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Tour de France: Hippolyte Aucouturier, homme de l’année 1903

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Pour la première fois, en 1903, une soixantaine de pionniers s’élancent sur les routes de France pour courir ce qui va devenir l’événement le plus extraordinaire de toute l’histoire du cyclisme. Sur six étapes de 400 kilomètres, les concurrents du premier Tour de France, ouvriers, menuisiers, forgerons ou bouchers, se livrent une guerre farouche pour remporter la victoire.

Héros, roublards, grands seigneurs ou tricheurs, ces premiers géants de la route sont accompagnés, soutenus, mais aussi critiqués ou méprisés par des journaux et des reporters précurseurs. Des journalistes, tel Géo Lefèvre, Alphonse Baugé, Léopold Alibert ou Maurice Martin, au champion Maurice Garin et à ses challengers (Hippolyte Aucouturier, Marcel Kerff, Arthur Pasquier…), en passant par le patron du Tour, Henri Desgrange, toute l’ambiance de la course est recréée, avec ses personnages pittoresques et colorés et ses sans-grades héroïques. 

Le premier Tour de France : Tout a commencé en 1903 est le résultat de mois de recherches minutieuses dans les archives : il offre un récit haletant, palpitant et très détaillé de cet événement historique. On vit la lutte intense des coureurs, on pédale à leur côté, et c’est en direct qu’on assiste à la bataille de l’information du premier Tour de France !

Extraits de Le premier Tour de France : Tout a commencé en 1903, de Jean-Paul Vespini (Jacob Duvernet)

Garin doit gagner le Tour ! Et qui pourrait l’en empêcher ? Qui ? L’homme de l’année, le grand Hippolyte Aucouturier, « ancien caviste de l’épicerie Damoy », aujourd’hui « inspecteur des appareils récepteurs télégraphistes utilisés dans les agences des grandes banques pour la cote de la Bourse ». La presse l’a surnommé « le terrible » tant sa force est redoutable. Il est prêt à relever le défi. Il a du caractère, de l’orgueil à revendre. Dans L’Auto, Géo Lefèvre, le spécialiste de cyclisme, ancien rugbyman au Stade Français, l’avait gommé des favoris du Paris-Roubaix 1903 : il ne croyait pas en lui. Aucouturier avait mis un point d’honneur à remporter l’épreuve. Puis, à l’arrivée, lui avait cloué le bec : « Une chose m’a particulièrement rendu enragé pendant la course et dans les moments pénibles, j’y pensais pour m’exciter : vos pronostics, monsieur Lefèvre… »

[image:2,s]En cette année 1903, Aucouturier a réussi le doublé prestigieux : Paris-Roubaix et Bordeaux-Paris. Il a d’abord étalé sa classe naturelle dans « la Pascale », après une lutte sans merci avec Claude Chapperon, déjà classé 4e l’année précédente, puis il a remporté Bordeaux-Paris, sans se ménager, en s’imposant devant Louis Trousselier, victime d’une grosse fringale du côté de Dourdan, et Léon Georget. Aucouturier a ainsi enlevé le 13e Bordeaux-Paris. Oui, le 13e ? Il aurait pu sombrer, usé par la guigne, assommé par la poisse qui lui colle à la peau. À force de la regarder en face, de la défier, un léger strabisme a déformé sa vue ! Voilà trois ans qu’il devait décrocher cette course interminable, trois ans qu’il échouait, qu’elle se dérobait sous ses coups de pédales. Ne croyez pas que cette 13e édition ait été la plus facile.

Écoutez plutôt Aucouturier raconter sa course : « J’ai changé neuf fois de machine, j’ai ramassé cinq bûches, j’ai fait 35 km sur la jante et je suis premier. Ouf ! » Ce cri de soulagement efface le signe indien. Maintenant, Hippolyte annonce la couleur : « Rendez-vous au Tour de France ! » Il a pris sa bécane et tout seul il s’est lancé sur les routes du Tour pour reconnaître le parcours, repérer les pièges de la route. Il est tellement motivé qu’il renonce à se rendre aux obsèques de sa belle-mère : le Tour d’abord ! Oubliée, la fièvre typhoïde qui l’avait laminé l’année précédente, le privant de vélo pendant plusieurs mois. Plus personne ne croyait à son retour, sauf son manager, M. Titus Postma, « qui ne lui marchanda jamais son concours, qui ne désespéra jamais de son coureur ». 

Et voici que le printemps refleurit : l’« hercule de Commentry » revient, « une nouvelle étoile de la route s’est levée hier au firmament cycliste », affirme enfin Henri Desgrange, l’ancien clerc de notaire devenu patron de L’Auto. Il tient là son match sportif, son duel pour passionner les foules et doper les ventes : ce sera Garin contre Aucouturier.

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