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Il y a 10 ans, Marie Trintignant mourait de ses blessures

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Le 1er août, transportée à Paris, Marie Trintignant meurt. Le leader du groupe Noir Désir est incarcéré, en Lituanie puis en France. Il est libéré pour bonne conduite en 2007.

Pour restituer les faits, Stéphane Bouchet et Frédéric Vézard évoquent la relation quasi fusionnelle du couple, la personnalité de Marie Trintignant et de sa mère, Nadine, et les rebondissements du dossier : la dissolution du groupe, les suicides de Kristina Rady (2010) et d’Olivier Metzner (2013), épouse et avocat de Bertrand Cantat. 

Ils ont eu accès aux pièces du dossier – comptes rendus d’auditions et interrogatoires des témoins clés -, se sont appuyés sur des témoignages recueillis tant en France qu’;en Lituanie – proches, magistrats, avocats… -; ainsi que sur les enquêtes de la police lituanienne et de la brigade criminelle de Paris pour reconstituer l’enchaînement fatal.

Extraits de Marie Trintignant – Bertrand Cantat : l’amour à mort de Stéphane Bouchet et Frédéric Vézard (Archipel).

L’homme, torse nu, pleure assis sur le lit, la tête entre les mains. Il est un peu plus de 1 heure du matin à Vilnius. Après le départ de la réceptionniste, Bertrand Cantat s’est enfermé dans la chambre. Pour ne plus entendre les cris de Marie. Mais, dans la pièce voisine, sa compagne est totalement silencieuse. Elle a perdu conscience, son corps a glissé du sofa. Elle repose à même le sol, sur le dos. Cantat ne veut plus rien voir. « Je suis allé dans la chambre à coucher. J’ai essayé de me calmer. Je crois que j’ai pleuré. J’espérais que Marie viendrait. Je me sentais épuisé. Je me sentais très mal. Je suis resté cinq à dix minutes[1]. »

Il se relève, retourne comme un automate dans le salon. Il s’approche. Marie a les yeux clos. Bertrand voit « une petite blessure sur le sourcil » et du sang qui s’écoule du nez. « J’ai essayé de la réveiller en lui tapotant les joues, affirmera-t-il ce 21 août. Son sommeil était très profond. Elle respirait normalement[2]. » Le voilà rassuré. La colère retombe, Bertrand Cantat a alors un premier élan de culpabilité : « J’avais la vision de ce que je lui avais fait. Je m’en voulais d’avoir agi de la sorte. Je pensais tout le temps au lendemain. Je me demandais comment nous allions résoudre ce problème. Je croyais que nous pouvions encore trouver une solution[3]. » 

Il soulève doucement Marie, la porte jusqu’à la chambre, la déshabille entièrement, étend le corps sur le lit, réajuste la serviette qui couvre son front et rabat les draps sur elle. Il lui parle. Elle ne répond toujours pas.

Le 21 août, le chanteur expliquera de manière étrange sa passivité face à l’absence de réaction de Marie : « Elle ne s’est pas réveillée parce qu’elle avait bu. Cela ne m’a pas surpris. Il m’était déjà arrivé de la porter dans son lit. » Tout au long de cette nuit tragique, l’état d’esprit du chanteur de Noir Désir oscillera entre la culpabilité et la volonté de trouver des explications rassurantes, tant sur la violence dont il a fait preuve que sur l’état réel de Marie.

[image:2,s]Une mécanique qui le cantonne dans l’inaction totale et lui fait oublier l’essentiel : sauver la femme qu’il dit aimer. Il n’a d’ailleurs pas abandonné son obsession du début de soirée : connaître la nature exacte des relations entre Marie et Samuel Benchetrit. C’est pourquoi, après de très longues minutes d’hésitations, il prend le téléphone portable de Marie. Pas pour alerter les secours, ou quelqu’un à Vilnius qui pourrait l’aider. Le numéro qu’il compose à 1 h 46 du matin est celui de Samuel Benchetrit, qui dort profondément dans son appartement parisien. Lorsque le réalisateur décroche, il entend d’abord, très surpris, les sanglots de celui qui l’accuse d’être son « rival ». « Il pleurait énormément. Marie m’avait dit qu’il pleurait beaucoup quand il était mal », raconte Samuel Benchetrit[4].

Bertrand ne parle pas d’emblée de sa dispute avec Marie, mais de sa question. Son idée fixe. « J’ai essayé d’obtenir une réponse de lui. Je lui ai posé la question doucement, sans agressivité », se remémoret-il[5].

Les souvenirs de Benchetrit sont plus précis : « J’ai compris qu’il était toujours dans une grande jalousie. Il m’a dit que Marie n’était pas là. Il m’a expliqué que lui avait fait exploser toute sa vie et que Marie ne l’avait pas fait, alors qu’elle lui demandait l’absolu. Il trouvait qu’elle était ambiguë avec moi. Il avait l’impression qu’on se foutait de sa gueule. Qu’on s’envoyait des messages dans son dos[6]. »

Samuel tente de le rassurer, lui demande d’être patient, « parce qu’il faut du temps pour de tels bouleversements familiaux », lui explique qu’il est normal que Marie apporte sa contribution à la promotion du film Janis et John. « Il appréhendait la sortie du film, il ne comprenait rien aux codes du cinéma », souligne Benchetrit[7]. Cantat l’écoute attentivement, lui répète à plusieurs reprises : « J’aurais dû t’appeler avant. »

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Frédéric Vézard, également reporter au Parisien à l’époque, a couvert l’affaire, assistant notamment au procès de Cantat en Lituanie. Stéphane Bouchet, reporter au Parisien en 2003, fut le premier journaliste français présent à Vilnius au lendemain des faits. 

[1] Audition de Bertrand Cantat, Prokuratora de Vilnius, 21 août 2003.

[2] Ibid.

[3] Audition de Bertrand Cantat, Prokuratora de Vilnius, 8 août 2003.

[4] Audition de Samuel Benchetrit, brigade criminelle, Paris, 1er août 2003.

[5] Audition de Bertrand Cantat, Prokuratora de Vilnius, 21 août 2003.

[6] Audition de Samuel Benchetrit, brigade criminelle, Paris, 1er août 2003.

[7] Ibid

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