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Réformes au Vatican: le pape François va-t-il trop loin?

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Un mois après son élection le pape François faisait savoir qu’il entendait réformer la Curie romaine. Une commission internationale de conseil, composée de huit cardinaux, a donc été créée en vue de réfléchir à la bonne façon de gouverner l’Église pour préparer une réforme. Décryptage de la situation avec Gérard Leclerc, journaliste et essayiste catholique.

JOL Press : Plus de croix en or, plus de chaussons rouges, une mallette à la main en descendant de l’avion… Comment analyser le style du nouveau pape ?
 

Gérard Leclerc : Le pape François n’a pas inventé son style. Il est venu à Rome, tel qu’il était. Il est pape tel qu’il est lui-même. Il ne faut pas voir, dans son attitude une stratégie de l’apparence et du paraître. Et c’était la même chose pour Jean-Paul II et Benoît XVI. Karol Wojtyła a été le même qu’il soit archevêque de Cracovie ou pape. Joseph Ratzinger était un universitaire brillant et rafiné, et dans sa fonction papale, il est resté le même.

Il est certain que le pape François donne à la papauté une autre image. Une image de simplicité, de proximité et il semble que le public soit très sensible à cela. Ceci dit, il ne faut pas oublier que Jean-Paul II était immensément populaire après son élection. La popularité du pape n’est pas nouvelle mais François a incontestablement un charisme particulier qui le rend proche des gens.

JOL Press : François est aussi un réformateur. En souhaitant réformer la Curie, que cherche-t-il ?
 

Gérard Leclerc : Le vrai problème de la Curie romaine est apparu, dans toute sa gravité, avec Benoît XVI au moment du scandale des fuites au Vatican, aussi nommée Vatileaks, où des documents confidentiels révélant l’existence d’un large réseau de corruption, de népotisme et de favoritisme ont été diffusé dans la presse. Je pense qu’il y a chez François la volonté de reprendre les commandes. Jean-Paul II voulait déjà reformer la Curie mais très vite sa vocation internationale a pris le dessus : il était bien plus préoccupé par ses contacts avec l’Eglise universelle que par les affaires internes au Vatican. Ce n’était pas un homme d’appareil.

Benoît XVI, lui-même, avait des idées pour réformer la Curie et a, dès le début de son pontificat, renouvelé un grand nombre des responsables des dicastères (équivalent des ministères). Mais il n’a eu ni le temps, ni la force d’aller plus loin. C’est d’ailleurs probablement une des raisons qui a conduit à son renoncement. Benoît XVI a dû réaliser qu’il n’avait pas la capacité, même physique, de lancer une réforme de cette ampleur.

JOL Press : François en sera-t-il capable ?
 

Gérard Leclerc : François ou pas François, quel que soit le pape choisi par les cardinaux, le problème aurait été le même : il faut réformer la Curie. Alors, bien sûr, les médias exagèrent, le Vatican n’est pas un  haut-lieu de corruption et de pratiques mafieuses. Avant de parler de réforme, il faut savoir de quoi on parle. Tous les ministères du Vatican ne sont pas dans la même situation. Certains dicastères fonctionnent très bien. Je pense à la congrégation pour la Doctrine de la foi qui a été présidée par Joseph Ratzinger pendant une vingtaine d’années et dont personne ne se plaint. Je pense aussi à la congrégation des Evêques qui suit la nomination des évêques dans le monde et qui fonctionne plutôt bien.

Les problèmes touchent apparemment davantage la Sacrée congrégation pour la propagation de la foi, chargée des œuvres missionnaires, mais aussi et surtout la secrétairerie d’État (équivalent à Matignon) qui est le premier et le plus important dicastère de la Curie romaine (près de 200 personnes y travaillent) très impliqué dans le scandale du Vatileaks. La réforme va se concentrer sur la secrétairerie d’État en particulier.

JOL Press : La Banque du Vatican est accusée de faciliter le blanchiment d’argent. Le pape François a donc mis en place une commission d’enquête sur la banque et affirme préparer une profonde restructuration de l’institution bancaire. Qu’en est-il ?
 

Gérard Leclerc : Là on touche à un domaine particulier : l’Eglise doit gérer des fonds parce qu’elle a des responsabilités internationales pour les églises du monde entier ou pour aider sur le terrain caritatif et du même coup elle a besoin d’une banque qui réponde à ces besoins. Or il se trouve que les transactions et les circuits financiers de cette banque échappaient complètement à Jean-Paul II et Benoît XVI mais semble aussi échapper au pape François qui n’a aucune compétence et connaissance dans le domaine.

A l’époque de Jésus, l’équipe apostolique qui suivait le Christ avait aussi une caisse. Savez-vous qui était le titulaire de cette caisse ? Judas ! Et dans l’Evangile on l’accuse de malversations… Ce n’est donc pas nouveau. Ce rapport entre l’Eglise et l’argent n’ont jamais été simples. Le tout étant de trouver les situations les mieux adaptées parce que l’Eglise ne peut pas vivre sans argent. Les églises pauvres ont besoin de l’aide de l’Eglise universelle, c’est la plus grande ONG du monde, elle ne peut pas abandonner son œuvre auprès des associations caritatives et pourtant elle doit être réformée.

JOL Press : Cette volonté de réformer ne va-t-elle pas en agacer certains ?
 

Gérard Leclerc : Il est encore trop tôt pour le savoir. On jugera vraiment la force et la cohérence du pontificat de François qu’après les premières décisions sérieuses qui ne tomberont qu’à la rentrée : il va falloir qu’il nomme son Secrétaire d’Etat et d’autres postes de direction sont encore à pourvoir à la rentrée. Là, les choses sérieuses vont commencer. Il ne suffit pas d’être dans l’incantation, François aura des décisions importantes à prendre et c’est sur ces décisions qu’il sera jugé.

Par ailleurs, le cardinal hondurien Oscar Andres Rodriguez Maradiaga, archevêque de Tegucigalpa et membre de la commission de réflexion et de proposition des huit cardinaux créée par le pape François en vue de la réforme de la Curie rendra son rapport aussi à la rentrée. Mais tout cela est très complexe : il faut entreprendre des réformes mais on ne réforme pas l’Eglise comme n’importe quel autre Etat. En outre on ne peut pas faire fi de l’expérience et du savoir-faire de la Curie aujourd’hui. La réforme est indispensable mais très complexe.

Propos recueillis par Marine Tertrais pour JOL Press

Gérard Leclerc est un journaliste, philosophe et essayiste catholique. Proche du défunt cardinal Jean-Marie Lustiger, il est éditorialiste de France catholique et de Radio Notre-Dame. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont Pourquoi veut-on tuer l’Église ? (Fayard 1996) ; Jean-Paul II le résistant (Bartillat 1996) ; Saint Paul (Pygmalion 1997) ; Le Pape et la France (Bartillat 1997). 

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