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Tour de France: le Mont Ventoux, ascension mythique et vrai défi

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Perché au cœur de la Provence

« C’est un dieu du mal auquel il faut sacrifier », avait écrit Roland Barthes à propos du mont Ventoux, dans ses Mythologies, racontant Le Tour de France comme épopée, ajoutant que c’est un « véritable Moloch, despote des cyclistes, qui ne pardonne jamais aux faibles et se fait payer un tribut injuste de souffrances ». Le ton est donné. Une montagne en trompe-l’œil, une anomalie géographique. À hauteur d’Orange, on l’aperçoit, planté là, en plein cœur de la Provence, comme un nez au milieu d’une figure, surplombant le bassin méditerranéen.

Le mont Chauve est un lieu vide, terrassé par des siècles d’ensoleillement et balayé par le mistral qui, certains jours, peut atteindre des pointes largement au-dessus de cent kilomètre-heure. Il fait peur. Au fil des aventures nouées avec le Tour de France, le mont s’est forgé une réputation d’épouvantail, aucunement usurpée. « Je ne sais pas pourquoi, mais il paraît beaucoup plus haut » que les 1912 mètres recensés, avait commenté Lance Armstrong à l’issue d’une étape du Dauphiné, au début du siècle. Les coureurs y vont à reculons, sachant qu’ils vont passer un sale moment.

Une crainte pour tous les coureurs

Un Tour peut se perdre durant les 21 kilomètres d’ascension qui composent le versant sud du mont. 1600 mètres d’élévation à gravir à partir de Bédoin, la porte de l’enfer. Un pourcentage moyen de déclivité de 7,6%, avec un pourcentage maximal de 14% relevé sur certains secteurs. Un endroit hostile. Durant les six derniers kilomètres, les cyclistes montent crescendo une pente s’élevant à 9%, la bave aux lèvres, un soleil de plomb leur frappant le corps, le sifflement du mistral leur perçant les oreilles, le manque d’oxygène jouant avec leurs poumons comme un vulgaire accordéon.

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Les têtes tournent, les organismes sont maltraités. Un coureur y a même laissé sa vie. Une véritable dramaturgie que l’ascension de la « la Terreur méridionale » pour certains, le « Géant de Provence », le « Trône des Dieux », la « Montagne des pierres qui volent », le « Fujiyama de Provence », le  « Roi pelé », le « Chaudron des Sorcières », ou encore le « Miroir des Aigles » pour d’autres. Un concert de synonymes qui prouve bien que cette ascension n’est pas comme les autres, marquée d’une croix dans le calendrier du Tour. Un passage prestigieux, où l’on n’arrive pas en tête par hasard.

L’ascension la plus difficile

« Peu de souvenirs heureux s’attachent à ce chaudron de sorcière qu’on n’aborde pas de gaieté de cœur. Nous y avons vu des coureurs raisonnables confiner à la folie, sous l’effet de la chaleur et des stimulants, certains redescendre les lacets alors qu’ils croyaient les gravir, d’autres brandir leur gonfleur au-dessus de nos têtes en nous traitant d’assassins », déclarait il y a plusieurs années Antoine Blondin, longtemps chroniqueur pour le quotidien sportif L’Equipe. La gloire et la tragédie se côtoient sur ce tracé volontiers au programme d’un Tour en recherche de sensations fortes.

Une histoire d’amour et de violence démarrée le 22 juillet 1951. Quatorze fois gravi, sept fois son sommet a été le réceptacle d’une arrivée d’étape, dont la première fut durant l’été 1958, au terme d’un contre-la-montre qui avait envoyé les coureurs défier le monstre en tête-à-tête. Il faut ensuite attendre sept années avant de revoir le paysage lunaire du mont Chauve, dont son sommet cette fois-ci fut le point final d’une étape débutée à Montpellier.

Une santé mentale et physique mise à rude épreuve

En 1955, le Suisse Ferdi Kubler y a perdu la tête, abandonnant le soir même le Tour et renonçant à sa carrière de cycliste. Il s’était entêté à pédaler sur un rythme d’enfer, malgré les tentatives de raisonnement de son équipe. Il chancèle, le nez dans le guidon, le crâne fumant. Après un ravitaillement, il repartit dans le mauvais sens, un spectateur devant lui remettre le compas dans l’œil. Dans les derniers kilomètres, il tomba plusieurs fois, s’égratignant le corps de toute part. C’en était trop, il en ressortit traumatisé.

Des yeux révulsés, il y en a eu, à l’instar d’un Jean Mallejac, torturé par la chaleur. Le médecin chef du Tour de France d’alors, le docteur Dumas, raconta à l’époque à la presse que le coureur avait « eu une crise de delirium tremens. Il sautait au plafond. Je l’ai sauvé en lui desserrant les mâchoires. » Furieux d’une telle épreuve et de gourdes pas toujours remplies d’eau, il déclara même être « prêt à porter plainte pour assassinat ». Le drame avait été évité de justesse. Pas pour longtemps.

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Et le mont l’emporta

Le 13 juillet 1967, une date inscrite dans les mémoires du Tour de France, où une nouvelle page noire s’ajouta. Tom Simpson ne parvint jamais au sommet, foudroyé par des rayons de soleil qui le transpercèrent. Philippe Brunel, journaliste à L’Equipe, racontait cette triste ascension en 2000 : « Simpson qui perd du terrain, qui vacille et tombe une première fois, des spectateurs qui le remettent en selle et le poussent, son mécanicien qui le propulse à son tour, croyant relancer un coureur qui n’est déjà plus qu’un fantôme. Un automate désarticulé. Simpson parcourt encore 300 mètres dans un état semi-comateux, la tête inclinée sur l’épaule gauche, puis il tombe de nouveau. Définitivement. Dans nos mémoires, sa chute s’opère au ralenti et le bruit de la foule s’est estompé. Les images sont en noir et blanc, comme le Ventoux qui, par endroit, paraît totalement monochrome, privé de couleur. » Une stèle se trouve toujours aujourd’hui sur le lieu de l’incident.

Le mont martyrisa également l’un des plus grands champions de la discipline, Eddy Merckx, victime d’un malaise sous la chaleur suffocante des beaux jours de juillet 1970. Il crut y rester. Il y a des gestes qui sauvent dans cette mythique ascension, où il est surtout question de gérer son effort plutôt que d’attaquer. On ne gagne pas des minutes dans ce cratère, prêt à exploser, on tente de ne pas en perdre.

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