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Tour de France: la légendaire ascension de l’Alpe d’Huez

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JOL Press : Les vingt-et-un lacets qui composent ce parcours pour parvenir au sommet de l’Alpe d’Huez sont mythiques. De nombreuses légendes y sont nées et la dramaturgie bat à chaque fois son plein. Quels souvenirs mémorables avez-vous de cette étape ?
 

Jean-Paul Vespini : Ce qui m’a bien plus à l’Alpe d’Huez, c’est la première année en 1952. C’est la première fois qu’une arrivée se faisait à un sommet. Une première ascension et les gens se disaient que c’était de la folie d’envoyer les coureurs en haut d’une station de ski. Dans la caravane, tout le monde s’inquiète. Robic attaque dès les premiers lacets.

A l’époque, les virages ne sont pas encore numérotés. Fausto Coppi le rejoint par la suite, avant de s’envoler tout seul et décrocher d’une part la victoire d’étape et d’autre part le maillot jaune, pour finalement gagner ce Tour. Je me souviens, lorsque j’effectuais des recherches pour mon livre « Le Tour se joue à l’Alpe d’Huez » (2008, Editions Jacob-Duvernet), que certains journalistes disaient qu’il fallait arrêter cette montée, qu’elle est trop dure. Et aujourd’hui, c’est l’étape la plus médiatique, celle que l’on attend le plus. C’est plutôt drôle de voir cette évolution.

Pour parler d’une étape de l’Alpe d’Huez que j’ai suivei et qui m’a particulièrement intéressée, j’ai envie d’évoquer celle de 1995, quand Marco Pantani a remporté la course, mais avait surtout établi un nouveau record dans une ascension fulgurante, puisqu’il avait gravi les virages en moins de trente-sept minutes (36min 50).

Un record qui d’ailleurs n’est toujours pas battu. Ce jour-là, on avait découvert les qualités de grimpeur et le pédalage rapide de Pantani. Déjà à cette époque-là, avant que n’arrive Armstrong et sa moulinette.

 
JOL Press : Est-ce l’étape la plus difficile du Tour ?
 

Jean-Paul Vespini : J’en ai souvent discuté avec des champions et ils me disent que ce n’est pas l’étape la plus difficile, loin de là. Tout le monde dira que le Galibier ou le Ventoux sont bien plus difficiles. L’Alpe d’Huez, ce n’est qu’une montée de quatorze kilomètres, avec un pourcentage moyen quand même, et on peut légèrement récupérer dans les virages. Rien à voir avec une montée comme le Ventoux, où dès que l’on est en bas, à Bédoin, on sait que jusqu’au bout durant vingt-cinq kilomètres il n’y a aucun moment de répit. On sait que l’on va rencontrer le vent, la chaleur, parfois la pluie, et dès que l’on arrive au Chalet Reynard, c’est carrément un paysage lunaire.

Donc franchement, l’Alpe d’Huez n’est pas l’étape la plus dure, son succès est qu’elle est très médiatisée, grâce à la télévision, car c’est un parcours un peu en balcon, on voit tous les coureurs, les plans sont magnifiques, depuis notamment l’hélicoptère. Et puis, il y a une certaine magie qui fait l’histoire du Tour avec cette étape, souvent celui qui arrive en jaune en haut de l’Alpe d’Huez termine vainqueur à Paris.

C’est un peu l’examen de passage. D’ailleurs, de très nombreux coureurs ont perdu leur maillot jaune durant cette ascension. C’est aussi une étape mythique pour ce côté-là, c’est un peu le juge de paix. On sait que ce jour-là, en principe, l’Alpe d’Huez va sacrer le vainqueur du Tour.

JOL Press : Quels sont les grimpeurs qui vous ont le plus impressionné ?
 

Jean-Paul Vespini : C’est sûr que sur l’Alpe d’Huez les grimpeurs sont souvent favorisés. J’ai envie de parler de Lucien Van Impe en 1976, on le surnommait le « ouistiti belge », qui avait fait une belle démonstration. Mais les rouleurs puissants, et je pense notamment à Indurain, ont également leur mot à dire.

Combien de fois l’a-t-on vu être lâché en bas de la côte, laissant les grimpeurs s’en aller et ensuite dans les trois-quatre derniers kilomètres il mettait en route le turbo et refaisait une grande partie de son retard. Comme je le disais, ce n’est pas une ascension très rude. Elle n’est pas facile bien sûr, mais on peut limiter les dégâts.

Le problème, c’est que cette montée arrive tout le temps en fin d’étape, donc il faut se montrer frais. Quand vous avez parcouru deux cents kilomètres et que l’arrivée se fait au sommet, c’est évident que ça tire sur les jambes. Ce n’est pas comme certaines étapes au Galibier où l’on commençait par l’ascension et ça ne faisait pas de différence, pourtant cette montée est pour le coup difficile.

JOL Press : De nombreux Italiens et Néerlandais ont performé dans cette ascension, a contrario les Français y peinent, pourquoi ?
 

Jean-Paul Vespini : Déjà à l’époque, il y avait beaucoup de Néerlandais doués dans le peloton, on a eu Kuiper, Zoetelmek, Winnen, Rooks, Theunisse. Ensuite leur succès pouvait s’expliquer par un côté « enfant du pays », étant donné que là-haut, au sommet de l’Alpe d’Huez, le curé était néerlandais. Il y avait également de très nombreux touristes qui y venaient en vacances, donc pour eux, c’était un peu leurs championnats du monde. Beaucoup de ces coureurs m’ont d’ailleurs confié que c’était plus important de rempoter l’étape en haut de l’Alpe d’Huez qu’une autre course.

Côté Italiens, c’est vrai qu’il y a eu de nombreux vainqueurs, je pense notamment à Bugno, qui a gagné à deux reprises, et à Pantani bien sûr. Pour eux aussi c’était très important de gagner cette course car la frontière n’est pas loin du tout. Ils avaient forcément envie de briller et ils ont bien exploité leurs qualités. Et puis n’oublions pas, qu’en 1952, c’est un Italien, Fausto Coppi, qui a remporté l’Alpe d’Huez pour la toute première ascension. Ils sont dans la tradition.

Pour les Français, on a eu Hinault, qui a réussi à s’imposer là-haut en 1986 devant LeMond, mais c’est vrai qu’il n’y en a pas eu beaucoup. Par exemple un Richard Virenque, qui était un très bon grimpeur, n’y a jamais gagné. D’ailleurs, une année il a même perdu le maillot jaune là-bas. Récemment, on a eu Pierre Rolland qui a remporté l’étape, mais je ne sais pas comment expliquer ce faible nombre de victoires sur ce sommet.

C’est une montée qui s’effectue très rapidement, tout en vitesse et en puissance, on n’attaque pas le col tranquillement, c’est toujours à fond. On n’a pas encore de coureurs de ce niveau. Il devrait y avoir plus de vainqueurs, on est en France, c’est une montagne française, mais c’est difficile de donner une raison.

 
JOL Press : On ne peut pas parler des étapes de montagne sans évoquer la question du dopage. De nombreuses légendes ont été ternies, quelles sont vos plus grandes déceptions ?
 

Jean-Paul Vespini : Dès qu’un coureur est rattrapé par le dopage c’est une déception, on croit toujours en eux. Dans les années récentes, la plus grosse déception reste quand même pour moi l’Italien Ricco, qui était un grimpeur fulgurant. Il pouvait s’illustrer dans les grands cols comme sur les classiques. On se souvient dans le San Remo lorsqu’il avait annoncé qu’il attaquerait dans le Poggio et il l’a fait. Certes, il n’avait pas remporté le Milan-San Remo, mais il avait été brillant. C’est une erreur de jeunesse sûrement, je ne sais pas.

Il s’est fait attraper dans le Tour de France parce qu’il avait eu recours à tout l’arsenal du doping, alors qu’il était brillant. C’est une grande déception parce qu’il a su montrer que c’était un grand grimpeur sans tricher. En plus, il a recommencé un peu plus tard, avant de se faire exclure définitivement. C’est dommage, puisqu’on a certainement perdu un grimpeur qui aurait pu emballer le Tour.

JOL Press : Etes-vous suspicieux aujourd’hui à chaque performance ?
 

Jean-Paul Vespini : On peut dire cela, mais je ne crois pas que ça soit comme cela que ça marche. Il peut y avoir de très bonnes performances car le coureur est en super forme ce jour-là, après s’être bien préparé, avoir tout misé sur la course. Il y a beaucoup de contrôles, on ne le répète jamais assez, mais c’est le sport le plus contrôlé et c’est d’ailleurs pour cela qu’il y a autant de prises. Petite parenthèse, au tennis, au football, en Formule 1, il n’y a pas le quart de tous les contrôles effectués en cyclisme, et si c’était le cas les athlètes rouspéteraient, ils ne veulent pas être embêtés par tous ces contrôles.

Mais pour revenir à la question, je pense que c’est très facile de repérer les cas suspects : lorsque l’on voit un coureur qui, pendant plusieurs jours, est aux avant-postes et brille sans arrêt, c’est évident à l’heure actuelle qu’il y a quelque chose, car ils sont tous plus ou moins au même niveau. Donc l’un peut briller un jour, puis se repose sur les étapes suivantes, avant de refaire une performance un autre jour.

Mais celui qui est en permanence dans les premiers rôles, je pense notamment au Tour d’Italie de cette année – où plusieurs coureurs étaient dans ce cas et deux se sont fait prendre et on a vu qu’ils étaient positifs à l’EPO. Donc au regard, on peut déceler qui a triché. Chacun a besoin d’une certaine récupération.

JOL Press : Est-ce le parcours trop exigeant qui pousse les coureurs à prendre des substances ?
 

Jean-Paul Vespini : On ne peut pas dire cela. Pour deux raisons : d’une part, souvent les produits qui sont pris ne sont pas pour améliorer les performances, notamment l’endurance, mais pour mieux récupérer, et d’autre part, dans d’autres sports moins durs que le cyclisme il y a tout de même des cas de dopage. On le sait, de nombreux sportifs prennent des produits, mais les scandales résonnent souvent moins que dans le vélo. Par exemple dans l’affaire Puerto, on sait très bien qu’il n’y a pas que des cyclistes qui étaient impliqués, mais pourtant on n’a pas vu d’autres noms sortir.

C’est un peu injuste, il faudrait se poser la question un jour. Après, c’est la sempiternelle question de la triche, pourquoi un sportif se dope ? Il a envie de gagner et il se dit qu’il va mettre « toutes les chances » de son côté pour y parvenir. C’est pas bien, c’est sûr, mais le monde n’est pas parfait.

JOL Press : Cette année, particularité, avec l’Alpe d’Huez gravi deux fois. Pourquoi cela n’a jamais été fait auparavant ?
 

Jean-Paul Vespini : Il n’y a jamais eu l’Alpe d’Huez deux fois dans la même étape, mais il y a déjà eu deux fois l’Alpe d’Huez dans le même Tour. C’était en 1979, il devait y avoir une étape normale dans l’Alpe d’Huez et la veille les coureurs devaient rouler sur le Galibier. Mais la ville d’arrivée était défectueuse et les organisateurs se sont retrouvés au dernier moment dans une impasse. Comme le lendemain c’était l’Alpe d’Huez, ils ont demandé si c’était possible de venir à deux reprises chez eux. Les gens de la station étaient ravis puisque ça leur fait toujours de la publicité, et finalement, le Tour y est resté trois jours, puisqu’après les deux étapes, il y a eu un jour de repos.

JOL Press : Qui voyez-vous vainqueur cette année ?
 

Jean-Paul Vespini : Je dirais que Christopher Froome est favori. C’est un bon grimpeur, il est en forme, il y a donc de fortes chances que ce soit lui qui s’impose.

Propos recueillis par Nicolas Conter pour JOL Press

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