d’assurance est seule susceptible de produire des effets à court terme. Il ajoute qu’une révision du mode d’indexation des salaires portés au compte serait également nécessaire si la situation se dégradait.

Une hausse des cotisations a déjà eu lieu lors du retour partiel de l’âge légal de départ à la retraite à 60 ans (+0,2% de majoration part patronale et part salariale) et le rapport Moreau en propose une supplémentaire de 0,1% par an sur 4 ans. De plus, l’entrée dans le marché du travail étant plus tardive, l’allongement de la durée de cotisation et la désindexation des années portées au compte induiront nécessairement une baisse des pensions.

En clair, non seulement les actifs vont devoir supporter un poids plus élevé des cotisations pour verser des revenus aux retraités actuels qui n’ont pas anticipé leurs propres difficultés de financement, mais en plus ils devront bénéficier pour leur part d’une retraite moindre. Excellente illustration du pacte entre générations et de l’attention portée à la jeunesse par François Hollande lorsqu’il était candidat.

Les choix vers lesquels se portent les préférences du gouvernement témoignent donc encore d’une absence de cohérence et de courage en matière d’égalité et d’efficacité économique. Quelle lisibilité y a-t-il en effet à vanter les mérites du CICE et à augmenter de nouveau les charges pesant sur l’emploi ? Comment justifier que les générations partant à la retraite en 2020 ou 2050 aient moins de droits que celles ayant fait valoir leurs droits dans les années 1990-2000 ? Comment faire face aux inégalités qui vont naître au sein d’une même génération de retraités, entre ceux qui auront eu une carrière atypique du fait du chômage, de la hausse des contrats à durée déterminée ou du temps partiel et ceux qui auront pu mener leur carrière jusqu’au bout ? Quid également des régimes spéciaux ? Cette baisse finalement programmée des pensions ne risque-t-elle pas enfin de provoquer un retour de la pauvreté chez les personnes âgées ?

A ces effets de long terme, l’institut Coe-Rexecode ajoute dans une étude récente qu’une hausse des cotisations freinerait la croissance et pénaliserait les ménages en amputant leur revenu disponible, conséquence identique en cas de baisse relative des pensions nettes.

Alors que tous les acteurs impliqués dans la prochaine conférence sociale sont capables de dresser ce constat, aucun d’entre eux ne propose de solution nouvelle pour résoudre les limites actuelles de notre système de retraite. Une fois de plus la retraite par capitalisation, utilisée en complément de la retraite par répartition, est la grande absente de la réforme.

Les fonds de pension : faire entrer le loup de la finance mondialisée dans la bergerie de la répartition ?

La polémique autour de la retraite par capitalisation ne date pas d’aujourd’hui. En 1994, un rapport de la Banque mondiale avait déjà provoqué des débats virulents. Prenant acte du vieillissement des générations et de la baisse du nombre des naissances, il mettait en évidence le choc démographique auquel les régimes de retraite par répartition allaient être confrontés, choc qui en montrerait les limites. Il pronostiquait déjà pour les pays développés une hausse du coût des pensions à verser pesant aussi bien sur les finances publiques que sur la croissance économique en général.

Le rapport préconisait de mettre en place des réformes reposant sur trois piliers. Le premier pilier, public, financé par des cotisations sociales ou par l’impôt, devait avoir une fonction redistributive et permettre la prise en charge des retraites des personnes les plus pauvres. Un deuxième pilier, individuel ou collectif mais obligatoire, devait être financé par capitalisation, obligeant ainsi chacun à épargner pour sa retraite future. Ce pilier aurait été assez étroit pour permettre l’expansion d’un troisième pilier d’épargne facultative, privée et individuelle bénéficiant d’avantages fiscaux où les individus auraient pu choisir où et comment placer leur épargne tout au long de leur vie. Le rapport s’inspirait du modèle suisse notamment, mis en place dans les années 1970.

En France, les fonds de pension n’ont pas une bonne image. Mais de quoi s’agit-il réellement ? Ce sont des entités financières chargées de collecter et de capitaliser des cotisations dont le produit est reversé aux affiliés sous forme de rente ou de capital à la retraite. A ceux qui considèrent qu’un tel système accroîtrait les inégalités, rappelons que les fonds de pension existent déjà en France pour certaines catégories de professions parfois enclines par idéologie à les peindre sous les plus noires couleurs.

C’est ainsi que depuis 1967 la PREFON offre aux fonctionnaires une retraite individuelle par capitalisation gérée collectivement pour 370 000 affiliés. Fondée par des syndicats, gérée paritairement, son objectif est de permettre aux fonctionnaires, dont les primes ne sont pas comptabilisées pour le calcul de la pension, de se constituer une retraite complémentaire. Il existe aussi la CRH qui assure les hospitaliers depuis 1963. Le FONPEL et la CAREL gèrent des retraites complémentaires pour les élus des collectivités locales depuis 1993. Les « contrats Madelin » assurent aux professions indépendantes et aux agriculteurs une retraite complémentaire ou de la prévoyance avec déductions fiscales. Paradoxalement, c’est donc le secteur privé qui est resté principalement à l’écart des fonds de pension, sauf pour les régimes surcomplémentaires (les retraites « chapeaux » pour les hauts dirigeants des grandes entreprises) et les « contrats article 83 » qui couvrent 3 millions de salariés, essentiellement des grandes entreprises. Depuis 2003, PERP et PERCO constituent aussi un produit d’épargne retraite individuelle et collective en entreprise.

En l’état actuel, il y a donc une grande hypocrisie à ne pas vouloir parler de la retraite par capitalisation en France d’autant plus que, là où elle existe, elle profite à des professions ou des salariés qui dans leur majorité comptent parmi les moins exposés aux aléas d’emploi et/ou de revenu car fonctionnaires ou engagés en CDI.

Réformer les retraites tout en favorisant l’investissement vers les entreprises

Aujourd’hui, les pays où les fonds de pension atteignent la taille la plus importante avec un ratio des encours gérés s’élevant à 115% et 133% du PIB sont respectivement la Suisse et les Pays-Bas. Deux pays pourtant rarement dépeints comme les hérauts de la mondialisation néolibérale. Deux pays également qui ne se distinguent pas par un système de retraite en faillite et une pauvreté criante de leur population retraitée.

Dans un système par répartition tel qu’il existe en France, les cotisations ne constituent pas une épargne car elles sont immédiatement redistribuées sous forme de pensions aux retraités contemporains. Il s’agit d’une forme de consommation immédiate de la richesse produite. Comme le système des retraites est aujourd’hui pour partie financé par l’endettement, le pays consomme donc à crédit sur fonds publics. C’est le rêve keynésien qui se réalise depuis plus de vingt ans à ceci près que cette politique de la demande, que certains à gauche juge encore insuffisante, n’a pas permis depuis ce temps de dynamiser l’économie au point de générer assez de recettes pour permettre au système de se désendetter.

A l’heure où le taux de marge des entreprises s’effondre, réfléchir à l’opportunité de dynamiser la retraite grâce à la capitalisation ne devrait donc pas être déconsidérée pour des raisons idéologiques ou de clientélisme politique. Elle favoriserait en effet l’accumulation de capital physique, permettrait d’organiser une épargne de long terme capable de soutenir l’investissement des entreprises françaises par des investisseurs institutionnels nationaux. De plus, elle favoriserait une forme de patriotisme économique, argument qui devrait parler au ministre du redressement productif souvent enclin à critiquer les choix stratégiques des investisseurs étrangers dans les entreprises localisées sur le territoire national. En effet, contrairement aux Etats-Unis où les investisseurs étrangers ne contrôlent qu’environ 20% du capital des grandes entreprises cotées, 43,3% de la capitalisation des entreprises du CAC 40 étaient détenus par des non-résidents fin 2011.

En évitant le sujet des fonds de pension, les remèdes qui sortiront de la grand’messe sociale annoncée ne seront une fois de plus que de pâles expédients face à la réalité des enjeux auxquels notre pays est confronté. Envisager de mixer les solutions de financement des retraites ne revient pas à abattre les totems élevés en 1945 qui fondent depuis lors notre histoire sociale. C’est éviter au contraire que le prix de leur préservation ne soit celui de la cohésion sociale qu’ils entendaient préserver et celui de la richesse qu’ils prétendaient redistribuer.

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