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André Kaspi: «Le rêve de Martin Luther King était prémonitoire»

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JOL Press : Quelle est l’importance de commémorer aujourd’hui la marche de Washington et le discours de Martin Luther King ?
 

André Kaspi : C’est très important parce que Martin Luther King  annonçait, il y a cinquante ans, une fin espérée de la ségrégation raciale. Ce qu’il dit à travers son discours, c’est qu’il fait un rêve, que blancs et noirs marchent, vivent et sont élevés ensemble. Il annonce donc l’avènement d’une société interraciale ou multiraciale dans cette allocution du 28 août 1963.

[image:2,s] Or, aujourd’hui, le président des États-Unis est noir – du moins, il passe pour être noir, même s’il est en réalité métis. Cela veut donc dire que le rêve de Martin Luther King s’est réalisé, et qu’en conséquence, ce discours est prémonitoire.

Comme l’annonce par exemple la couverture de Time Magazine, on peut dire que Martin Luther King  a été le père de cette évolution caractéristique des États-Unis, puisqu’en l’espace de cinquante ans, la société américaine a profondément changé. En 1963, il y avait encore la ségrégation raciale dans les États du Sud. Par exemple, peu avant le discours du 28 août, le gouverneur de l’Alabama, George Wallace, avait défendu un programme électoral qui se résumait en trois mots : ségrégation hier, ségrégation aujourd’hui, ségrégation demain.

Il y a donc eu un bouleversement total et brutal si l’on compare la société américaine de 1963 à celle de 2013. C’est la raison pour laquelle la commémoration prend un sens tout particulier aujourd’hui.
 

JOL Press : Pourquoi a-t-on souvent parlé de filiation entre Martin Luther King et Barack Obama ?
 

André Kaspi : Il convient de rappeler que Barack Obama et Martin Luther King n’agissent pas sur le même registre. Martin Luther King était un prédicateur, un agitateur d’idées, un homme qui organisait des manifestations contre la ségrégation puis contre la pauvreté. C’était, plus qu’un homme politique, une autorité morale qui essayait d’éveiller la conscience nationale et de combattre la ségrégation raciale.

Barack Obama, lui, est homme politique, qui a donc fait une carrière politique – il a d’abord été un élu dans l’État de l’Illinois, puis est passé du Sénat à la Maison blanche. Ce n’est donc pas le même profil.<!–jolstore–>

Mais là où il y a ressemblance, c’est que Martin Luther King est un noir du Sud qui annonce la fin de la ségrégation raciale, et Barack Obama est un métisse qui réalise cette déségrégation, du moins qui la pousse jusqu’au point le plus haut.

Il n’est pas le premier, bien entendu : il y a eu avant lui d’autres hommes politiques noirs qui ont occupé des fonctions importantes, comme Colin Powell qui a été le chef de toutes les armées américaines avant de devenir Secrétaire d’État puis Condoleeza Rice, qui l’a suivi au Département d’État américain.

JOL Press : Quel est le bilan d’Obama en matière de droits civiques ?
 

André Kaspi : Le problème est bien sûr tout à fait différent lorsque Barack Obama arrive à la Maison blanche en 2009 et lorsque Martin Luther King prononce son discours en 1963. Barack Obama a voulu montrer qu’il n’était pas un président noir pour une Amérique blanche.

Il a voulu montrer qu’il était un président qui assumait les transformations, les bouleversements de la société américaine. Il n’a jamais fait campagne en disant : « Votez pour moi parce que je suis noir ». Il a d’ailleurs toujours hésité à évoquer le problème noir.

Il l’a évoqué une fois dans la campagne de 2008 avec le discours de Philadelphie, et il lui est arrivé récemment de faire référence à sa propre condition de noir, lors du meurtre de Trayvon Martin, cet adolescent noir tué en Floride par un vigile. Il a dit : « ce jeune noir qui a été tué aurait pu être mon fils » et ensuite « c’était moi il y a 35 ans ».

De temps à autre, il fait allusion à cela, mais dans la mesure du possible, il insiste sur l’idée qu’il est le président de tous les Américains. Il ne faut pas oublier qu’il a été élevé à Hawaï par ses grands-parents maternels, qui étaient blancs. Il veut avant tout incarner une Amérique nouvelle, une Amérique dans laquelle les différences raciales ont effacées ou du moins beaucoup moins marquées qu’elles ne l’étaient il y a cinquante ans.

JOL Press : Quels sont les droits civiques pour lesquels les Américains luttent et pourraient continuer à lutter ces prochaines années ?
 

André Kaspi : Il y a aujourd’hui de gros problèmes de chômage, qui poussent la population à manifester mais également d’immigration.

L’immigration est l’un des thèmes sur lesquels travaillent activement Barack Obama et le Congrès. Il y a en effet aujourd’hui 11 à 12 millions d’immigrants clandestins, c’est-à-dire qui n’ont pas de papiers et qui ne sont pas reconnus officiellement. Que doit-on en faire ? Doit-on ouvrir ou fermer les frontières ? Comment ? Telles sont les questions qui occupent régulièrement le débat public ces dernières années.

Il faut ici rappeler que la principale communauté aujourd’hui aux États-Unis, c’est la communauté hispanique – plus de 50 millions de personnes. Il est donc évident que dans les années à venir, s’il y a des droits civiques en jeu, ce sont ceux des immigrants, des clandestins, mais aussi des Américains pour fermer ou contrôler les flux qui passent par leurs frontières.

JOL Press : Dans quelle mesure Martin Luther King reste-t-il dans les esprits des nouvelles générations ?
 

André Kaspi : En célébrant le cinquantième anniversaire du discours de Washington, Martin Luther King va reprendre un peu de son efficacité mémorielle, c’est-à-dire que l’on va de nouveau en parler, notamment dans les médias, et donc y prêter attention. Cela dit, je ne suis pas certain qu’aujourd’hui Martin Luther King soit une figure connue par tous les jeunes Américains.

Il se pourrait même qu’un certain nombre de jeunes trouvent que la position de Martin Luther King était trop conciliante, peut-être pas assez combattive, et qu’elle correspondait à une période bien ancienne qui n’est pas celle qu’ils vivent aujourd’hui. Mais il reste malgré tout une figure très importante de l’histoire contemporaine.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

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