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Doublement du plafond du Livret A: est-ce bien nécessaire?

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JOL Press : Quelles sont, selon vous, les dispositions que devrait annoncer le gouvernement mercredi 20 août ?

Philippe Crevel : On attend du gouvernement le respect de la promesse de doubler le plafond du livret A. Est-ce que cela interviendra immédiatement, c’est loin d’être évident. De plus, pour le faire, il n’y a pas besoin d’un projet de loi. Comme cela a été fait en février de cette année et au mois d’octobre de l’an dernier, de simples décrets suffiraient.

Je pense que c’est davantage sur l’utilisation de l’argent du livret A ainsi que sur l’orientation des ressources du livret de développement durable (LDD) vers la BPI qu’il y aura sans doute des mesures législatives.

Je ne pense pas non plus que le gouvernement se lance vers l’introduction de prélèvements sociaux pour les sommes excédant 15300 euros. Cela a été évoqué à certains moments et, si telle était l’option choisie, cela ferait un peu de bruit… Et ce serait une petite révolution même si l’on peut estimer que si le livret A était doublé on ne serait plus dans l’épargne populaire mais dans l’épargne tout court.

JOL Press : Quel doit être, selon vous, le calendrier de cette hausse – si hausse il y a ? Dans le rapport qu’il a remis sur le sujet, Pierre Duquesne préconisait une hausse supplémentaire de 25% début 2015 et une dernière hausse de 25% début 2016. Le gouvernement ira-t-il plus vite ?

Philippe Crevel : je pense qu’il y a deux choses.

Tout d’abord, est-il nécessaire de doubler, d’aller jusqu’à 30 000 euros rapidement ? On voit bien qu’aujourd’hui le monde de l’épargne est un peu en situation d’attente… Faibles taux d’intérêt, éventuelles annonces de hausse de la fiscalité sur l’assurance-vie… Cela pourrait être dangereux de modifier un autre curseur et donc, à mon avis, il faudrait mieux être prudent en la matière. D’autre part, le gouvernement préférerait que les Français consomment plutôt que de placer leur argent sur le livret A. On voit bien qu’il y a là des intérêts assez contradictoires. Il faut mieux rechercher la cohérence et ce n’est sans doute pas très urgent d’aller jusqu’au doublement.

Ensuite, le deuxième consiste à demander s’il ne faudrait pas trouver une formule qui puisse permettre de dépassionner cette histoire de doublement du plafond du livret A…

JOL Press : Comment faire ?

Philippe Crevel : Il suffirait de dire que le plafond du livret A évolue chaque année en fonction du taux d’inflation au 1er février – comme, d’ailleurs, on actualise le taux du livret A. Actuellement, nous sommes dans une mesure un peu autoritaire pour laquelle on ne prend pas en compte des fondamentaux économiques. Or, on a estimé que si on avait actualisé depuis les années 80 le plafond de 15300 Francs on serait à peu près arrivé à 22950 euros le plafond actuel. Passer à 30600 euros, c’est un geste fort vis-à-vis du livret A. On voit bien qu’une famille avec deux enfants on arrive à 120 000 euros d’épargne défiscalisée – le niveau du patrimoine financier moyen des Français, c’est 100 à 120 000 euros. Si on ajoute en plus de livret de développement durable qui est de 12000 euros, on atteint près de 170 000 euros d’épargne défiscalisée, de court terme. Est-ce bien nécessaire en France alors que le gouvernement souhaite aussi, en France, financer les entreprises ?

JOL Press : Justement, une épargne défiscalisée financée sur deniers publics, c’est un peu une exception française. Pensez-vous qu’il faudrait la remettre en cause cette exception ?

Philippe Crevel : Le gouvernement donne l’impression de réfléchir à la remettre en cause quand on voit que, depuis plusieurs mois, est évoquée la possibilité de soumettre aux prélèvements sociaux l’épargne défiscalisée ou une partie de l’épargne défiscalisée… L’augmentation au cours des années du volume des dépôts en livret A et en LDD a fait que cela constitue désormais un coût fiscal important pour l’Etat, un manque à gagner pour l’Etat et pour les régimes sociaux. Quand on observe les montants atteint, on ne s’étonne pas qu’il puisse y avoir une tentation de re-fiscaliser ou de soumettre à prélèvements sociaux l’épargne au risque de mélanger les genres – peut-être faudrait-il mieux se contenter d’un peu moins d’épargne défiscalisée et d’améliorer la fiscalité sur le reste.

JOL Press : L’argument du financement du logement social, c’est juste une excuse aujourd’hui ?

Philippe Crevel : C’est une excuse car on ne peut pas passer du jour au lendemain de 150 000 à 300 000 logements sociaux, parce qu’il faut du foncier, il faut lancer les projets, avoir des entrepreneurs et on sait très bien qu’aujourd’hui la Caisse des dépôts ne peut pas utiliser les 55 milliards d’euros supplémentaires qu’elle a engrangés l’année dernière, les 21 milliards engrangés depuis janvier 2013. De facto, on constate que l’argent ainsi collecté va être redonné aux banques pour financer les PME – ce sont les fameux 50 milliards d’euros. Et le logement social est une excuse un peu facile.

JOL Press : Du point de vue des épargnants, cette hausse anticipée du plafond du livret A, c’est plutôt une bonne ou une mauvaise nouvelle ?

Philippe Crevel : Il ne faut pas oublier que cela reste rémunéré à 1,25% donc le cadeau n’est pas miraculeux. C’est un peu un miroir aux alouettes…

Les Français n’aiment pas payer des impôts et il y a un peu une chasse aux bonnes affaires fiscales. En revanche, le rendement est bien faible et on paie le cadeau fiscal, la liquidité et la sécurité. Pour des placements rémunérateurs, il vaut mieux aller du côté des assurances-vie ou sur les marchés des actions depuis le début de l’année ou même en 2013.

Propos recueillis par Franck Guillory pour JOL Press

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