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Hassan Rohani, un départ décevant ?

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Hassan Rohani, le nouveau président iranien va prêter serment les 4 août. Pourra-t-il incarner « le changement » attendu par la communauté internationale ? Nous abordons la question avec le journaliste et écrivain Bertrand Delais, qui a récemment publié un livre sur l’Iran*.  

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L’élection de Rohani à la présidence iranienne peut-elle sortir l’Iran de l’impasse?

Pour sortir l’Iran de l’impasse dans laquelle elle se trouve il faudrait une rupture avec la politique des trente dernières années de la République islamique. De véritables réformes, une libéralisation du climat politique et une politique étrangère assagie sont nécessaires pour éviter une explosion sociale à l’intérieur et un conflit militaire avec les grandes puissances. La population iranienne le souhaite certainement de tout cœur et la communauté internationale espère qu’un tel changement se produise. Mais les premières prises de position du religieux Hassan Rohani ont semé quelques doutes quand à sa volonté à couper avec le passé. Ses mains sont également liées par le Guide suprême Ali Khamenei qui est le réel dirigeant du pays. La composition de son gouvernement qui n’est pas encore officiel démontre une présence de nombreux ministres issus des services de renseignement, plusieurs membres du clergé à l’image du parcours de Rohani qui est un spécialiste du domaine sécuritaire et de défense mais aussi des personnalités issus des deux clans celui d’Ali Akbar Rafsandjani et du Guide suprême, ce qui signifie un gouvernement instable.

Les Iraniens ne pourront donc trouver quelques signes d’apaisement ?

Pour cela il faut que Rohani remplisse réellement le rôle de « modéré » qu’on a bien voulu lui prêter un peu hâtivement. Son parcours laisse de sérieux doute sur ses capacités je vais en venir. Il faut savoir que pour un changement réel il faudrait venir à bout de la liberté d’expression muselée  et des droits de l’homme sans cesse bafoués, finir avec des prisonniers politiques qui croupissent dans les sinistres prisons du pays, de l’absence de liberté d’activité pour les partis d’opposition. La population a trop souffert de la violence du régime. Les femmes ont subi une ségrégation inégalée, les jeunes sont étouffés dans leurs aspirations et les intellectuelles emprisonnés pour leurs idées. Il faut changer d’attitude sur l’essentiel. Mais le peuple a besoin de voir des signes, et les signes les plus probants sont les libertés fondamentales. Le problème est que le régime souffre d’un problème structurel qui réduit sa marge de manœuvre. Toute réforme doit passer par la révision de la Constitution et le principe de la suprématie absolue du clergé. Et cela est impensable en République islamique.

Quels sont les attentes de la communauté internationales du nouveau président ?

L’arrêt de la politique d’agression du régime en Syrie et en Irak, cesser d’insister pour poursuivre le programme nucléaire que l’on soupçonne à juste titre l’Iran de viser la bombe. Il faudra aussi qu’on cesse la promotion de l’islamisme radicale et du terrorisme dans la région, notamment avec la dissolution de la Force Qods des gardiens de la révolution (les fameux pasdaran), responsable de la politique d’ingérence dans toute la région. L’Iran doit venir à la table de négociation sans chercher comme à son habitude à gagner du temps et tromper la communauté internationale.  J’évoquai le passé de Rohani, qui n’est pas un passée fiable sur la question nucléaire. Secrétaire du Conseil suprême de sécurité nationale pendant 16 ans et négociateur nucléaire en chef, il s’était venté en 2003 d’avoir trompé la troïka européenne. Dans une réunion à huis-clos de religieux haut placés et d’universitaires, il avait expliqué comment, grâce à lui, le régime a profité des négociations pour faire avancer le programme nucléaire et a révélé comment Téhéran a joué pendant un moment en essayant de duper l’Occident après la révélation de son programme nucléaire secret par le mouvement d’opposition des Moudjahidine du Peuple (OMPI) en 2002. Ce mouvement vient d’ailleurs de faire, il y a quelques jours, une nouvelle révélation sur l’existence d’un site secret du projet nucléaire iranien, près de Damavand, dans la province de Téhéran.

Quelle a été la  position de Rohani durant la campagne électorale?

Sur la question des négociations nucléaires, il a assuré vouloir poursuivre la politique déterminée par Khamenei tout en empêchant toute action contre le régime et en « n’abandonnant rien de [ses] droits ».  Dans une interview avec le quotidien arabe Asharq Alawsat, publiée le 15 juin 2013, il a continué à camoufler la nature des projets du régime en affirmant que « le programme nucléaire de l’Iran est entièrement pacifique. Par conséquent il n’y a pas de violation du droit international, tout comme il n’y a pas lieu de discuter sur cette question. Il existe une immense mobilisation politiquement motivée pour induire en erreur et créer une ambigüité sur le caractère pacifique de ce programme. Cette mobilisation est principalement menée par Israël. » Sur la Syrie, dans cette même interview, il a salué l’alliance du régime avec la Syrie en disant que «La Syrie est le seul pays de la région ayant résisté à la politique et la conduite expansionniste d’Israël. Le conflit entre nos frères en Syrie a été attisé par certains gouvernements à l’intérieur et à l’extérieur de la région. » Bref son discours ne change en Iran du discours que nous a habitué la Théocratie iranienne.

Vous avez récemment publié un livre sur l’Iran*,  quelle est la solution pour la crise que traverse ce pays ?

La société iranienne est une société de classes moyennes urbaines. C’est cette transformation qui explique en partie le mouvement contestataire. Mais depuis le scrutin contesté de 2009, les conditions de vie des iraniens et des iraniennes se sont dégradées. Le pouvoir se trouve aujourd’hui confronté à  un fort mouvement, au sein de la société iranienne, qui désire ardemment se débarrasser de la République islamique. Partout, la crise se fait sentir. Les émeutes du bazar de Téhéran ont montré qu’une relance économique est nécessaire. Or pour l’heure, cette relance et cette modernisation exige la fin de l’embargo,  de l’isolement de l’Iran et cela pose clairement la question du nucléaire. Tant qu’il n’y aura pas d’évolution majeure, l’Occident ne devrait pas baisser les gardes et maintenir la pression sur le régime. Les marges de manœuvres de Rohani existent, à la condition qu’il parvienne à s’affranchir des diktats du guide suprême…et de cela, on ne peut que douter!

 

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   * Iran : un brasier sous les cendres, édition Les Presses Du Midi, Bertrand Delais, 110 pages.

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